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ceptes qu'on appelle Rhéthorique : c'eft un chemin frayé qu'on doit fuivre. Or foit dans les penfées ou dans les paffions, foit dans les tours ou dans les mots, il faut faire un choix de ce qu'il y a de plus beau & de plus naturel. Il faut imiter ce célebre Peintre (a) de l'antiquité, qui ayant un tableau à faire pour le Temple de Junon à Agrigente, choisit pour modele plufieurs des plus belles personnes de la ville, & choifit encore dans chacune les plus belles parties qu'il réunit, & qu'il proportionna pour en faire une belle figure.

La nature eft un guide sûr qu'on doit toûjours fuivre : auffi-tôt qu'on s'en écarte, on devient faux dans l'éloquence. Ne nous fatiguons pas pour mettre de l'efprit par tout le véritable esprit n'est autre chose

(a) Zeuxis. Plin. Hift. Nat. L. XXXV. сар. 9.

qu'un beau choix du naturel. Un Ouvrage peut être gåté par trop d'efprit, de même que le corps peut être défiguré par trop d'embompoint. Cherchons à éclaircir, & non pas à éblouir; parons le difcours d'ornemens qui naiffent du fujet, mais ne courons pas après.

Il faut bien prendre garde que les jeunes gens ne se laiffent féduire par certains ouvrages qui paroiffent de tems en tems, où l'on ne cherche qu'à flatter l'imagination. On laiffe à l'écart le naturel & le bon fens ; on ne s'embarraffe plus des bienféances; fous prétexte d'embellir la nature on ne l'imite point; on veut faire de belles Peintures plutôt que de beaux portraits: on néglige fon fujet pour faire briller fon efprit: on en veut avoir plus que les Malherbes, les Corneilles, les Racines, les Defpréaux, les Lafontaines, les Fenelons & les Bof

facts on s'abandonne aux faux brillans, aux rafinemens, aux tours forcés, aux pointes, à un jeu trop étudié dans les peniées & dans les paroles. C'eft ainfi que ces coquettes fardées abandonnent les graces naïves de la nature, pour prendre des manieres affectées qui les rendent ridicules.

Mais le peu de foin que l'on a de l'éducation des enfans les entretient fouvent dans des défauts oppofés, & beaucoup plus communs. On les abandonne à des perfonnes qui ont des expreffions baffes & triviales, qui jouent fur les mots, s'attachent aux allufions, aux équivoques, aux proverbes, & qui ont une prononciation vicieuse.

Les premieres impressions ne s'effacent que difficilement. Il eft prefque impoffible qu'il n'en refte toûjours quelques traces. J'ai vû des. Provinciaux qui, avec de l'efprit &

des lettres, avoient entierement confervé l'accent & les manieres de parler de leurs Provinces. Ségrais un des plus beaux efprits que fa Province a produits, ne s'étoit jamais défait de l'accent Normand. On trouve dans les Poëfies de Malherbe, qu'on peut regarder comme le pere de la Poëfie Françoife, & dans les Pieces du grand Corneille, quelques expreffions de leur Province. Quintilien nous apprend que Tite-Live, cet Hiftorien fi éloquent & fi difert, a quelques manieres de parler de Padoue fa Patrie. Il est donc important d'accoûtumer les enfans à parler François d'une maniere pure & correcte.

Je crois que l'on conçoit affez l'utilité de la Rhétorique, pour comprendre le tort qu'on a de la négliger. Il me reste présentement à parler de la maniere dont je penfe qu'on doit l'enfeigner,

Je ne faurois approuver l'ancien ufage que l'on fuit encore d'enfeigner la Rhétorique en latin, & d'exercer les jeunes gens à compofer en cette langue, qu'on ne parle prefque plus que dans les Univerfités. N'eft-ce pas une chofe ridicule à un François de chercher à parler bien une langue morte, & de ne favoir écrire ni bien parler fa propre langue, que toute l'Europe favante & polie entend? Les gens de qualité en pays étrangers pafferoient pour mal élevés, s'ils ne la favoient pas. Les Grecs enfeignoient-ils l'art de parler en une autre langue qu'en la leur? Il n'y avoit guere de perfonnes confidérables à Rome qui n'allaffent paffer leur jeuneffe à Athenes, ou qui n'euffent quelque Grec dans leur maifon pour apprendre cette langue, ontils laiffé à la poftérité quelques ou~ vrages en Grec? Nous ne pouvons

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