Page images
PDF
EPUB

840.5

G523

1879

V. I

recat. 11-24-32 YEP

AVANT-PROPOS.

Malgré la réputation justement méritée de la Grammaire des Grammaires, ou plutôt à cause de cette réputation même, il nous a semblé qu'une révision complète de l'ouvrage était devenue indispensable après la publication du nouveau Dictionnaire de l'Académie française. Depuis longtemps en effet une révolution grammaticale, préparée par Voltaire, s'était successivement opérée dans l'usage, et avait changé les anciennes règles de l'orthographe 2; mais la résistance de l'Académie s'était prolongée : l'innovation, par degrés victorieuse, n'avait pas encore obtenu la sanction de son suffrage; et M. Girault-Duvivier, d'accord en cela avec les grammairiens les plus recommandables, était resté fidèle à la tradition et à l'autorité.

Enfin, en 1835, la réforme a définitivement triomphé dans le nouveau Dictionnaire. La question est désormais tranchée d'une manière irrévocable: la règle existe; et l'on ne peut plus hésiter à s'y soumettre. Voilà un premier chan gement, devenu nécessaire, qui signalera cette nouvelle édition.

D'autres encore étaient également indispensables. L'Académie venait de constater l'état de notre langue, d'en marquer les progrès ou les vicissitudes, de décider ce que l'usage présent admet ou rejette. Elle s'était prononcée sur un grand nombre de questions jusque alors contestées ou in

[blocks in formation]

décises; elle avait dans son œuvre rempli des lacunes, réparé des omissions, corrigé quelques erreurs peut-être. Et ce travail plus complet, plus approfondi, échappait de toutes parts aux observations judicieuses faites auparavant par M. Girault-Duvivier ses critiques, qui n'avaient pas élé inutiles sans doute, perdaient ainsi toute justesse et tout àpropos. Il fallait donc modifier la forme, en conservant le fond des choses; il fallait répandre aussi sur tout l'ensemble les lumières de l'Académie.

Alors il devenait plus facile de donner une solution fornelle à certaines difficultés que, par une défiance trop modeste, l'auteur de la Grammaire des Grammaires n'avait pas osé trancher de lui-même. Sans doute dans quelques questions épineuses où les avis sont partagés, où les raisons se balancent, on ne doit se prononcer qu'avec la plus grande réserve. Mais enfin les grammaires ne sont pas faites seulement pour les esprits éclairés; elles sont faites surtout pour ceux qui veulent s'instruire et qui ne peuvent tout d'abord se décider par leurs propres lumières. Or, comme dans toute question il est rare qu'il ne se trouve pas, pour l'homme exercé, des raisons plus frappantes d'un côté que de l'autre, qui donc jugera, si ce n'est le grammairien? que peuvent faire les élèves, si leur guide reste indécis? Et les maîtres eux-mêmes, qui n'ont pas toujours le loisir d'approfondir chaque difficulté, sont bien aises de rencontrer un jugement arrêté et mûrement réfléchi.

Nous avons donc, dans tous les cas, énoncé une opinion motivée; mais comme à des raisons plausibles on peut souvent opposer des raisons à peu près également plausibles, nous nous sommes presque toujours appuyé sur l'autorité de l'Académie, le seul tribunal, après tout, qui puisse prononcer valablement dans ces matières.

Ainsi donc, en général, la décision de l'Académie est

pour nous comme l'arrêt définitif sur toute difficulté. Nous savons bien que l'Académie elle-même n'est pas infaillible : une ou deux fois peut-être nous avons cru devoir nous séparer d'elle et combattre son opinion. Mais, à tout prendre, c'est encore l'autorité la plus sûre et la mieux établie. Dans les choses d'usage, par exemple, qui mieux qu'elle a le droit de décider? L'assertion d'un grammairien peut toujours être balancée par l'assertion d'un autre : l'Académie seule peut affirmer, parce qu'elle est un centre de lumières et qu'elle a mission pour juger. La logique, dirat-on, est au dessus de l'Académie. Oui, sans doute; mais la grammaire est avant tout une science d'interprétation et d'habitude. Que de points de vue divers elle présente ! que d'exceptions! que d'anomalies ! Et quelle influence n'exerce pas l'usage, cet arbitre si puissant de notre langue!

Nous sommes d'autant plus disposé à reconnaître l'autorité de l'Académie qu'elle-même ne pose pas de règles, n'établit pas de lois. Elle ne veut et ne peut rien changer à la Grammaire; tous ses efforts tendent à faire avec scrupule et discernement l'inventaire de la langue, en un mot, à bien constater pour chaque époque ce qu'admet un usage constant et légitime.

Notre langue en effet, comme toute langue parlée, ne peut rester stationnaire. Certes elle a son génie bien fixé, sa marche arrêtée, ses formes constantes. Mais dans tout idiome il se trouve une partie, pour ainsi dire, vivante, animée, progressive; il y a certaines locutions qui naissent et qui meurent tour à tour; verborum vetus interit ælas (Horace). Sans cesse les hommes et les nations changent, les idées s'ouvrent de nouvelles voies. Il faut bien que le langage, interprète de ces besoins nouveaux, réponde à toutes les impressions de l'âme, à tous les mouvements des sens, et subisse toutes les transformations de la pensée humaine,

a.

si mobile et si variée. Que d'idées et, par suite, que de mots ne crée pas chaque jour le progrès de l'industrie et de la science! Combien dans notre âge même la langue oratoire 'a-t-elle pas ressenti l'influence des révolutions!

Les Dictionnaires, à leur tour, et la Grammaire ellemême ne peuvent done être immuables. Mais la science grammaticale doit avoir ses temps d'arrêt. L'Académie par ses décisions la fixe pour une époque, jusqu'à ce que la marche des choses ait établi de nouveaux rapports et de nouvelles expressions. De là vient que, malgré cette mobilité continuelle, les règles de la Grammaire cependant ne sont jamais incertaines. On voit bien, d'ailleurs, que nous ne parlons ici que des formes variables, de la surface en quelque sorte, et non du fond de la langue qui, une fois fixée, doit rester immuable sous peine de décadence et de corruption.

Mais l'usage, en français, agit de deux manières distinctes et positives. Si dans la forme extérieure il marque les âges et les vicissitudes de notre idiome, il en constitue également au fond la physionomie et le caractère. Le français n'est pas un langage primitif et né de lui-même. Il est sorti des ruines du latin mêlé à d'autres idiomes, apportés ou confondus par la conquête. Ainsi quand, d'un côté, l'instinet du bon sens général, l'esprit vif et lucide de la nation, donnaient à notre langue une marche ferme, précise et régulière; d'un autre côté, le mélange de langages divers, les formes conservées ou introduites, le développement des idées nouvelles, tout ce travail enfin a dû laisser des traces confuses et donner naissance à mille irrégularités qu'on ne peut expliquer aujourd'hui que par l'usage. De là tant d'exceptions dont la raison nous échappe; tant d'idiotismes qu'il faut admettre en aveugle, parce qu'il serait trop difficile et trop hasardeux d'en vouloir rendre compte; enfin

« PreviousContinue »