Page images
PDF
EPUB

effrayer la nature, mais non pas la révolter et la dégoûter.

Gardons-nous furtout de chercher dans un grand appareil, et dans un vain jeu de théâtre, un fupplément à l'intérêt et à l'éloquence. Il vaut cent fois mieux, fans doute, savoir faire parler ses acteurs que de fe borner à les faire agir. Nous ne pouvons trop répéter que quatre beaux vers de fentiment valent mieux que quarante belles attitudes. Malheur à qui croirait plaire par des pantomimes, avec des folécifmes ou avec des vers froids et durs, pires que toutes les fautes contre la langue. Il n'eft rien de beau en aucun genre que ce qui foutient l'examen attentif de l'homme de goût.

L'appareil, l'action, le pittorefque, font un grand effet fans doute; mais ne mettons jamais le bizarre et le gigantefque à la place de la nature, et le forcé à la place du fimple; que le décorateur ne l'emporte point fur l'auteur, car alors au lieu de tragédies, on aurait la rareté, la curiofité.

La pièce qu'on foumet ici aux lumières des connaisseurs eft fimple, mais très-difficile à bien jouer; on ne la donne point au théâtre, parce qu'on ne la croit point affez bonne. D'ailleurs, prefque tous les rôles étant principaux, il faudrait un concertetun jeu de théâtre parfait pour faire fupporter la pièce à la représentation. Il y a

plufieurs tragédies dans ce cas, telles que Brutus, Rome fauvée, la Mort de Céfar, qu'il eft impoffible de bien jouer dans l'état de médiocrité où on laiffe tomber le théâtre, faute d'avoir des écoles de déclamation, comme il y en eut chez les Grecs et chez les Romains leurs imitateurs.

Le concert unanime des acteurs eft très-rare dans la tragédie. Ceux qui font chargés des feconds rôles ne prennent jamais de part à l'action, ils craignent de contribuer à former un grand tableau, ils redoutent le parterre, trop enclin à donner du ridicule à tout ce qui n'est pas d'usage. Très-peu favent diftinguer le familier du naturel. D'ailleurs, la miférable habitude de débiter des vers comme de la profe, de méconnaître le rhythme et l'harmonie, a presque anéanti l'art de la déclamation.

L'auteur, n'ofant donc pas donner les Scythes au théâtre, ne présente cet ouvrage que comme une très-faible efquiffe que quelqu'un des jeunes gens qui s'élèvent aujourd'hui pourra finir un jour.

On verra alors que tous les états de la vie humaine peuvent être représentés fur la scène tragique, en obfervant toujours toutefois les bienséances, fans lefquelles il n'y a point de vraies beautés chez les nations policées, et surtout aux yeux des cours éclairées.

220

PREFACE DE L'EDITION DE PARIS.

Enfin, l'auteur des Scythes s'eft occupé pendant quarante ans du foin d'étendre la carrière de l'art. S'il n'y a pas réussi, il aura du moins dans fa vieilleffe la confolation de voir fon objet rempli par des jeunes gens qui marcheront d'un pas plus ferme que lui dans une route qu'il ne peut plus parcourir.

Des Editeurs qui nous ont précédés immédiatement.

L'EDITION

'EDITION que nous donnons de la tragédie des Scythes eft la plus ample et la plus correcte qu'on ait faite jufqu'à préfent. Nous pouvons affurer qu'elle eft entièrement conforme au manufcrit d'après lequel la pièce a été jouée fur le théâtre de Ferney et fur celui de M. le marquis de Langallerie. Car nous favons qu'elle n'avait été compofée que comme un amusement de fociété, pour exercer les talens de quelques perfonnes de mérite, qui ont du goût pour le théâtre.

L'édition de Paris ne pouvait être auffi fidelle que la nôtre, puifqu'elle ne fut entreprise que fur la première édition de Genève, à laquelle l'auteur changea plus de cent vers, que le théâtre de Paris ni celui de Lyon n'eurent pas le temps de fe procurer. Pierre Pellet imprima depuis la pièce à Genève, mais il y manque quelques morceaux qui jufqu'à préfent n'ont été qu'entre nos mains. D'ailleurs, il a omis l'épître dédicatoire, qui eft dans un goût auffi nouveau que la pièce; et la préface, que les amateurs ne veulent pas perdre.

Pour l'édition de Hollande, on croira fans

[ocr errors]

peine qu'elle n'approche pas de la nôtre, les éditeurs hollandais n'étant pas à portée de confulter l'auteur.

Ceux qui ont fait l'édition de Bordeaux font dans le même cas; enfin, de huit éditions qui ont paru, la nôtre eft la plus complète.

Il faut de plus confidérer que dans presque toutes les pièces nouvelles, il y a des vers qu'on ne récite point d'abord fur la scène, foit par des convenances qui n'ont qu'un temps, soit par crainte de fournir un prétexte. à des allufions malignes. Nous trouvons, par exemple, dans notre exemplaire ces vers de Sozame à la troisième fcène du premier acte :

Ah! crois-moi, tous ces exploits affeux,
Ce grand art d'opprimer, trop indigne du brave,
D'être efclave d'un roi pour faire un peuple esclave,
De ramper par fierté pour se faire obéir,
M'ont égaré long-temps, et font mon repentir.

Il y a dans l'édition de Paris :

Ah! crois-moi, tous ces lauriers affreux,
Les exploits des tyrans, des peuples les misères,
Ces Etats dévastés par des mains mercenaires,
Ces honneurs, cet éclat, par le meurtre achetés,
Dans le fond de mon cœur je les ai déteftés.

Ce n'eft pas à nous à décider lefquels font les meilleurs; nous préfentons seulement ces deux leçons différentes aux amateurs qui font en état

« PreviousContinue »