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SUR OLIMPIE,

PAR M. DE VOLTAIRE.

(a) CEs myftères et ces expiations font de la plus haute antiquité, et commençaient alors à devenir communs chez les Grecs. Philippe, père d'Alexandre, fe fit initier aux myftères de la Samothrace, avec la jeune Olimpias qu'il époufa depuis. C'eft ce qu'on trouve dans Plutarque, au commencement de la vie d'Alexandre, et c'eft ce qui peut fervir à fonder l'initiation de Caffandre et d'Olimpie.

Il eft difficile de favoir chez quelle nation on inventa ces mystères. On les trouve établis chez les Perfes, chez les Indiens, chez les Egyptiens, chez les Grecs. Il n'y a peut être point d'établiffement plus fage. La plupart des hommes, quand ils font tombés dans de grands crimes, en ont naturellement des remords. Les légiflateurs qui établirent les myftères et les expiations voulurent également empêcher les coupables repentans de fe livrer au désespoir, et de retomber dans leurs crimes.

La croyance de l'immortalité de l'ame était par-tout le fondement de ces cérémonies religieuses. Soit que la doctrine de la métempsycose fût admise, foit qu'on reçût celle de la réunion de l'efprit humain à l'esprit universel; foit que l'on crût, comme en Egypte, que l'ame serait un jour rejointe à fon propre corps; en un mot, quelle que fût l'opinion dominante, celle des peines et des récompenfes après la mort était universelle chez toutes les nations policées.

Il eft vrai que les Juifs ne connurent point ces myflères, quoiqu'ils euffent pris beaucoup de cérémonies des Egyptiens. La raison en eft que l'immortalité de l'ame était le fondement de la doctrine égyptienne, et n'était pas celui de la doctrine mofaïque. Le peuple groffier des Juifs, auquel DIEU daignait fe proportionner, n'avait même aucun corps de doctrine il n'avait pas une feule formule de prière générale établie par fes lois. On ne trouve ni dans le Deuteronome, ni dans le Lévitique, qui font les feules lois des Juifs, ni prière, ni dogme, ni croyance de l'immortalité de l'ame, ni peines ni récompenfes après la mort. C'eft ce qui les diftinguait des autres peuples; et c'eft ce qui prouve la divinité de la miffion de Moife, felon le fentiment de M. Warburton, évêque de Worcester. Ce prélat pretend que DIEU daignant gouverner lui-même le peuple juif, et le récompenfant ou le puniffant par les benedictions ou des peines temporelles, ne devait pas lui propofer le dogme de l'immortalité de l'ame, dogme admis chez tous les voilins de ce peuple.

Les Juifs furent donc presque les feuls dans l'antiquité, chez qui les myftères furent inconnus. Zoroaftre les avait apportés en Perse, Orphée en Thrace, Ofris en Egypte, Minos en Crète, Cinyras en Chypre, Erecthée dans Athènes. Tous differaient, mais tous étaient fondés fur la croyance d'une vie à venir, et fur celle d'un feul Dieu. C'est surtout ce dogme de l'unité de l'Etre fuprême qui fit donner par-tout le nom de mystères à ces cérémonies facrées. On laiffait le peuple adorer des dieux fecondaires, des petits dieux, comme les appelle Ovide, vulgus deorum, c'eft-à-dire, les ames des héros, que l'on croyait participantes de la Divinité et des êtres mitoyens entre Digu et nous. Dans toutes les célébrations des mystères en Grèce, foit à Eleufis, foit à Thèbes, foit dans la Samothrace ou dans les autres îles, on chantait l'hymne d'Orphée :

Marchez dans la voie de la juftice, contemplez le feul maître du monde, le Démiourgos. Il eft unique, il exifte feul par lui-même ; tous les autres êtres ne font que par lui, il les anime tous : il n'a jamais été vu par des yeux mortels, et il voit au fond de nos cœurs.

Dans prefque toutes les célébrations de ces myftères, on représentait fur une espèce de théâtre une nuit à peine éclairée, et des hommes à moitié nus, errant dans ces ténèbres, pouffant des gémiffemens et des plaintes, et levant les mains au ciel. Enfuite venait la lumière, et l'on voyait le Démiourgos qui représentait le maître et le fabricateur du monde, confolant les mortels, et les exhortant à mener une vie pure.

Ceux qui avaient commis de grands crimes les confeffaient à l'hiérophante, et juraient devant DIEU de n'en plus commettre. On les appelait dans toutes les langues d'un nom qui répond à initiatus, initié, celui qui commence une nouvelle vie, et qui entre en communication avec les dieux, c'eft-à-dire avec les héros et les demi-dieux, qui ont mérité par leurs exploits bienfefans d'être admis après leur mort auprès de l'Etre fuprême.

Ce font-là les particularités principales qu'on peut recueillir des anciens mystères dans Platon, dans Cicéron, dans Porphyre, Eusèbe, Strabon et d'autres.

Les parricides n'étaient point reçus à ces expiations: le crime était trop énorme. Snétone rapporte que Néron, après avoir affaffiné sa mère, ayant voyage en Grèce, n'ofa affifter aux mystères d'Eleufine. Zozime prétend que Conftantin, après avoir fait mourir sa femme, fon fils, fon beau-père et fon neveu, ne put jamais trouver d'hierophante qui l'admît

à la participation des mystères.

On pourrait remarquer ici que Caffandre eft précisément dans le cas où il doit être admis au nombre des initiés. Il n'eft point coupable de l'empoisonnement d'Alexandre; il n'a répandu le fang de Statira que dans l'horreur tumultueufe d'un combat, et en défendant fon père. Ses remords font plutôt d'une ame fenfible et née pour la vertu, que d'un criminel qui craint la vengeance célefte.

(b) Il eft bon d'opposer ici le jugement de Plutarque fur Alexandre à tous les paradoxes et aux lieux communs qu'il a plu à Juvénal et à ses imitateurs de débiter contre ce héros. Plutarque, dans fa belle comparaison d'Alexandre et de Céfar, dit que le héros de la Macédoine femblait né pour le bonheur du monde, et le héros romain pour fa ruine. En effet, rien n'eft plus jufte que la guerre d'Alexandre, général de la Grèce, contre les ennemis de la Grèce, et rien de plus injuste que la guerre de Céfar contre fa patrie.

Remarquez furtout que Plutarque ne décide qu'après avoir pesé les vertus et les vices d'Alexandre et de Céfar. J'avoue que Plutarque, qui donne toujours la préférence aux Grecs, femble avoir été trop loin. Qu'auraitil dit de plus de Titus, de Trajan, des Antonins, de Julien même, fa religion à part? voilà ceux qui paraiffaient être nés pour le bonheur · du monde, plutôt que le meurtrier de Clitus, de Callifthènes et de Parménion.

(c) Ce fpectacle ferait peut-être un bel effet au théâtre, si jamais la pièce pouvait être représentée. Ce n'eft pas qu'il y ait aucun mérite à faire paraître des prêtres et des prêtreffes, un autel, des flambeaux et toute la cérémonie d'un mariage; cet appareil, au contraire, ne ferait qu'une miferable reffource, fi d'ailleurs il n'excitait pas un grand intérêt, s'il ne formait pas une fituation, s'il ne produifait pas de l'étonnement et de la colère dans Antigone, s'il n'était pas lié avec les deffeins de Caffandre, s'il ne fervait à expliquer le véritable fujet de fes expiations. C'est tout cela ensemble qui forme une fituation. Tout appareil dont il ne refulte rien eft puéril. Qu'importe la decoration au mérite d'un poëme? Si le fuccès dépendait de ce qui frappe les yeux, il n'y aurait qu'à montrer des tableaux mouvans. La partie qui regarde la pompe du fpectacle eft fans doute la dernière; on ne doit pas la négliger, mais il ne faut pas trop s'y attacher.

Il faut que les fituations théâtrales forment des tableaux animés. Un peintre qui met fur la toile la cérémonie d'un mariage, n'aura fait qu'un tableau affez commun, s'il n'a peint que deux époux, un autel et des afftans; mais s'il y ajoute un homme dans l'attitude de l'etonnement et de la colère, qui contrafte avec la joie des deux époux, fon ouvrage aura de la vie et de la force. Ainfi au fecond acte, Statira qui embraffe Olimpie avec des larmes de joie, et l'hierophante attendri et afflige; ainfi au troisième acte, Caffandre reconnaiffant Statira avec effroi, et Olimpie dans l'embarras et dans la douleur; ainfi au quatrieme acte, Olimpie au pied d'un autel, deselperee de fa faibleffe, et repouffaut Caffandre qui fe jette à ses genoux; ainfi au cinquième, la même Olimpie s'elançant dans le bûcher aux yeux de fes amans epouvantes, et des prêtres, qui tous ensemble font dans cette attitude douloureuse, empreffée, egarée, qui annonce une marche précipitee, les bras etendus et prêts à courir au fecours : toutes ces peintures vivantes, formees par

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des acteurs pleins d'ame et de feu, pourraient donner au moins quelque idée de l'excès où peuvent être pouffées la terreur et la pitié, qui font le feul but, la feule conftitution de la tragédie. Mais il faudrait un ouvrage dramatique qui, étant susceptible de toutes ces hardieffes, eût auffi les beautés qui rendent ces hardieffes refpectables.

Si le cœur n'eft pas ému par la beauté des vers, par la vérité des sentimens, les yeux ne feront pas contens de ces fpectacles prodigués ; et loin de les applaudir, on les tournera en ridicule, comme de vains supplėmens qui ne peuvent jamais remplacer le génie de la poëfie.

Il eft à croire que c'eft cette crainte du ridicule, qui a prefque toujours refferré la fcène française dans le petit cercle des dialogues, des monologues et des récits. Il nous a manqué de l'action; c'est un défaut que les étrangers nous reprochent, et dont nous ofons à peine nous corriger. On ne préfente cette tragédie aux amateurs que comme une efquiffe légère et imparfaite d'un genre absolument néceffaire.

(d) Le feu de Vefta était allumé dans prefque tous les temples de la terre connue. Vesta fignifiait feu chez les anciens Perfes, et tous les favans en conviennent. Il eft à croire que les autres nations firent une divinité ́de ce feu, que les Perfes ne regardèrent jamais que comme le symbole de la Divinité. Ainfi une erreur de nom produifit la déeffe Vesta, comme elle a produit tant d'autres choses.

(e) Non-feulement les défauts de cette tragédie ont empêché l'auteur d'ofer la faire jouer fur le théâtre de Paris, mais la crainte que le peu de beautés qui peut y être ne fût exposé à la raillerie, a retenu l'auteur encore plus que fes défauts. La même legéreté qui fit condamner Athalie pendant plus de vingt années par ce même peuple qui applaudissait à la Judith de Boyer, les mêmes prétextes qui fervirent à jeter du ridicule sur un prêtre et sur un enfant, peuvent subsister aujourd'hui. Il est à croire qu'on dirait, voilà une tragédie jouée dans un couvent; Statira eft religieuse, Caffandre a fait une confeffion générale, l'hierophante eft un directeur, &c.

Mais auffi il fe trouvera des lecteurs éclairés et fenfibles qui pourront être attendris de ces mêmes reffemblances, dans lefquelles d'autres ne trouveront que des fujets de plaifanterie. Il n'y a point de royaume en Europe qui n'ait vu des reines s'enfevelir les derniers jours de leur vie dans des monaftères après les plus horribles catastrophes. Il y avait de ces afiles chez les anciens, comme parmi nous. La Calprenède fait retrouver Statira dans un puits; ne vaut-il pas mieux la retrouver dans un temple?

Quant à la confeffion de ses fautes dans les cérémonies de la religion, elle est de la plus haute antiquité, et eft expreffément ordonnée par les lois de Zoroastre, qu'on trouve dans le Sadder. Les initiés n'étaient point admis aux myftères fans avoir expofé le fecret de leurs cœurs

en présence de l'Etre fuprême. S'il y a quelque chofe qui confole les hommes fur la terre, c'eft de pouvoir être réconcilié avec le ciel et avec foi-même. En un mot on a tâché de représenter ici ce que les malheurs des grands de la terre ont jamais eu de plus terrible, et ce que la religion ancienne a jamais eu de plus consolant et de plus augufte. Si ces mœurs, ces ufages ont quelque conformité avec les nôtres, ils doivent porter plus de terreur et de pitié dans nos ames.

Il y a quelquefois dans le cloître je ne fais quoi d'attendrissant et d'augufte. La comparaifon que fait fecrètement le lecteur entre le filence de ces retraites et le tumulte du monde, entre la piété paifible qu'on suppose y régner et les difcordes fanglantes qui désolent la terre, émeut et transporte une ame vertueuse et fenfible.

(f) Cet exemple d'un prêtre qui fe renferme dans les bornes de fon ministère de paix nous a paru d'une très-grande utilité, et il ferait à fouhaiter qu'on ne les repréfentât jamais autrement fur un théâtre public, qui doit être l'école des mœurs. Il eft vrai qu'un personnage qui se borne à prier le ciel, et à enfeigner la vertu, n'eft pas affez agiffant pour la scène ; mais auffi il ne doit pas être au nombre des personnages dont les paffions font mouvoir la pièce. Les héros emportés par leurs paffions agiffent, et un grand-prêtre inftruit. Ce mélange, heureusement employé par des mains plus habiles, pourra faire un jour un grand effet fur le théâtre.

On ofe dire que le grand-prêtre Joad, dans la tragédie d'Athalie, femble s'éloigner trop de ce caractère de douceur et d'impartialité qui doit faire l'effence de fon ministère. On pourrait l'accuser d'un fanatisme trop féroce, lorsque rencontrant Mathan en conférence avec Jozabeth, au lieu de s'adreffer à Mathan avec la bienséance convenable, il s'écrie:

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O Quoi! fille de David, vous parlez à ce traître !

Vous fouffrez qu'il vous parle! et vous ne craignez pas

Que du fond de l'abyme entr'ouvert fous fes pas

» Il ne forte à l'inftant des feux qui vous embrasent,

» Ou qu'en tombant fur lui ces murs ne vous écrasent !

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Que veut-il? De quel front cet ennemi de Dieu

" Vient-il infecter l'air qu'on refpire en ce lieu?

Mathan semble lui répondre très-pertinemment en difant :

"On reconnaît Joad à cette violence;

"Toutefois il devrait montrer plus de prudence,

» Respecter une reine, &c.

On ne voit pas non plus pour quelle raison Joad ou Jojada s'obftine à ne vouloir pas que la reine Athalie adopte le petit Joas. Elle dit en propres termes à cet enfant : Je n'ai point d'héritier, je prétends vous traiter comme mon propre fils,

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