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prier. La même figure de style se retrouve dans cet autre vers de Racine :

Je ne vois plus que vous qui la puisse défendre. (Iphigénie, III, 5, variante.) A l'appui de cette forme, nous citerons la différence signalée par M. Dessiaux entre ces deux phrases: Il n'y a que vous qui aimiez votre épouse, c'est-à-dire, elle n'est aimée que de vous; et il n'y a que vous qui aime son épouse, c'est-à-dire, vous êtes le seul homme qui aime son épouse. Mais dans toutes ces phrases, l'ellipse ne peut porter que sur un mot habituellement employé, et jamais on ne fait usage que du singulier personne. C'est donc à tort que la Grammaire nationale soutient le pluriel dans ce vers de Molière :

Et ne verrons que nous qui sachent bien écrire.

car on ne dit pas ordinairement nous ne verrons d'autres personnes que nous qui sachent, mais bien personne autre qui sache, etc. Ne perdons pas de vue non plus que cette tournure est une exception.

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A. L.

3o On dira: Vous parlez comme un homme QUI ENTEND la matière, et non pas QUI ENTENDEZ la matière. (DOMergue). Vous parlez en hommes, ou comme des hommes QUI S'Y CONNAISSENT, et non pas en hommes, ou comme des hommes QUI VOUS Y CONNAISSEZ. (LEmare.) Ce ne sont pas des gens comme vous, messieurs, QUI SE PERMETTENT d'affirmer, et non pas QUI VOUS PERMETTEZ. (Le même.) Paris est fort bon pour un homme comme vous, monsieur, QUI PORTE un grand nom et qui le soutient, et non pas QUI PORTEZ et QUI LE SOUTENEZ. (VOLTAIRE, lett. 470); parce que, dans chacune de ces phrases, le relatif qui ne représente pas le pronom, il représente le substantif qui le précède immédiatement et que l'on peut sous-entendre après lui; et, en effet, c'est comme si l'on disait : Vous parlez comme un homme, LEQUEL HOMME entend la matière. Vous parlez en hommes, LESQUELS HOMMES s'y connaissent. Paris est fort bon pour un homme, LEQUEL HOMME, etc., etc.

Ce substantif que l'on est censé répéter après lequel dans ces phrases en est donc réellement le sujet; et alors c'est lui qui a seul le droit de communiquer au verbe la personne et le nombre.

L'exemple des meilleurs écrivains vient fortifier cette règle. Boieau a dit (dans une de ses lettres à M. le duc de Vivonne) : « Êtes« vous encore ce même grand seigneur qui venait souper chez un « misérable poëte? » — Rousseau (Nouvelle Héloïse, p. 259, t. 1). Je suis sûr que de nous quatre tu es le seul qui puisse lui suppo<< ser du goût pour moi. »

Rotrou (Iphig., act. IV, sc. 3):

S'il vous souvient pourtant que je suis la première,

Qui vous ait appelé de ce doux nom de père.

Montesquieu (Lett. pers.): « Tu étais le seul qui put me dé

« dommager de l'absence de Rica. »-Voltaire (lett. à M. Caperonnier, juin 1762): « Je suis l'homme qui accoucha d'un œuf. » Le même flett. à M. Walpole) : « Ma destinée a encore voulu que je fusse le pre

mier qui ait expliqué à mes concitoyens les découvertes du grand << Newton. » Le même : « Je pense que vous et moi nous avons été «<les seuls qui aient prévu que la destruction des jésuites les rendrait << trop puissants. » -Fénelon (Dial. de Pithias et de Denis): « Sou« viens-toi que je suis le seul qui t'a déplu. »

Mais Racine a dû dire (dans Iphigénie, act. IV, sc. 4):

Fille d'Agamemnon, c'est moi qui la première,
Seigneur, vous appelai de ce doux nom de père.

(Dans Britannicus, act. III, sc. 3):

Pour moi, qui le premier secondai vos desseins.

Et Voltaire (dans sa correspondance sur Shakspeare, p. 417): « C'est moi qui le premier montrai aux Français quelques perles « que j'avais trouvées dans son énorme fumier. »

Et dans sa tragédie de Brutus (act. I, sc. 1):

C'est vous qui le premier avez rompu nos fers.

En effet, le qui suivant immédiatement le mot moi, c'est à ce nom qu'il doit se rapporter. Le sens est c'est moi qui, c'est-à-dire, lequel moi vous appelai, etc., et la preuve que le pronom qui ne se rapporte pas au mot le premier, c'est qu'on peut déplacer celui-ci et le mettre, par exemple, après le verbe. On peut dire : « C'est moi qui « vous appelai la première; c'est vous qui avez rompu le premier, etc. 4° Lorsque le relatif qui est précédé d'un adjectif de nombre cardinal ou simplement d'un adjectif, c'est au pronom placé auparavant que se rapporte le relatif, et non pas à l'adjectif, qui, n'ayant par lui-même ni genre ni nombre, ne peut communiquer l'accord; en conséquence, il faut dire avec Corneille :

N'accuse point mon sort, c'est toi seul qui l'as fait.

(Cinna, act. III, sc. 4.)

Avec Massillon (Vices et vertus des grands): « C'est vous seuls (les riches et les puissants) qui donnez à la terre des poëtes lascifs, « des auteurs pernicieux, des écrivains profanes. »-Avec Dacier (Vie d'Annibal): « Nous sommes ici plusieurs qui nous souvenons des « grands succès que nous eûmes dans la dernière guerre. » — · Avec J.-J. Rousseau (la Nouv. Héloïse, lett. I, pag. 7): « C'est vous seuls qui vous chargez par cet éclat de publier et de confirmer tous les propos de milord Édouard. »

Avec Collin d'Harleville :

Je ne vois que nous deux qui soyons raisonnables.

Avec M. Jacquemard : « Nous étions deux qui étions du même « avis. » — - Avec Marmontel (dans Lausus et Lydie) : « C'est moi seul « qui suis coupable. » Parce que dans ces exemples ce sont les pronoms toi, vous et nous, antécédents de qui, qui communiquent la personne et le nombre au pronom relatif, et conséquemment au verbe.

Observez que l'on dirait : Nous étions DEUX juges qui ÉTAIENT du même avis, et non pas qui ÉTIONS du même avis, à cause du substantif juges, qui est l'antécédent du pronom relatif qui.

.

Il y a erreur dans cette observation. Le mot juges sert simplement à qualifier le pronom nous; il fait donc ici les fonctions d'adjectif, et par conséquent il ne peut communiquer l'accord. Il faut de toute nécessité dire qui étions. Mais au contraire avec l'article le mot juges reprendrait toute sa valeur, et l'on dirait alors: « Nous étions les deux juges qui étaient du même avis. » Cette différence se remarque dans tous les exemples précédents; c'est par cette raison qu'on dit : « Je suis le seul qui l'a déplu; et est moi seul qui t'ai déplu. » Quelquefois cependant ces mots le seul, le premier ont dans la pensée de l'écrivain plutôt le sens d'une qualification que celui d'un substantif, et alors le pronom reprend ses droits. « Vous êtes le seul qui paraissiez me conduire à la félicité. » (J.-J. Rousseau.) — « Vous fûtes les premiers qui élevâtes de grands théâtres. (Voltaire.) C'est donc surtout le sens qu'il faut consulter pour déterminer l'accord. A. L.

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Quand c'est un nom propre qui précède le relatif qui, il n'est pas aisé de déterminer à quelle personne doit se mettre le verbe dont le qui relatif est le sujet.

Comme aucun Grammairien n'a encore abordé cette question, c'est mon opinion que je suis obligé de donner; peu confiant dans mes propres lumières, je crains de m'égarer : j'appuierai du moins ce que je vais dire d'exemples choisis dans les meilleurs écrivains.

Ou le nom propre indique la personne qui parle, et alors il tient la place de moi, pronom de la première personne; ou le nom propre indique la personne à qui l'on parle, et alors il tient la place de vous, pronom de la seconde personne; ou enfin le nom propre indique la personne de qui l'on parle, et alors il tient la place de lui ou d'elle, pronom de la troisième personne

Dans le premier cas, qui est de la première personne; dans le second cas, de la seconde personne; et dans le troisième cas, de la troisième personne. Je dirai donc : « Je suis Samson qui ai fait « écrouler les voûtes du temple; » car c'est moi Samson qui parle, c'est de moi-même que je parle, et je me nomme; mon nom tient

évidemment la place du pronom je et s'identifie avec ce mot; il en prend toutes les formes, il devient avec lui l'antécédent de qui, et, comme cet antécédent est de la première personne, je suis obligé de dire qui AI fait écrouler, etc.

Fénelon vient à l'appui de cette opinion, lorsqu'il fait dire à Diomède (dans Tėlėm., liv. XXI) : « Je suis Diomède, roi d'Étolie, qui « blessai Vénus au siége de Troie. » Dans cette phrase, il n'y a évidemment qu'un seul individu, qui est Diomède, et Diomède parle, et parle de lui; son nom tient donc lieu du pronom moi : aussi Fénelon a-t-il mis le verbe à la première personne.

Mais je dirai : « Vous êtes Samson qui avez fait écrouler les voûtes << du temple,» parce qu'ici il est évident que c'est à Samson que je parle, et qu'alors le nom propre Samson tient la place du pronom vous; conséquemment j'ai été correct, lorsque j'ai mis le verbe à la seconde personne.

Fénelon vient encore à l'appui de cette opinion, lorsqu'il fait dire à Timon dans son dialogue avec Socrate : « Je suis tenté de croire « que vous êtes Minerve, qui êtes venue, sous une figure d'homme, « instruire sa ville. »

Enfin je dirai « Si vous étiez fort comme Samson, qui a fait à «<lui seul écrouler les voûtes du temple, vous... » parce que dans cette phrase ce n'est pas Samson qui parle, ce n'est pas non plus à lui que je parle, mais c'est de Samson que je parle, et j'en parle ici seulement pour le comparer avec la personne à qui j'adresse la parole: ce n'était donc ni à la première personne ni à la seconde personne que je devais mettre le verbe qui exprime l'action; mais c'était à la troisième personne, puisque, comme on vient de le voir, c'est d'une troisième personne que je parle.

Remarquez bien que si dans chacun des cas dont il vient d'être parlé nous avions fait précéder le nom propre du déterminatif CE, ou de tout autre déterminatif, et que nous eussions dit, par exemple: Je suis ce Samson; vous êtes ce Samson, etc., etc., alors, au moyen de ce déterminatif, de ce véritable adjectif, le mot Samson resterait dans la classe des noms substantifs, et deviendrait l'antécédent de qui; et comme tout nom est de la troisième personne, il obligerait le pronom qui et le verbe à prendre la troisième personne. Conséquemment, au lieu de dire, comme on vient de le voir: « Je suis « Samson qui ai fait écrouler; vous êtes Samson qui avez fait écrou« ler; » on dirait : « Je suis ce Samson qui a fait écrouler; vous êtes ◄ce Samson qui a fait écrouler » ainsi que Fénelon a dit : « Je suis

le seul qui t'ait déplu; »

Domergue : « Vous avez pariè en

« homme, ou comme un homme qui entend la matière. Lanoue (dans Mahomet II, act. II, sc. 5):

.... Oui, connais-moi, je suis ce Grec enfin

Qui, dans ces mêmes murs, balança ton destin.

Et le traducteur de la Jérusal. déliv. (ch. VII) :

« Je suis ce Tancrède qui a ceint l'épée pour Jésus-Christ. » Observez que dans les phrases interrogatives ou négatives l doute qu'elles expriment fait considérer le nom propre comme énonçant une troisième personne, et dès lors demande que le verbe soit mis à la troisième personne.

Êtes-vous Samson qui fit écrouler les voûtes du temple? » — « Je ne suis pas Samson qui fit écrouler, etc. »

<< N'êtes-vous plus cet Ulysse qui a combattu tant d'années pour « Hélène contre les Troyens? »

(Madame Dacier, trad. de l'Odyssée d'Homère, liv. XXII.) On dirait cependant : « Est-ce vous, Samson, qui fites écrouler «<les voûtes du temple? » parce que Samson, employé ici en apostrophe, forme une espèce d'incise, et que ce n'est point par conséquent à ce nom, mais au pronom vous, que se rapporte le relatif qui. Quand le pronom relatif qui est sujet, il ne doit pas être séparé de son antécédent, si cet antécédent est un nom : « La conscience est un juge incorruptible qui ne s'apaise jamais c'est un miroir qui << nous montre nos fautes; un bourreau qui nous déchire le cœur. » Ainsi, il n'est pas bien de dire: Le PHENIX que l'on dit qui renaît de sa cendre. Il faut rapprocher le qui de son antécédent et dire : « Le « phénix qui, à ce que l'on dit, renaît de sa cendre. >>

(D'Olivet, 78e Remarque sur Racine.

- Domairon, page 115, t. I.-Lévizac, p. 341.)

A l'égard des phrases où qui est répété, comme dans cet exemple: « Un auteur qui est sensé, qui sait bien sa langue, qui médite bien « son sujet, qui travaille à loisir, qui consulte ses amis, est presque « sûr du succès; » tous ces qui, par le moyen du premier, touchent immédiatement leur substantif, et rentrent par conséquent dans la règle.

(Mêmes autorités.)

Notre langue, amie de la clarté, et n'ayant pas comme les langues anciennes cette variété de terminaisons qui indique les rapports, a voulu que le relatif fût toujours joint à son antécédent. Nos bons écrivains cependant se sont quelquefois écartés de la règle, et nous pensons qu'on peut les imiter, pourvu que la phrase conserve toute son aisance et toute sa clarté. On peut dire en vers, avec La Fontaine :

Un loup survint à jeun, qui cherchait aventure;

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