LE PREMIER DES BEAUX-ARTS. 81 pour leur propre mesure; ils estiment et ils demandent qu'on estime leurs œuvres, à proportion qu'elles se rapprochent davantage de l'idéal poétique. Et le genre hu main fait comme les artistes. Quelle poésie! s'écria-t-on à la vue d'un beau tableau, d'une noble mélodie, d'une statue vivante et expressive. Ce n'est pas là une comparaison arbitraire; c'est un jugement naturel qui fait de la poésie le type de la perfection de tous les arts, l'art qui comprend tous les autres, auquel tous aspirent, auquel nul ne peut atteindre. Quand les autres arts veulent imiter les œuvres de la poésie la plupart du temps ils s'égarent, ils perdent leur propre génie, sans dérober celui de la poésie. Mais la poésie bâtit à son gré des palais et des temples, comme l'architecture; elle les fait simples ou magnifiques; tous les ordres lui obéissent ainsi que tous les systèmes; les différents âges de l'art lui sont égaux; elle reproduit, s'il lui plaît, le classique ou le gothique, le beau ou le sublime, le mesuré ou l'infini. Lessing a pu comparer, avec la justesse la plus exquise, Homère au plus parfait sculpteur, tant les formes que ce ciseau merveilleux donne à tous les êtres sont déterminées avec netteté! Et quel peintre aussi qu'Homère! Et, dans un genre différent, le Dante! La musique seule a quelque chose de plus pénétrant que la poésie; mais elle est vague, elle est bornée, elle est fugitive. Outre sa netteté, sa variété, sa durée, la poésie a aussi les plus pathétiques accents. Rappelez-vous les paroles que Priam laisse tomber aux pieds d'Achille en Îui redemandant le cadavre de son fils, puis certains vers de Virgile, des scènes entières du Cid et de Polyeucte, la prière d'Esther agenouillée devant Dieu, les chœurs d'Esther et d'Athalie. Dans le chant de Pergolèse, Stabat Mater dolorosa, on peut demander ce qui émeut le plus de la musique ou des paroles. Le Dies ira, dies illa, récité seulement, est déjà de l'effet le plus terrible. Dans ces paroles formidables, tous les coups portent pour ainsi dire: chaque mot renferme un sentiment distinct, une idée à la fois profonde et déterminée. L'intelligence avance à chaque pas, et le cœur s'élance à sa suite. La parole humaine, idéalisée par la poésie, a la profondeur et l'éclat de la note musicale; mais elle est lumineuse autant que pathétique; elle parle à l'esprit comme au cœur ; elle est en cela inimitable et inaccessible, qu'elle réunit en elle tous les extrêmes et tous les contraires dans une harmonie qui redouble leur effet réciproque, et où tour à tour comparaissent et se développent toutes les images, tous les sentiments, toutes les idées, toutes les facultés humaines, tous les replis de l'âme, toutes les faces des choses, tous les mondes réels et tous les mondes intelligibles! DELAVIGNE. (1793--1843.) Jean-François-Casimir DELAVIGNE, naquit au Hâvre. Peu de poëtes ont joui d'une plus éclatante et plus légitime popularité. Rien ne peut se comparer au succès des Messéniennes, si ce n'est celui de sa tragédie des Vêpres siciliennes. Le Paria, l'Ecole des Vieillards, Marino Faliero Louis XI, les Enfants d'Édouard, Don Juan d'Autriche, la Fille du Lid, la Popularité, etc., œuvres dramatiques non moins remarquables par la conception que par l'exécution, tiendront toujours un rang distingué dans notre riche répertoire. Après l'Ecole des Vieillards, il fut élu membre de l'Académie à l'unanimité des suffrages. Les Ballades italiennes, publiées après sa mort, ont révélé en lui un talent lyrique de premier ordre. Trois jours de Christophe Colomb. "En Europe! en Europe!-Espérez !-Plus d'espoir ! Il marche, et des trois jours le premier jour a lui; 11 marche, et le jour baisse ; avec l'azur de l'onde Le pilote en silence, appuyé tristement LOUIS XI ET SON MÉDECIN. Blanchit le pavillon de sa douce clarté : "Colomb, voici le jour ! le jour vient de renaître !" Qu'importe ? il est tranquille... Ah! l'avez-vous pensé ↑ Vous comprendrez alors que durant ces journées, La mort ! Le second jour a fui. Que fait Colomb? il dort; Il rêve: comme un voile étendu sur les mers, (Messéniennes.) Louis XI et son medecin. (Coictier, médecin, à Commines.; Il serait mon tyran, si je n'étais le sien. Vraiment, ne l'est-il pas ? sait-on ce qu'on m'envie ? Ment lorsqu'il se dit libre, et porte un joug d'airain. 89 Je ne m'appartiens pas; un autre me possède: Je raille sans pitié ses efforts superflus Pour jouer à mes yeux la force qu'il n'a plus. Je lui rends en terreur l'ennui dont il m'accable; Le chien du Louvre. (Louis XI.) Passant, que ton front se découvre ! C'était le jour de la bataille ; Le plomb tous deux vint les atteindre; LE CHIEN DU LOUVRE. Morne, vers le brave il se penche, Sur le corps de son frère d'armes Des morts voici le char qui roule, L'œil abattu, l'oreille basse, Au bord de la fosse avec peine, Et la gloire y jette son maître, Gardien du tertre funéraire, Et, fuyant la main qui l'attire, Quand sur ces touffes d'immortelles Son œil se ranime, il se dresse, Au vent des nuits quand la couronns I veut que son maitre l'entendə: Si la neige, avec violence, De ses flocons couvre en silence Il pousse un cri lugubre et tendre, |