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ESSAI

SUR

L'EDUCATION

DE

LA NOBLESSE.

CHAPITRE PREMIER. De la Rhétorique.

E place la Rhétorique, c'eft-à-dire, l'art de parler, après l'étude de la Grammaire, de la Géométrie, de l'His

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toire & de la Philofophie; parce que pour bien parler il faut auparavant favoir bien penfer. C'eft le fentiment de Ciceron (a), & le précepte de Defpréaux (b).

Avant donc que d'écrire, apprenez à penfer.

La Grammaire enfeigne l'exactitude & la pureté de la langue; la Géométrie ouvre l'efprit, lui donne de la jufteffe, & le forme à tirer des conféquences de ce qu'il connoît pour parvenir à ce qu'il ne connoît pas. L'Hiftoire inftruit des chofes paffées, & fournit des exemples mémorables, qui font d'une puiffante autorité dans le difcours. Lat Philofophie enfeigne à raisonner jufte fur la vérité, ou la probabilité des chofes fpirituelles & maté

(a) Ac meâ quidem fententiâ nemo poterit. effe omni laude cumulatus orator, nifi erit omnium rerum magnarum atque artium fcientiam confecutus. Cic. de Orat. L. I p. 75. (b) Art. Poët. Ch. 1. 7. 150.

rielles, à connoître ce qui eft honnête & ce qui eft utile, & leurs con

traires.

Je ne faurois donc approuver l'ufage d'enfeigner la Rhéthorique aux jeunes gens, lorsqu'ils ont à peine la plus légere teinture de la Grammaire & de l'Hiftoire, & qu'ils ignorent entierement ce que c'est que la Géométrie & la Philofophie. Comment peuvent-ils produire un difcours raisonnable, s'ils n'ont pas l'efprit rempli d'un fond d'idées suffifant, le jugement folide, & un difcernement jufte & droit ? Une terre inculte ne produit que des ronces & de mauvaises herbes.

La fin de la Rhéthorique eft de bien dire & de perfuader. Cela feul doit convaincre de fon utilité, qui ne se borne pas aux Panégyriques, aux Sermons, aux Oraifons funebres, aux Plaidoyers ou aux Difcours Académiques ; mais qui s'é

tend à toutes les occafions où l'on parle. I ne faut donc pas s'imaginer que la Rhéthorique ne foit utile qu'à certaines profeifions: elle l'eft également au Magiftrat, au guerrier, à l'homme d'Etat & à l'homme privé. On ne peut rien entreprendre, ni rien achever que par le moyen de la parole par conféquent celui qui poffede l'art de bien dire & de perfuader, ne poffede-t'il pas un tréfor ineftimable? C'eft par cet art, c'est-à-dire, par l'éloquence qu'on plaît, qu'on s'infinue dans les efprits, qu'on perfuade, qu'on excite des mouvemens dans le coeur, qu'on s'en rend le maître, & qu'on le tourne à fon gré. Pyrrhus difoit qu'il avoit pris plus de villes par l'éloquence de Cineas que par la force de fes armes. L'éloquence de Demofthene fut l'unique rempart qui défendit Athenes contre les artifices & con

tre les forces de Philippe : Ciceron fut long-tems le plus ferme appui de la liberré de Rome : il foutint feul les efforts ambitieux de Catilina, diffipa la conjuration, & mérita le titre glorieux de pere de la Patrie: fa feule éloquence fut plus utile au jeune Octave, que ne le furent à Céfar fa valeur & fes légions. On a vu dans ce fiecle Malbourough tourner à fon gré les Chambres affemblées de fa Nation, & les Puiffances alliées de l'Angleterre fon éloquence animée par fon intérêt particulier, fecondée par d'heureux fuccès, fut le principal reffort des troubles qui agiterent l'Europe pendant fi long-tems.

Nous voyons dans l'histoire une infinité d'exemples du pouvoir de l'éloquence. Elle appaife des troubles & des féditions, amene les hommes au devoir & à la raison, manie les efprits intraitables, dé

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