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douter que Ciceron & Quintilien ne le fuffent très-bien; ont-ils écrit en cette langue, ou du moins nous en refte-t'il quelque chofe? Ont-ils donné des préceptes en une autre langue, que celle qu'on parloit à Rome?

Pourquoi ne pas imiter en cela les anciens? Tâchons d'imiter leur efprit, enrichiffons notre langue des beaux tours de leurs penfées, furpaffons-les s'il eft poflible, plutôt que de nous appliquer à nous fervir des mêmes termes, ce qui n'a d'autre mérite que celui de difficulté. Je ne prétends pas decider fi la langue Françoise l'emporte fur la Greque & la Latine: mais nous voyons dans nos bons Auteurs qu'elle eft fimple, douce, exacte, polie; qu'elle a des fleurs, de l'harmonie, de la nobleffe, de la majesté, de l'abondance, de la force, de l'énergie; en un mot, qu'elle eft

fuf.

fufceptible de toute forte d'ornemens. D'ailleurs je ne fais point de difficulté de dire qu'il eft impoffible de parler, avec élégance & pureté, une langue morte, il faut être né dans une langue pour en connoître toutes les beautés & toutes les délicatesses, autrement on y paroît toûjours étranger. Nous le voyons dans ceux qui viennent en France, quoiqu'ils vivent parmi nous, & qu'il foit bien plus facile d'apprendre une langue vivante qu'une langue morte. Combien ne fe trompe-t'on pas aifément dans le choix des mots qu'on croit fynonymes, ou en mettant devant l'adjectif un fubftantif qui doit être après: un galant homme, & un homme galant, une femme fage, & une fage femme, ne préfentent-ils pas des idées fort différentes : du vin neuf, & un habit nouveau font des expreffions que les Grammairiens C

appellent barbares, quoique les mots foient François. Suppofons donc que nous nous fervions des mêmes termes que les anciens, fommes-nous sûrs de ne pas les placer mal. Si parmi le grand nombre d'Auteurs, on en compte peu d'excellens, devons-nous prétendre exceller dans une langue morte: on ne s'y fait admirer que parce qu'elle eft plus ignorée. S'il fe pouvoit faire que les Romains du fiecle d'Augufte, viffent leurs ouvrages qui font entre nos mains, peut-être ne feroient-ils pas contens des prétendues corrections que les favans Modernes y ont faites ; & s'ils pouvoient lire les écrits de nos plus célebres Orateurs Latins, je crois qu'ils trouveroient leurs plus beaux difcours bien pitoyables: je n'en excepte pas même ceux du Cardinal Bembo, qui paffoit pour un des hommes de fon fiecle qui par

loit le mieux Latin. On (a) dit que pour ne pas corrompre la pureté de fon langage, il ne difoit jamais fon breviaire, ni ne liloit la verfion latine de l'écriture. On ajoute qu'il difoit qu'il ne changeroit pas fon Latin contre le Duché de Man

toue.

Dans les fiecles paffés, où la Langue Françoise étoit encore groffiere & imparfaite, on avoit raison de s'appliquer au Latin; mais depuis qu'elle a eu les Cicerons, fes Horaces, fes Virgiles, fes Terences, il n'eft plus befoin, je ne dis pas d'entendre le Latin, mais de s'appliquer à compofer en cette langue. Je fuis donc d'avis d'enfeigner la Rhétorique en François, & de faire toûjours écrire les jeunes gens en cette langue, comme la plus en ufage, & par conféquent la plus utile. Ils y trouveront d'ailleurs plus (a) Sper. Speroni. Dialog. Delle Ling.

de facilité, & fe livreront plus volontiers au travail.

On me dira, peut-être, que les préceptes de l'art de bien parler, font les mêmes pour toutes les langues, & que nos meilleurs Orateurs les ont appris en Latin. Je conviens que les figures, les tropes, & certains préceptes font les mêmes : mais au refte chaque langue a fon génie, & ce qui a de la dans grace une n'en a pas dans l'autre. Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à confronter nos meilleures traductions avec leurs originaux, & l'on en verra la différence. Le nombre Latin, (a) par exemple, fur quoi Ciceron & Quintilien fe font affez étendus, a bien peu de chofe qui convienne à la langue Françoife:

(a) Tout ce que difent les Rétheurs fur l'ufage & la mesure des pieds qui entrent dans la Profe Latine, ne peut convenir à la Langue Françoile.

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