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LE XVIII SIECLE.

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Et le père qui s'était défié de la Providence, raconta le soir à l'autre père ce qu'il avait vu.

Et celui-ci lui dit: "Pourquoi s'inquiéter? Jamais Dieu n'abandonne les siens. Son amour a des secrets que nous ne connaissons point. Croyons, espérons, aimons et poursuivons notre route en paix.

"Si je meurs avant vous, vous serez le père de mes enfants; si vous mourez avant moi, je serai le père des vôtres.

"Et si, l'un et l'autre, nous mourons avant qu'ils soient en âge de pourvoir eux-mêmes à leurs nécessités, ils auront pour père le Père qui est dans les cieux.”

(Paroles d'un croyant.).

DE BARANTE.
(1782—1866.)

Antoine-Guillaume-Prosper Brugière, baron DE BARANTE, né à Riom, entra très-jeune dans l'administration, et se fit de très-bonne heure connaître dans les lettres. A ses devoirs politiques, qui absorbaient la plus grande partie de son temps, il ne sacrifia jamais ses études ni ses Occupations littéraires. Conseiller d'Etat, directeur général, député, pair de France ou ambassadeur, il resta toujours homme de lettres, et c'est pendant l'exercice des plus importantes fonctions politiques qu'il publia l'Histoire des ducs de Bourgogne. Cet ouvrage lui mérita les suffrages de l'Académie française, qui l'appela, en 1828. Nous nous contenterons de citer parmi les nombreux ouvrages de M. de Barante: la Littérature française pendant le dix-huitième siècle, les Etules littéraires et historiques, et le Parlement et la Fronde.

Le XVIIIe Siècle.

Reprenons rapidement la marche que nous avons suivie dans nos réflexions sur le cours de l'esprit humain pendant le dix-huitième siècle.

La fin du règne de Louis XIV vit disparaître les hommes qui avaient contribué à illustrer ce monarque Prive de l'éclat qu'ils répandaient sur lui, il perdit, avant sa fin, par ses fautes et ses malheurs, l'admiration et le respect des peuples; il vit son ouvrage se détruire, et comme il avait tout attaché à sa personne, il put aper

La

cevoir qu'après sa mort il ne resterait plus rien de lui. A peine, en effet, est-il expiré qu'on voit éclater tous les désordres qui fermentaient depuis quelques années. licence succède rapidement à la contrainte qui vient de cesser. La littérature, qui d'abord avait paru ne pas devoir survivre à ceux qui l'avaient honorée dans le siècle précédent, se réveille après un court moment d'inertie; mais elle a commencé à prendre une face nouvelle; scn caractère n'est déjà plus le même; ceux qui la cultivent n'ont pas non plus les mêmes mœurs et le même esprit que leurs devanciers.

Bientôt ces changements deviennent plus marqués; les lettres participent à l'esprit de licence de la société. Un génie ardent s'asservit à toutes les opinions naissantes, les flatte d'abord, puis les prévient et les accélère; il brille sur la scène, et l'enrichit de chefs-d'œuvre nouveaux. La poésie, dans sa bouche, acquiert tout le charme de la facilité et de l'élégance; son activité s'essaie à tous les genres de succès: il les obtient presque tous, et souvent il les mérite; ses ouvrages ont tous la même direction; ils attestent le goût et l'esprit des contemporains. Un autre écrivain,† plus grave et plus profond, cache aussi, sous une écorce plus secrète, une grande conformité avec le cours général des esprits; il dirige l'attention publique sur les matières de gouvernement et de politique, et s'y montre habile et sage.

Cependant peu à peu le sort des hommes de lettres a changé; ils sont devenus plus nombreux, ils ont acquis plus d'indépendance, et leur place a pris plus d'importance dans la société. Leur vanité s'en accroît, et leurs opinions se ressentent de ce changement. La résistance qu'on croit leur devoir opposer est faible et mal dirigée ; elle ne sert qu'à augmenter leurs dispositions hostiles. Forts de l'opinion publique et de l'accueil flatteur de l'Europe entière, ils se réunissent et forment une sorte de secte dont les membres ne professent pas des opinions arrêtées et uniformes, mais qui, animées du même esprit, tendent à produire le même effet.

Dans cette secte naît une nouvelle philosophie: l'homme

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LE XVIII SIÈCLE.

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est envisagé sous un point de vue différent; une métaphy sique plus claire et moins élévée est adoptée; on la croit démontrée; la morale et la politique s'étonnent de voir leurs principes s'élever sur des bases nouvelles: la reli gion est attaquée avec violence; toutes ces opinions se disséminent dans les livres particuliers de chaque écrivain, et se réunissent en un seul et vaste corps d'ouvrage, entrepris dans des vues utiles, mais exécuté ensuite dans une autre intention. L'ordre social concourt merveilleusement avec ce progrès des opinions; l'autorité est sans force, sans action régulière; la nation est sans gloire, la religion sans apôtres, la morale pratique a disparu avant même qu'on ait essayé d'ébranler ses principes.

Un philosophe* se sépare entièrement des autres, et même se déclare leur ennemi; plus éloquent, plus enthousiaste que ce qui l'entoure, il arrive au même but par une voie différente; il attaque avec passion les lois de la société et les devoirs qu'elle impose; bien qu'il soit le défenseur des vertus et des nobles sentiments, il veut conduire par une route dangereuse.

Les sciences, qui, dans le commencement du siècle, ont procédé avec patience, mais sans succès éclatants, deviennent tout à coup un haut titre de gloire pour la nation. Un homme profond dans les sciences exactes † en montre la marche et l'esprit, les envisage d'un coup d'œil philosophique, et trace peut-être le chemin à tous ceux qui s'y sont tant illustrés depuis.

Les sciences naturelles sont embrassées par un écrivain qui les expose avec génie et leur prête un langage éloquent. Après lui, elles adoptent une autre marche, elles font de rapides progrès, s'avancent de découverte en découverte, se divisent en théories claires et ingénieuses, et deviennent plus répandues et plus utiles. La nouvelle métaphysique aide à tous ces succès; elle est entièrement conforme à l'esprit des sciences de faits et de démonstration abstraite.

Pendant ce temps, les lettres déclinent; il n'apparait plus de ces esprits pleins de force, qui leur impriment un mouvement nouveau; l'art dramatique déchoit; la poésie

* Rousseau.

† D'Alembert.

+ Buffon.

perd la grandeur et ne conserve plus que la grâce. Les prosateurs sont plus heureux; ils montrent du sens, de la facilité, de l'élégance, et ne sont faibles que quand ils veulent atteindre à la haute éloquence. Une foule d'écrits utiles et instructifs se répandent; le savoir devient plus facile à acquérir; mais, précisément pour cette raison, il a souvent plus d'apparence que de réalité.

Un nouveau règne commence; cette circonstance allume les désirs du changement; on aspire à un état nouveau, toutes les pensées s'y dirigent, et les lettres participent aussi à ce retour de force et d'activité. Cet élan présente un noble aspect; on se plaît à voir cette ardeur de tant d'hommes vertueux et éclairés pour le bien de leur pays; mais les meilleurs esprits s'égarent en de vaines illusions. Jamais on n'a eu tant de vanité et d'assurance; on veut détruire sans savoir précisément pourquoi; on veut tout créer de nouveau, dédaignant ce que le passé a légué. Ces folles prétentions sont punies. Tout s'écroule, rien ne se répare; une longue suite de malheurs vient apporter l'expérience, rabattre l'orgueil des opinions, et inspirer le désir du repos. Enfin arrive un nouvel état de choses qui, après quelques incertitudes de l'esprit humain, lui imprimera une direction que l'on ne peut entrevoir tant qu'il sera encore troublé par le souvenir trop présent de nos déplorables agitations.

Ainsi s'est écoulé le dix-huitième siècle. Quand, par la rapide succession des temps, un grand nombre de périodes pareilles aura passé sur les tombeaux des hommes et peut-être sur ceux des peuples, ce siècle ne demeurera pas inconnu dans la foule des siècles écoulés; il ne sera pas confondu avec ceux qui ne rappellent aucun souvenir dans la mémoire des hommes. La marche de l'esprit humain, le but où il est parvenu y ont été si remarquables qu'il attirera toujours les regards de la postérité. Ce n'est pas enfin de renommée qu'il aura manqué; et s'il était permis de former un vou pour un avenir dont une faible partie seulement nous appartient, nous souhaiterions que le siècle qui commence, ce siècle que nous avons vu naître et qui nous verra tous mourir, apportât à nos fils et à leurs enfants, non plus de gloire et d'éclat, mais plus de vertu et moins de malheurs.

HISTOIRE DU CHIEN DE BRISQUET.

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CHARLES NODIER.

(1783-1844.)

Charles NODIER naquit à Besançon. Grammairien et philologue eminent, poëte agréable et conteur charmant, il réussit dans tous les genres vèrs lesquels le porta son aspiration, ou sa fantaisie. Il nous a laissé des œuvres de pure philologie qui sont des chefs-d'œuvre de sagacité, de bon sens et de bon goût, des romans justement classés parmi les productions les plus classiques de notre langue; c'était un écrivain de la meilleure école, aussi remarquable par sa raison que par son esprit, et que l'Académie s'empressa d'admettre en son sein après la mort d'Andrieux en 1833. Le Dictionnaire des onomatopées, Jean Sbogar; Thérèse Aubert, Trilby, les Souvenirs de la Révolution et de l'Empire, les Contes fantastiques, sont des œuvres qu'on aime à relire après les avoir lues vingt fois.

Histoire du chien de Brisquet.

En notre forêt de Lions, vers le hameau de la Goupillière, tout près d'un grand puits-fontaine qui appartient à la chapelle Saint-Mathurin, il y avait un bonhomme, bûcheron de son état, qui s'appelait Brisquet, ou autrement le fendeur à la bonne hache, et qui vivait pauvrement du produit de ses fagots, avec sa femme qui s'appelait Brisquette. Le bon Dieu leur avait donné deux jolis petits enfants, un garçon de sept ans qui était brun, et qui s'appelait Biscotin, et une blondine de six ans qui s'appelait Biscotine. Outre cela, ils avaient un chien bâtard à poil frisé, noir par tout le corps, si ce n'est au museau qu'il avait couleur de feu; et c'était bien le meilleur chien du pays, pour son attachement à ses maîtres.

On l'appelait la Bichonne, parce que c'était une chienne. Vous vous souvenez du temps où il vint tant de loups dans la forêt de Lions. C'était dans l'année des grandes neiges, que les pauvres gens eurent si grand'peine à vivreCe fut une terrible désolation dans le pays.

Brisquet, qui allait toujours à sa besogne, et qui ne craignait pas les loups, à cause de sa bonne hache, dit un matin à Brisquette: "Femme, je vous prie de ne laisser courir ni Biscotin, ni Biscotine, tant que Monsieur le grand louvetier ne sera pas venu. Il y aurait du danger pour eux. Ils ont assez de quoi marcher entre la butte et l'étang, depuis que j'ai planté des piquets le long de

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