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HISTOIRE DE COLOMBA.

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haine qu'elle a pour Barricini s'unissent et se confondent; les deux sentiments n'en font qu'un comme dans Électre. Ce que l'amour fraternel inspire à Colomba sert aussi à sa rancune, et ce que la rancune lui conseille sert aussi à l'amour fraternel; quand son frère passe devant la maison des Barricini, Colomba a soin de le couvrir de son corps; en même temps elle excite sa colère et sa haine contre ses ennemis par tous les moyens qu'elle peut inventer, bons et mauvais. Elle le mène à la place où son père a été tué; puis, de retour à la maison, elle lui montre une chemise couverte de larges taches de sang: "Voici la chemise de notre père, Orso,"-et elle la jeta sur ses genoux; -"voici le plomb qui l'a frappé,"-et elle posa sur la chemise les deux balles oxydées. "Orso, mon frère, criat-elle en se précipitant dans ses bras et l'étreignant avec force, Orso, tu le vengeras!"

Malgré sa répugnance pour la vendetta, Orso, excité par sa sœur et par l'opinion de ses compatriotes, et de plus attaqué dans la montagne par les deux fils de l'avocat Barricini, les tue et accomplit la vengeance de Colomba. Mais il est forcé, dans les premiers moments, de se cacher dans les macchi, c'est-à-dire dans les broussailles impénétrables qui, en Corse, servent de retraite aux banditi. C'est alors qu'éclate plus vivement que jamais l'amour de Colomba pour son frère. Quelles vives angoisses quand elle apprend qu'il a dû rencontrer ses ennemis dans la montagne! Quelle émotion quand Celina, la nièce d'un des bandits près desquels Orso s'est réfugié, arrive montée sur le cheval d'Orso. "Mon frère est mort!" s'écria Colomba d'une voix déchirante... Tous coururent à la porte de la maison. Avant que Celina pût sauter à bas de sa monture, elle était enlevée comme une plume par Colomba, qui la serrait à l'étouffer. L'enfant comprit son terrible regard, et sa première parole fut: Il vit ! Colomba cessa de l'étreindre, et Celina tomba à terre aussi lestement qu'une jeune chatte.

Les autres ? demanda Colomba d'une voix rauque. Celina fit le signe de la croix avec l'index et le doigt du milieu. Aussitôt une vive rougeur succéda, sur la figure de Colomba, à sa pâleur mortelle; elle jeta un regard ardent sur la maison de Barricini, et dit en souriant à ses hôtes: "Rentrons prendre le café.”

(Cours de littérature dramatique.)

DE SACY.

(1801.)

Sylvestre de SACY, né à Paris, se fit d'abord connaître au barreau, qu'il abandonna bientôt pour la littérature. En 1825, il entra au Journal des Débats, dont il devint bientôt un des rédacteurs les plus remarqués et les plus remarquables. Les nombreux articles qu'il y a publiés pendant plus de trente ans ne se distinguent pas moins par la pureté et la solidité des principes que par l'éclat et la simplicité du style. M. de Sacy est de la race des grands écrivains, et l'Académie, en l'appelant en 1855 à prendre place dans ses rangs, a fait un choix qui l'honore et auquel tous les hommes de lettres ont applaudi.

L'Amateur de bouquins.

Ne vous y trompez pas, l'amateur de bouquins existe et plus passionné qu'un autre peut-être. L'amateur de bouquins n'est pas pour moi l'homme modeste qui se contente de livres d'une condition ordinaire, mais propres, complets et honnêtement recouverts: celui-là est l'homme raisonnable; ce n'est pas un amateur. Je parle du collecteur de livres salis, dépareillés, déguenillés, bons à mettre au lazaret, s'il y avait un lazaret pour les livres. Comme vous trouvez au haut de l'échelle le bibliophile d'un goût rigoureux et impitoyable, qui repousse le plus beau livre dès qu'il y découvre le plus pardonnable défaut, vous trouvez tout au bas l'amateur des livres à trois sous, à cinq sous au plus, à dix les jours de folie. Il existe, encore une fois, cet amateur, je le connais; homme d'esprit et de goût en tout autre chose, galant homme et d'un aimable commerce, bon fils, bon mari, bon père, excellent camarade, il n'a l'esprit et le goût dépravés qu'en fait de livres. Il lui faut du laid et du bon marché comme il nous faut à nous du cher et du beau; et si nous nous moquons de lui, soyez tranquille, il nous le rend bien et n'a pour nos magnificences qu'un sourire d'ironique pitié . . ́. Hélas! passons nous nos défauts. Qui n'a pas les siens ? (Variétés littéraires.)

Vente d'une Bibliothèque.

Encore bien peu de jours, et cette belle bibliothèque n'existera donc plus! Ces livres vont se partager entre

A UN JEUNE ECCLÉSIASTIQUE.

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mille mains étrangères et sortir de ce petit cabinet où ils étaient gardés avec un soin si tendre. D'autres bibliothè ques s'en enrichiront pour être dispersées à leur tour. Triste sort des choses humaines! O mes chers livres! un jour viendra aussi où vous serez étalés sur une table de vente, où d'autres vous achèteront et vous posséderont, possesseurs moins dignes de vous peut-être que votre maître actuel! Ils sont bien à moi pourtant, ces livres; je les ai tous choisis un à un, rassemblés à la sueur de mon front, et je les aime tant! Il me semble que par un si long et si doux commerce ils sont devenus comme une portion de mon âme! Mais quoi? Rien n'est stable en ce monde, et c'est notre faute si nous n'avons pas appris de nos livres eux-mêmes à mettre au-dessus de tous les biens qui passent et que le temps va nous emporter, le bien qui ne passe pas, l'immortelle beauté, la source infinie de toute science et de toute sagesse.

(Variétés littéraires.)

LACORDAIRE.

1802-1863.

Jean-Baptiste-Henri LACORDAIRE, né à Recey-sur-Ource, a illustré la chaire, et de longtemps l'éloquence sacrée n'aura un interprète aussi heureusement inspiré. Ses Conférences religieuses resteront parmi les monuments littéraires les plus remarquables de ce siècle, et les Oraisons funibres qu'il a prononcées peuvent être placées auprès des chefs-d'œuvre des orateurs chrétiens du dix-septième siècle. En 1839, il se fit dominicain au couvent de La Minerve; en 1850, il fut nommé provincial de tous les couvents dominicains de France, et quatre ans après, lorsque ses fonctions cessèrent, il prit la direction du college Sorrèze, et se consacra exclusivement à l'éducation de la jeunesse.

A un jeune ecclésiastique.

Mon bien cher, vous montez à cheval dans la forêt de Compiègne avec l'habit religieux, et vous le trouvez tout simple. Certainement un prêtre peut monter à cheval pour l'exercice de son ministère; il y a

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des pays de montagnes où c'est la seule manière de voyager, et des évêques mêmes ne se font pas scrupule de parcourir ainsi les parties abruptes de leur diocèse; mais monter à cheval pour son plaisir, comme les fils de familles riches, qui vont passer la soirée au bois de Boulogne, je. vous avoue que la chose me semble hardie dans un religieux. Le cheval donne de l'orgueil; il est une habitude de luxe; croyez-vous que Jésus-Christ soit bien aise de vous voir à cheval, lui qui est entré à Jérusalem sur un âne? Ce n'est pas précisément qu'un ecclésiastique ne puisse se tenir convenablement sur un cheval; mais porteriez-vous un habit écarlate avec des franges d'or, supposé que ce fût encore la mode en France? Votre cœur serait-il insensible à la pensée que vous êtes vêtu comme les riches et les grands de ce monde? Quand M. de Rancé se convertit à Dieu, il vendit ses chevaux, ses voitures, quitta les habits magnifiques qu'il avait coutume de porter, et il enveloppa de deuil un corps qu'il avait longtemps consacré au péché. N'est-ce pas là le mouvement de l'âme recueillie et pénitente? Croyez-vous qu'un jeune incrédule qui vous verrait à cheval serait tenté, le soir, de se mettre à genoux devant vous et de vous découvrir les misères de son cœur? Non, je ne le pense pas. Un homme à cheval est trop haut pour qu'on se mette à genoux devant lui. Il faut s'abaisser pour qu'on puisse obtenir des abaissements. Il est raconté dans la vie d'un de nos bienheureux qu'un jour il parcourait une ville à cheval avec ses amis: Dieu, qui le voulait avoir, le jeta par terre dans la boue, et ce fut l'occasion de son salut et de sa sainteté.

Ce qui est certain, c'est que si je vous avais trouvé dans la forêt de Compiègne sur votre cheval, je vous aurais bien donné une douzaine de coups de cravache, en ma qualité de votre père et de votre ami; ceci ne m'empêche pas de vous embrasser bien tendrement."

(Correspondance.)

CONSEILS A UN ENFANT.

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VICTOR HUGO.

(1802.)

Victor Hugo, est né à Besançon. Le lyrisme est son véritable élé ment: ses Odes et Ballades (1822 à 1824), les Orientales (1829), les Chants du crépuscule (1835), les Rayons et les ombres, les Voix inté rieures (1837), et surtout ses charmantes Feuilles d'automne (1831) en font foi; ce dernier ouvrage est peut-être ce que la muse française a jamais produit de plus délicat et de plus suave. Les Orientales, poésies souvent bizarres, mais singulièrement pittoresques, furent reçues avec le plus grand enthousiasme. Le but de l'auteur, en les écrivant, était de prouver à ses détracteurs, combien la langue française, dégagée des entraves dont on l'avait chargée, est flexible; comment sous une plume habile elle se prête également à tous les tons. Le succès qu'il s'en était promis fut complet; mais on doit convenir qu'à côté des plus grandes beautés, on trouve quelquefois des futilités, des jeux d'esprit qui tranchent du mauvais goût.

Les Drames en vers et en prose de M. Victor Hugo, qui ont eu un moment de vogue à cause de leur étrangeté, prouvent jusqu'à l'évidence, quoiqu'on y trouve un grand nombre de belles scènes, que le poëte manque des principales qualités dramatiques. Ajoutons à cela qu'il ne met en scène que des personnages imaginaires et faux, qu'il mutile l'histoire et qu'il ne recule pas devant les situations les plus horribles et les plus licencieuses. On peut citer Cromwell (1827), Hernani, Marion Delorme (1829), Marie Tudor (1833), Angélo (1835).

Les Romans de M. Victor Hugo sont composés dans le même système que ses drames. Les deux plus remarquables sont les Derniers jours d'un condamné (1829) et Notre-Dame de Paris (1831). Ce dernier roman, qui a été fort admiré et qui a mérité la censure de Rome, contient de nombreux traits de génie, une belle peinture de l'architecture du moyen âge, un grand fracas d'hommes et de mœurs, que l'on dit appartenir aux temps anciens, et qui, en réalité, ne sont d'aucun temps.

Convenons pourtant qu'en prose comme en vers, M. Victor Hugo est un grand artiste. Quand il veut écrire avec mesure, il a des pages comparables aux plus belles productions des grands maîtres. Mais, en général, le style chez lui s'enrichit trop aux dépens de l'idée et du sentiment.

Parmi les derniers ouvrages de Victor Hugo, nous remarquons les Burgraves (1843), les Contemplations (1856), la Légende des siècles (1859), enfin les Misérables (1862), et les Travailleurs de la Mer (1866).

Conseils à un Enfant.

Он! bien loin de la voie
Où marche le pécheur,
Chemine où Dieu t'envoie!
Enfant garde ta joie !
Lis! garde ta blancheur !

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