Page images
PDF
EPUB

flexions dans l'âge mûr, & amufent agréablement dans la vieilleffe, en rafraîchiffant la mémoire de ce qu'on a lu dans les Histoires, ou de ce qu'on a vu dans fes Voyages.

CHAPITRE V.
De la Politeffe.

L'AMOUR de foi-même inspire aux hommes le defir d'être aimés & eftimés: pour y réuffir ils cherchent à plaire; c'est là le fondement de la politeffe. Je prends ce mot dans toute fon étendue. J'entends nonfeulement une certaine grace répandue dans le maintien, dans les manieres & dans l'efprit, dans les paroles, & même dans les moeurs ; mais auffi une déférence pour les autres, guidée par un fage difcernement de ce qui peut leur plaire

ou les offenfer, fuivant ce que l'ordre, & la bienséance, approuvent ou condamnent.

La politeffe gagne les coeurs & entretient les liaifons de la fociété : Elle a cela de merveilleux, dit

[ocr errors]

<< un excellent Auteur, qu'elle rend

α

les autres tout à la fois contens « de nous & d'eux-mêmes. » Les femmes qui naturellement ont encore plus d'envie de plaire que les hommes, enchantent fouvent par leur politeffe. Elle brille auffi dans les Cours plus qu'ailleurs : le befoin qu'on a, ou qu'on croit avoir de tout le monde, fait qu'on cherche à plaire à tous, & à s'en faire aimer.

Rien n'eft donc plus important que la politeffe: quoiqu'il femble que ce foit l'efprit feul qui faffe les jugemens qu'on porte fur les actions des hommes, ils font toûjours dirigés par un mouvement fecret du

cœur

coeur. Tout paroît jufte & agréable dans la perfonne qu'on aime: mais tout paroît vicieux dans celle qu'on hait. Comme nous tenons la réputation en quelque forte plus des autres que de nous-mêmes, le premier foin doit être de gagner les coeurs ne voit-on pas fouvent des perfonnes beaucoup plus eftimées, qu'elles ne méritent de l'être ? C'est qu'elles ont fu fe faire aimer. Or c'eft fur-tout la politeffe qui concilie les affections. Si on ne la met pas au nombre des vertus, on peut. dire au moins qu'elle en rehauffe le prix. Elle est à la vertu ce que la lime eft aux métaux.

En effet où elle manque tout eft fans elle défiguré. Le GrandSeigneur eft un tyran que tout le monde évite, le Savant un homme infupportable, & l'homme de probité un homme auftere avec lequel on ne peut vivre, Il n'eft perfonne

à qui elle ne foit nécessaire, les fupérieurs mêmes ne doivent pas s'en dispenser envers leurs inférieurs : ceux-là n'ont-ils pas befoin du fuffrage de ceux-ci? C'est aux autres à faire notre réputation & notre gloire: il faut plus d'attention pour plaire lorsqu'on eft élevé au-deffus des autres. Les hommes fupportent difficilement la fupériorité; la nature n'en connoît pas. Cependant la plupart des Grands n'ont de politeffe qu'autant qu'il faut dépour les guifer le mépris qu'ils ont pour autres, afin de ne pas les rebuter, & de n'en être pas abandonnés. Ils ont une fierté naturelle qui leur feroit volontiers penser qu'ils font d'une nature différente de celle des autres hommes. L'infolence, l'orgueil, & l'injuftice qu'ils ont dans le cœur font toûjours prêts à éclater, pour peu qu'on offenfe leur amour propre, ou feulement qu'on

réfifte à leurs volontés ou à leurs caprices. Ils paroiffent quelquefois donner toute forte de liberté à leurs inférieurs : mais fi l'on veut ne pas leur déplaire, il ne faut pas prendre tout ce qu'ils femblent accorder. Cependant ils ont un grand avantage pour plaire. Une parole obligeante, un gefte, un coup d'oeil favorable leur attirent les coeurs. Ils augmentent le prix d'une grace, ou adouciffent un refus par des manieres polies & des termes obligeans. Ils font infiniment coupables, lorfqu'ils ne fe font pas aimer.

Les hommes naiffent avec une certaine rufticité; il n'y a que l'éducation qui les rend polis; de même que l'art donne le brillant aux pierres précieuses. Avec cette rufticité on eft infociable; elle attire la haine & le mépris, & marque la mauvaise éducation. Elle est prefque toûjours le principe des

« PreviousContinue »