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OCTAV E.

Je connais fon courage effréné;

Et Julie en l'aimant l'a déjà condamné.

ANTOINE.

Sa mort depuis long-temps fut par nous préparée;
Elle eft trop légitime, elle est trop différée.
C'eft vous qu'il attaquait, c'eft vous feul qui devez
Annoncer le deftin que vous lui réservez.

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OCTAVE, après un long filence.

Je fuis le maître de fon fort;

Si je n'étais que juge, il irait à la mort :

Je fuis fils de Céfar; j'ai son exemple à suivre.
C'eft à moi d'en donner.... Je pardonne; il doit vivre.
Antoine, imitez-moi : j'annonce aux nations

Que je finis le meurtre et les profcriptions;

Elles ont trop duré; je veux que Rome apprenne....

ANTOINE.

Que vous voulez fur moi laiffer tomber la haine,
Ramener les efprits pour m'en mieux éloigner,
Séduire les Romains, pardonner pour régner,

OCTA V E.

Non, je veux vous apprendre à vaincre la vengeance;
L'amour eft plus terrible, a plus de violence.
A mon âge, peut-être, il devait m'emporter;
Il me combat encore, et je veux le dompter.
Commençons l'un et l'autre un empire plus jufte.
Que l'on oublie Octave, et qu'on chérisse Augufte. (ee)
Soyez jaloux de moi; mais pour mieux effacer
Jufqu'aux traces du fang qu'il nous fallut verfer.
Pardonnons à Fulvie, à ces malheureux reftes
Des profcrits échappés à nos ordres funeftes;
Par les cris des humains laiffons-nous défarmer;
Et puiffe Rome un jour apprendre à nous aimer! (ff)
(à Julie.)

Je vous rends à Pompée, en lui rendant la vie ;
Il n'aurait rien reçu s'il vivait fans Julie.

Sois

(à Pompie.)

pour ou contre nous, brave ou fubis nos lois, Sans te craindre ou t'aimer je t'en laisse le choix. Soutenons à l'envi les grands noms de nos pères, Ou généreux amis, ou nobles adverfaires,

Si du peuple romain tu te crois le vengeur,

Ne fois mon ennemi que dans les champs d'honneur.
Loin du Triumvirat va chercher un refuge.

Je prends entre nous deux la victoire pour juge.
Ne verfons plus de fang qu'au milieu des hafards;
Je m'en remets aux dieux, ils font pour les Céfars.

JULIE.

Octave, eft-ce bien vous? eft-il vrai?

POMPÉ E.

Tu m'étonnes!

En vain tu deviens grand, en vain tu me pardonnes;
Rome, l'Etat, mon nom, nous rendent ennemis.
La haine qu'entre nous nos pères ont tranfmis
Eft par eux commandée, et comme eux immortelle.
Rome par toi foumise à fon fecours m'appelle.
J'emploîrai tes bienfaits, mais pour la délivrer:
Va, je la dois fervir, mais je dois t'admirer.

Fin du cinquième et dernier acte.

SUR LE TRIUMVIRAT, 1766.

(a) En cette ile funefte.

CETTE ile, où les triumvirs commencèrent les profcriptions, est dans la rivière Réno, auprès de Bononia, que nous nommons Bologne. Elle n'eft pas fi grande qu'elle semble l'être dans cette tragédie; mais je crois qu'on peut très-bien supposer, surtout en poësie, que l'île et la rivière étaient plus confidérables autrefois qu'aujourd'hui ; et surtout ce tremblement de terre dont il eft parlé dans Pline peut avoir diminué l'une et l'autre. Il y a dans l'hiftoire plufieurs exemples de pareils changemens produits par des volcans et par des tremblemens de terre. Ce fut dans ce temps-là même que la nouvelle ville d'Epidaure, fur le golfe Adriatique, fut renversée de fond en comble, et le cours de la rivière fur laquelle elle était fituée fut changé et très-diminué.

(b) Il épouse Octavie.

Il eft bon d'obferver qu'Antoine n'époula Octavie que long-temps après; mais c'eft affez qu'il ait été beau-frère d'Octave. Il ne répudia point Octavie, mais il fut fur le point de la répudier quand il fut amoureux de Cléopâtre, et elle mourut de chagrin et de colère.

(c) Octave vous aima.

Les hiftoriens difent que Fulvie fit les avances à Octave, et qu'il ne la trouva pas affez belle; ce qui paraît en effet par les vers licencieux qu'il fit contre Fulvie.

Quod f.... Glaphyram Antonius, hanc mihi pœnam

Fulvia conftituit, fe quoque uti f..........

Aut f..

....

...

aut pugnemus, ait ! quid quod mihi vitâ Carior eft ipsâ mentula, figna canant.

Cette abominable épigramme eft un des plus forts témoignages de l'infamie des mœurs d'Augufte. Peut-être l'auteur de la pièce en a-t-il inferé qu'Octave s'était dégoûté de Fulvie, ce qui arrive toujours dans ces commerces fcandaleux. Octave et Fulvie étaient également ennemis des mœurs, et prouvent l'un et l'autre la dépravation de ces temps execrables; et cependant Augufte affecta depuis des mœurs févères.

(d) Paffer Antoine même en fes emportemens.

11 eft très-vrai qu'Augufte fut long-temps livré à des débauches de toute espèce. Suétone nous en apprend quelques-unes. Ce même Sextus Pompée, dont nous parlerons, lui reprocha des faibleffes infames, effeminatum infectatus eft. Antoine, avant le Triumvirat, déclara que Cefar, grand-oncle d'Augufte, ne l'avait adopté pour fon fils que parce qu'il avait fervi à ses plaifirs; adoptionem avunculi ftupro meritum. Lucius lui fit le même reproche, et prétendit même qu'il avait pouffé la bassesse jufqu'à vendre fon corps à Hirtius pour une fomme très-considérable. Son impudence alla depuis jufqu'à arracher une femme consulaire à son mari, au milieu d'un fouper; il paffa quelque temps avec elle dans un cabinet voisin, et la ramena enfuite à la table, fans que lui, ni elle, ni son mari, en rougissent.

Nous avons encore une lettre d'Antoine à Auguste, conçue en ces mots : Ita valeas ut hanc epiftolam cùm leges, non inieris Teftullam, aut Terentillam, aut Ruffillam, aut Salviam, aut omnes. Anne refert ubi et in quam arrigas? On n'ofe traduire cette lettre licencieuse.

Rien n'est plus connu que ce scandaleux feftin de cinq compagnons de fes plaifirs avec fix principales femmes de Rome. Ils étaient habillés en dieux et en déeffes, et ils en imitaient toutes les impudicités inventées dans les fables :

Dum nova divorum cœnat adulteria.

Enfin, on le défigna publiquement fur le théâtre par ce fameux vers:

Videfne ut cinadus orbem digito temperet?

Prefque tous les auteurs latins qui ont parlé d'Ovide prétendent qu'Augufte n'eut l'infolence d'exiler ce chevalier romain, qui était beaucoup plus honnête homme que lui, que parce qu'il avait été furpris par lui dans un incefte avec fa propre fille Julie, et qu'il ne relégua même fa fille que par jalousie. Cela est d'autant plus vraisemblable que Caligula publiait hautement que sa mère était née de l'inceste d'Augufle et de Julie; c'est ce que dit Suétone dans la Vie de Caligula. On fait qu'Auguste avait répudié la mère de Julie le jour même qu'elle accoucha d'elle, et il enleva le même jour Livie à son mari, groffe de Tibère, autre monftre qui lui fuccéda. Voilà l'homme à qui Horace difait :

Res italas armis tuteris, moribus ornes,
Legibus emendes, &c.

Antoine n'était pas moins connu par fes débordemens effrénés. On le vit parcourir toute l'Appulie dans un char superbe traîné par des lions, avec la courtisane Githeris, qu'il careffait publiquement en infultant au peuple romain. Cicéron lui reproche encore un pareil voyage fait aux

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