plie de chofes frivoles & même infenfées, qu'on puisse les rendre au goût de ce qu'on appelle la bonne compagnie, on s'érige en Auteur. Faire des peintures de caprice, développer le coeur par une fade Métaphyfique, remuer ceux où le trouble eft déjà, raffembler quelques fictions bifarres enchaffées dans le clinquant, ou exprimées par un certain jargon à la mode, parmi les agréables de l'un & de l'autre fexe, jetter par-tout des étincelles d'efprit, révolter enfin le bon fens, & allarmer la vertu : Voilà, dit-on, un Auteur charmant. Une réputation brillante eft bien - tôt faite. L'intérêt n'eft pas oublié. Ce n'eft plus une vile canaille qui débite l'ouvrage, ce font des perfonnes du premier ordre, & fur-tout les Dames qui ne dédaignent pas d'en être les Colporteurs; elles offrent, elles prient, elles infiftent, elles elles forcent, ou elles féduifent par des louanges outrées, & font payer fort cher ce qu'on devroit mépriser. Lorfqu'on va dans la bonne compagnie, on n'y trouve point des hommes d'un goût sûr, d'un efprit folide & éclairé. On y voit de ces agréables Auteurs qui décident de tout fans rien examiner, apprécient l'efprit, les talens, les ouvrages: ce font des Oracles que l'on confulte; ils font profeffion d'amufer les cercles; ils courent après l'efprit, ils veulent que tout ce qu'ils difent en pétille. Par une heureuse prévention, l'on applaudit auffi-tôt qu'ils ouvrent la bouche, & fouvent on applaudit d'infipides bagatelles. Ils abufent de la foibleffe qu'on a pour de frivoles talens, ils prennent une familiarité devant qui la fierté des Grands s'humilie. On raffemble ces beaux efprits avec des Muficiens & des Comédiens au H milieu de tout l'attirail de la molleffe & de la volupté : de cet heureux assemblage naît, ce qu'on appelle des amusemens délicats, des plaisirs de goût. C'est ainsi que le cœur s'amollit, que l'efprit s'énerve. En fautil davantage pour porter le trouble & la confufion dans les plus belles ames? Voilà pourquoi la nobleffe n'a de goût que pour des chofes frivoles qui ne fauroient attacher l'efprit. De-là naît cette inconftance, cette légereté, cette dissipation, enfin ce divorce continuel avec le bon fens & la raison. On a un certain dégoût de foi-même, on craint de refter feul un inftant, on vole d'objet en objet, on s'arrête par-tout, on ne se fixe nulle part. Au milieu de ce tumulte l'histoire d'un jour eft prefque celle de toute la vie. Si les idées tracées dans l'imagination de ceux dont nous parlons pouvoient nous être auffi fenfibles que les caracteres le font fur le papier, que nous verrions de puérilités, de petiteffes, de bifarreries! Que de chofes humi liantes pour l'humanité ! Combien le goût du bon & du beau n'eft-il pas plus fatisfaisant! . Il nous attache, il nous fixe; on y trouve des plaifirs charmans pour l'efprit & pour le coeur; la raifon nourrit, & fert de rampart contre la tyrannie des paffions. L'on n'effuie jamais les dégoûts de l'ennui: on peut vivre bien avec foi-même, & avec les autres hommes. On paffe du folide à l'agréable ; on varie des amusemens toûjours convenables aux bienséances, & aux bonnes moeurs. Ils nous fuivent dans nos voyages, nous les trouvons à la campagne, auffi bien qu'à la ville. La folitude,affreufe pour les ames du commun, devient douce, paifi ble, & même fatisi hante. L'imagination ne repréfente que des idées agréables, femblable à ces jardins délicieux, où la nature cultivée & embellie, n'offre à la vûe que des objets charmans. Qu'il eft doux, , qu'il eft beau, lorsqu'on a du loifir, de pouvoir s'entretenir avec les plus beaux génies, les plus grands Philofophes, les plus illuftres Orateurs, les meilleurs Poëtes qui aient vécu dans tous les fiecles & dans tous les pays! Qu'il eft heureux de vivre, en quelque forte, avec les plus grands Hommes en tout genre, comme s'ils étoient nos contemporains, de connoître leur génie, leurs mœurs, leurs actions, d'entendre leurs paroles, de pénétrer leurs pensées! Telle eft la fource d'une faine éloquence, & du bon goût en tout genre de littérature. 4 |