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CASSANDRE.

Non, vous verrez bientôt cette jeune captive;
Vous-même jugerez s'il faut qu'elle vous suive,
S'il peut m'être permis de la mettre en vos mains.
Ce temple eft interdit aux profanes humains.
Sous les yeux vigilans des dieux et des déesses,
Olimpie eft gardée au milieu des prêtresses.
Les portes s'ouvriront quand il en fera temps.
Dans ce parvis ouvert au refte des vivans,

Sans vous plaindre de moi, daignez au moins m'attendre.
Des mystères nouveaux pourront vous y furprendre ;
Et vous déciderez fi la terre a des rois

Qui puiffent affervir Olimpie à leurs lois.

(il rentre dans le temple, et Softene fort.)

SCENE I I I.

ANTIGONE, HERM AS dans le périftile.

HERM A S.

SEIGNEUR, Vous m'étonnez: quand l'Afie en alarmes
Voit cent trônes fanglans difputés par les armes,
Quand des vaftes Etats d'Alexandre au tombeau
La fortune prépare un partage nouveau,
Lorfque vous prétendez au fouverain empire,
Une esclave eft l'objet où ce grand cœur afpire!

ANTIGONE.

Tu dois t'en étonner. J'ai des raifons, Hermas,
Que je n'ofe encor dire, et qu'on ne connaît pas.
Le fort de cette efclave eft important peut-être
A tous les rois d'Afie, à quiconque veut l'être,
A quiconque en fon fein porte un affez grand cœur
Pour ofer d'Alexandre être le fucceffeur.

Sur le nom de l'efclave, et fur fes aventures,
J'ai formé dès long-temps d'étranges conjectures.
J'ai voulu m'éclaircir : mes yeux dans ces remparts
Ont quelquefois fur elle arrêté leurs regards.

Ses traits, les lieux, le temps où le ciel la fit naître,
Les refpects étonnans que lui prodigue un maître,
Les remords de Caffandre, et fes obfcurs difcours,
A ces foupçons fecrets ont prêté des fecours.
Je crois avoir percé ce ténébreux myftère.

HERMA S.

On dit qu'il la chérit, et qu'il l'élève en père.

ANTIGONE.

Nous verrons.... Mais on ouvre, et ce temple facré
Nous découvre un autel de guirlandes paré.

Je vois des deux côtés les prêtreffes paraître;
Au fond du fanctuaire eft affis le grand-prêtre;
Olimpie et Caffandre arrivent à l'autel !

SCENE I V.

Les trois portes du temple font ouvertes. On découvre tout l'intérieur. Les prêtres d'un côté, et les prêtresses de l'autre, s'avancent lentement. Ils font tous vêtus de robes blanches avec des ceintures dont les bouts pendent à terre. CASSANDRE et OLIMPIE mettent la main fur l'autel. ANTIGONE et HERMAS reftent dans le périftile avec une partie du peuple qui entre par les côtés. (c)

CASSANDRE.

DIEU des rois et des dieux, Etre unique, éternel! Dieu qu'on m'a fait connaître en ces fêtes auguftes, Qui punis les pervers, et qui foutiens les juftes,

Près de qui les remords effacent les forfaits,
Confirmez, Dieu clément, les fermens que je fais.
Recevez ces fermens, adorable Olimpie ;

Je foumets à vos lois et mon trône et ma vie,
Je vous jure un amour aussi pur, auffi faint,
Que ce feu de Vesta qui n'est jamais éteint. (d)
Et vous, filles des cieux, vous, augustes prêtreffses,
Portez avec l'encens mes vœux et mes promesses
Au trône de ces dieux qui daignent m'écouter,
Et détournez les traits que je puis mériter.

OLIMPI E.

Protégez à jamais, ô Dieux en qui j'espère,
Le maître généreux qui m'a fervi de père,
Mon amant adoré, mon refpectable époux.
Qu'il foit toujours chéri, toujours digne de vous!
Mon cœur vous eft connu. Son rang et fa couronne
Sont les moindres des biens que fon amour me donne.
Témoins des tendres feux à mon cœur infpirés,
Soyez-en les garans, vous qui les confacrez.

Qu'il m'apprenne à vous plaire, et que votre justice
Me prépare aux enfers un éternel supplice
Si j'oublie un moment, infidelle à vos lois,
Et l'état où je fus, et ce que je lui dois.

CASSANDRE.

Rentrons au fanctuaire où mon bonheur m'appelle.

Prêtreffes, disposez la pompe folennelle,

Par qui mes jours heureux vont commencer leur cours;

Sanctifiez ma vie, et nos chaftes amours.

J'ai vu les dieux au temple, et je les vois en elle;
Qu'ils me haïllent tous fi je fuis infidelle !...
Antigone, en ces lieux vous m'avez entendu;
Aux vœux que vous formiez ai-je affez répondu?

Vous-même,

Vous-même, prononcez fi vous deviez prétendre
A voir entre vos mains l'efclave de Caffandre.
Sachez que ma couronne et toute ma grandeur
Sont de faibles préfens, indignes de fon cœur.
Quelque étroite amitié qui tous deux nous unisse,
Jugez fi j'ai dû faire un pareil facrifice.

(ils rentrent dans le temple, les portes fe ferment, le peuple fort du parvis.)

SCENE V.

ANTIGONE, HERMAS dans le périftile.

ANTIGONE.

VA, je n'en doute plus, et tout m'est découvert;

Il m'a voulu braver, mais fois sûr qu'il fe perd.
Je reconnais en lui la fougueuse imprudence
Qui tantôt fert les dieux, et tantôt les offense;
Ce caractère ardent qui joint la paffion
Avec la politique et la religion;

Prompt, facile, fuperbe, impétueux et tendre,
Prêt à fe repentir, prêt à tout entreprendre.
Il épouse une esclave! Ah! tu peux bien penser
Que l'amour à ce point ne faurait l'abaiffer.
Cette esclave eft d'un fang que lui-même il respecte.
De fes deffeins cachés la trame eft trop suspecte;
Il fe flatte en fecret qu'Olimpie a des droits
Qui pourront l'élever au rang de roi des rois.
S'il n'était qu'un amant, il m'eût fait confidence
D'un feu qui l'emportait à tant de violence.

Théâtre. Tome V.

B

Va, tu verras bientôt fuccéder fans pitié
Une haine implacable à fa faible amitié.

HERMA S.

A fon cœur égaré vous imputez peut-être

Des deffeins plus profonds que l'amqur n'en fait naître.
Dans nos grands intérêts, fouvent nos actions
Sont, vous le favez trop, l'effet des paffions:
On fe déguise en vain leur pouvoir tyrannique;
Le faible quelquefois passe pour politique;
Et Caffandre n'eft pas le premier fouverain
Qui chérit une esclave et lui donna la main.
J'ai vu plus d'un héros, fubjugué par fa flamme,
Superbe avec les rois, faible avec une femme.

ANTIGONE.

Tu ne dis que trop vrai; je pèfe tes raifons;
Mais tout ce que j'ai vu confirme mes foupçons.
Te le dirai-je enfin ? les charmes d'Olimpie
Peut-être dans mon cœur portent la jaloufie.
Tu n'entrevois que trop mes fentimens fecrets;
L'amour fe joint peut-être à ces grands intérêts:
Plus que je ne penfais leur union me blesse.
Caffandre eft-il le feul en proie à la faiblesse?

HERMA S.

Mais il comptait fur vous. Les titres les plus faints
Ne pourront-ils jamais unir les fouverains?
L'alliance, les dons, la fraternité d'armes,

Vos périls partagés, vos communes alarmes,
Vos fermens redoublés, tant de foins, tant de vœux,
N'auraient-ils donc fervi qu'au malheur de tous deux ?
De la fainte amitié n'eft-il donc plus d'exemples?

ANTIGONE.

L'amitié, je le fais, dans la Grèce a des temples;

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