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concerte les projets ambitieux, divife les alliés, concilie les ennemis, ranime les courages abattus, rallentit l'ardeur des téméraires, protége la justice, attaque le crime, terraffe l'envie, & fait triompher la vertu. Il n'y a guere d'évenement dans les hiftoires où l'éloquence n'ait eu la meilleure part.

L'utilité de cet art admirable paroit-elle moins dans le commerce ordinaire de la vie, foit qu'il s'agisse de traiter une affaire ou de donner des confeils, d'inftruire ou de faire un récit, de congratuler ou de confoler, de défendre ou d'accuser de loiier ou de blâmer, d'exciter les paffions ou de les calmer? J'ajouterai à cela une réflexion de Quintilien. Qu'y a-t'il de plus beau, dit cet habile Rhéteur, que a de pouvoir tirer de la faculté de

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penfer & de parler, qui eft com

mune à tous les hommes, de quoi

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fe faire un mérite fupérieur & unique; jufques-là que des paroles « dans la bouche d'un Orateur comme dans celle de Péricles, « femblent être moins des paroles que des éclairs & des foudres? »

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Heft donc important à un homme de condition d'étudier l'art de bien dire. La naiffance lui donne droit de prétendre aux emplois éminens, si son incapacité ne l'en exclut ; & la diftinction qu'elle lui donne parmi les autres hommes, ne doit avoir lieu qu'autant qu'elle est foutenue par les qualités du coeur & de l'efprit. Ce font les feuls avantages qui foient véritablement à lui, & les feuls qui méritent de la confidération, de l'eftime & du respect. L'éloquence que nous lui demandons ne confifte pas dans l'attirail des figures, dans un certain air brillant & fleuri, dans l'arrangement pompeux des paroles, & le vain

éclat des penfées. Ce ne font pas là les refforts de l'éloquence. L'art n'a jamais plus de force que lorsqu'il eft caché. La fubtilité fatigue l'attention. Les ornemens affectés ne parlent point au cœur, ils n'amufent que l'efprit ; ils l'arrêtent à la fuperficie des chofes, & le détournent du fond: il faut que l'honnêteté, la modeftie & la probité regnent dans les difcours de l'Orateur, que fon efprit tende toûjours au grand, que fes fentimens foient nobles & élevés, qu'il n'ait rien de vulgaire, que tout fente en lui la bonne éducation : les principes de fon raisonnement doivent être fi évidens, que la certitude frappe également tous les efprits. La connoiffance du coeur humain lui fervira pour y exciter les paffions & pour exprimer les moeurs. Il parlera de chaque chofe comme il convient le jugement, en un mot, le

bon

bon fens & la raison doivent être fa regle & fon but. Une fage éloquence n'a rien que de réel, de folide & de véritable.

La nobleffe de l'expreffion vient de celle du fentiment, comme l'élégance & la clarté viennent de la jufteffe de l'efprit. C'eft ce que dit Defpréaux dans l'Art Poétique.

Selon que notre idée eft plus ou moins obfcure,

L'expreffion la fuit ou moins nette ou plus pure.

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement, Et les mots, pour le dire, arrivent aisément. Il ne faut pas moins s'appliquer à l'élocution qu'aux autres parties du difcours. C'eft elle qui donne le nom à l'éloquence; elle répand la clarté & la pureté dans le difcours, lui donne de la richeffe, de la force, de la douceur, des graces & de l'élévation.

B

Ce que je viens de dire, est, en peu de mots, le fond de la véritable éloquence. J'ajoûterai qu'il ne faut jamais s'écarter en rien du naturel. L'art de bien parler, ainsi que les autres Arts, eft une imitation de la nature, & jamais il n'eft plus parfait que lorsqu'il peut être pris pour la nature même. On pourroit m'objeter qu'il n'est donc pas befoin d'étudier la Rhétorique, & que l'ignorant qui parle comme la nature le lui dicte doit être le plus éloquent. La réponse eft aifée : les Arts, quoique puifés dans la natune font à leur perfecparvenus tion que par dégrés ; & l'art dont nous parlons ne s'eft formé que par les obfervations que les plus habiles gens ont faites fur ce qu'il y avoit dans le difcours de plus propre à plaire, à toucher & à perfuader, en un mot, à bien dire. Ils ont réduit leurs obfervations en pré

re,

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