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seulement un fourbe, c'est la fourberie même; c'est-à-dire, c'est un fourbe achevé; ici on personnifie en quelque sorte le substantif, et il a bien plus d'énergie que l'adjectif. (Wailly, page 174, et le Dict. de Trévoux.)

§ II.

DE LA PLACE DES ADJECTIFS.

Il n'est pas indifférent en français d'énoncer le substantif avant l'adjectif, ou l'adjectif avant le substantif. Il est vrai que pour faire entendre le sens il est égal de dire bonnet blanc, ou blanc bonnet; mais, par rapport à l'élocution et à la syntaxe d'usage, on ne doit dire que bonnet blanc. Nous n'avons sur ce point d'autre guide que l'oreille; cependant voici des exemples qui pourront servir de règle dans les occasions analogues on dit habit rouge, ainsi dites habit bleu, habit gris, et non bleu habit, gris habit; on dit mon livre, ainsi dites ton livre, son livre, leur livre; on dit Zone torride, ainsi dites par analogie Zone tempérée, Zone glaciale, et ainsi des autres.

:

On peut aussi établir en principe que l'adjectif se place avant ou après le substantif, selon l'acception que l'on veut donner à ce substantif;

Que, placé avant le substantif, l'adjectif lui est intimement uni, et dit plus que quand il est placé après (251);

Que néanmoins il ne faut pas perdre de vue que pour la construction des adjectifs on doit consulter le goût et l'oreille; alors on n'oubliera pas :

Qu'avant les substantifs monosyllabes les adjectifs de plusieurs syllabes font rarement bien, comme : les champêtres airs, les imaginaires lois, les terrestres soins, etc.;

Que les adjectifs masculins par leur terminaison sont encore moins supportables avant les substantifs monosyllabes, comme : les sacrés os, ces affreux temps, etc., etc. On dit pourtant de jolis airs, mais c'est une exception, et s'il y en a d'autres, elles sont en petit nombre;

(251) Les Allemands sont si sensibles à cette différence, que l'Adjectif ajouté au nom et placé après le verbe ne prend pas de concordance. Ils disent: diese SCHOENE Frau, cette belle femme; et diese Frau ist SCHOEN, cette femme est beau. Dans un grand homme, un brave homme, un honnête homme, les adjectifs grand, brave, honnête sont plus étroitement unis au nom; ils disent plus que dans un homme grand, un homme brave, un homme honnête. C'est ce que nous verrons plus bas.

Que les adjectifs pluriels s'unissent ordinairement mieux avec les substantifs commençant par une voyelle, parce que le s qui termino les premiers se lie très bien avec les voyelles par où les autres commencent brillants atours; qu'il en est de même des adjectifs qui, quoiqu'au singulier, sont terminés par un x que l'on prononce comme s: courageux ami, heureux artifice, etc., etc.;

Que les adjectifs masculins, modifiant un substantif de terminaison féminine, font mieux après qu'avant: astres brillants, et nou pas brillants astres; mais que les adjectifs de terminaison féminine précèdent élégamment: brillante lumière, vaste champ.

On peut encore établir en principe que les adjectifs qui peuvent s'employer seuls se placent après le substantif; alors on dira: un homme bossu, une femme boileuse, un enfant aveugle, puisqu'on peut dire l'aveugle, le boiteux, le bossu;

Que les nombres ordinaux (premier (252), second, troisième, etc.) et les nombres cardinaux, employés comme ordinaux, se placent après le substantif quand ils sont employés en citation, sans article, ou avec un nom propre livre second, chant trois, quatre, etc.;

Henri

Que les articles le, la, les, et les adjectifs pronominaux ce, cet, ces, quelque, tout, etc, son, sa, ses, notre, votre, leur, etc., précè dent toujours le substantif : l'homme, la femme, mon père, ta harangue, cette circonstance, ce personnage, etc., etc. (253);

Que tous les adjectifs formés du participe passé se placent tou

(252) Si le substantif est employé avec l'article, ces adjectifs de nombre se placent avant :

Le premier moment de la vie

Est le premier pas vers la mort.

(J.-B. Rousseau, Ode 13, liv. II.)

Virgile est le premier poëte des Latins; Cicéron est le premier de leurs ora

« teurs. » — « On compte dix-huit siècles depuis la naissance de J.-C., et le • dix-neuvième sera un des plus remarquables. >>

NOTA. Les poëtes cependant mettent l'adjectif premier après le substantif, quoique celui-ci soit accompagné de l'article ou d'un équivalent:

Mais enfin rappelant son audace première.

Il était les amours et la gloire première

Des bois et des hameaux.

La plus pure lumière

(Boileau, le Lutrin, chant IL)

(Gresset, Églogue V.)

Va rendre à sa vertu sa dignité première. (Le même, Édouard III, acte IV, sc. 8.)

(253) L'adjectif pronominal quelconque se place toujours après le substantif: obstacle quelconque, raison quelconque.

jours après le substantif : pensée embrouillée, homme instruit, figure arrondie, etc., etc. (254); /

Toutes ces règles, en général, sont justes; mais cependant elles souffrent quelques exceptions. Nous remarquerons ici, par exemple, qu'on dit cependant un maudit métier, un damné coquin. A. L.

Que dans les exclamations l'adjectif se plaît à marcher avant: Charmant auteur! Quelle étrange démarche! etc.; mais cette règle est loin d'être sans exception;

Qu'une règle assez générale, c'est qu'un adjectif qui a un régime, ou qui est modifié par un adverbe, doit toujours être placé après le substantif: malheur COMMUN à tous, fief DÉPENDANT de ce duché, homme EXTRÊMEMENT aimable; qu'au contraire, quand c'est le substantif qui a un régime, il faut, autant que l'usage peut le permettre, que l'adjectif précède, afin que ce régime suive le nom qui le régit : l'INCOMPARABLE auteur de Vert-vert; l'ÉLÉGANT traducteur DES Géorgiques; ou du moins qu'on doit placer l'adjectif après le régime, et non pas après le substantif: Une NATTE de jonc GROSSIÈRE lui servait de lit. - Une natte grossière de jonc formerait une mauvaise construction;

Que dans le style élevé l'adjectif peut quelquefois se placer après le verbe et loin du substantif: « les bergers, loin de secourir le troupeau, fuient tremblants, pour se dérober à la fureur du lion, etc. »

(Télémaque.)

Dans la langueur qui l'accable, ce héros hésite et balance in« certain.» (Trad. de la Jerus. déliv.)—« Les rênes de l'empire «ne flollent plus incertaines au gré de mille passions contraires «qui se croisent; >> (Royou, de l'État monarch.) Que dans le style sérieux, quand l'adjectif est régi par le verbe être, il doit toujours être placé après: il est aimable, elle est douce et modeste; mais que dans le style burlesque et marotique il précède même le pronom personnel. Ainsi, Voltaire (dans son conte du Pauvre Diable) a bien plus péché contre le goût, ou contre l'é quité et la vérité, que contre la grammaire, quand il dit des Cantiques sacrés de Le Franc de Pompignan:

Sacrés ils sont, car personne n'y touche;

(254) C'est pour cela qu'on doit dire: Les ennemis de la religion les plus déclarés, et non pas les plus déclarés ennemis. — C'est le ministre le plus occupé, et non pas le plus occupé ministre. Manguchi était une des villes les plus peuplées, et par conséquent les plus débordées du Japon, et non pas des plus peuplées, et des plus débordées villes, etc., etc.

Que la règle la plus générale, et que le bon sens seul nous dicte, c'est que dans la construction de la phrase il faut placer l'adjectif de manière qu'on voie sans peine à quel nom il se rapporte, afin qu'il n'y ait point d'équivoque dans le sens ;

Enfin que la place d'ur grand nombre d'adjectifs avant ou après le substantif tient tellement au génie de la langue, que de cette place, avant ou après, dépend souvent le sens du substantif; et l'usage dicte si impérieusement la loi qu'on ne serait plus entendu si l'on se permettait de l'enfreindre.

Dans la quatrième édition de cet ouvrage, j'avais donné la liste des adjectifs qui se placent habituellement après leur substantif; celle des adjectifs qui précèdent le plus souvent leur substantif; celle des adjectifs dont l'oreille et le goût déterminent la place; celle des adjectifs qui, dans le style simple, se mettent après leur substantif, et qui, en vers et dans le style oratoire et poétique, se plaisent à le précéder; enfin la place des adjectifs qui donnent aux substantifs une acception différente, selon qu'ils sont placés avant ou après. Mais comme toutes ces règles sont sujettes à une infinité d'exceptions, et que d'ailleurs nombre de personnes éclairées, et qui s'intéressent à l'amélioration de cet ouvrage, m'ont convaincu que cette matière est plutôt du ressort d'un dictionnaire, je me suis dé cidé à supprimer cet article, me bornant à donner la liste suivante:

Un BON homme signifie le plus souvent un homme simple, crédule, qui se laisse dominer, tromper.

Un BRAVE homme (255) est un homme de bien, de probité, dont le commerce est sûr.

CERTAIN mal est un mal que l'on voit, que l'on distingue de tous les autres, que l'on pourrait décrire, que l'on pourrait nommer.

Un homme BON se dit d'un homme plein de candeur, d'affection; d'un homme charitable, compatissant.

Un homme BRAVE est un homme intrépide, qui affronte le danger sans crainte.

Un mal CERTAIN est un mal que l'on voit comme assuré, indubitable.

(255) BRAVE, substantifié, s'emploie le plus souvent au pluriel, et alors il se prend presque toujours en mauvaise part:

Il est de faux dévots, ainsi que de faux braves.

(Molière, Tartufe, acte I, sc. 6.)
(Boileau, Satire IX.)

Je crains peu, direz-vous, les braves du Parnasse. Faisons tant que nous voudrons les braves, la mort est la fin qui attend la plus belle vie du monde. »

(Pascal.)

Ce mot s'emploie très bien au singulier; et il se prend aussi en bonne part:

c'est un brave; se battre en brave, etc. A. L.

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Une PAUSSE clef est une clef que l'on garde, le plus souvent à dessein, pour en faire un usage illicite.

Une FAUSSE porte est une issue ménagée à l'effet de se dérober aux importuns sans être vu.

FURIEUX, avant le substantif, signifie prodigieux, excessif, extraordinaire dans son genre: Un FURIEUX menteur; une FURIEUSE entorse.

Un GALANT homme est un homme 'à nobles procédés, qui a des talents, des mœurs, et dont le commerce est sûr et agréable. Il tient de l'honnête homme.

On ne dit pas une GALANTE femme.

La DERNIÈRE année est la dernière des années dans une période dont on parle la dernière année de son rẻgne.

Un GRAND homme (256) est un homme d'un grand mérite moral.

Une voix COMMUNE est une voix ordinaire, qui n'a rien de plus remarquable qu'une autre.

Un homme CRUEL est un homme inhumain, insensible, qui aime à faire souffrir ou à voir souffrir les autres.

Une corde FAUSSE est celle qui ne peut jamais s'accorder avec une autre.

Un accord FAUX est celui dont les intonations ne sont pas justes, dont les intonations ne gardent pas entre elles la justesse des intervalles.

Il y a un jour FAUX dans un tableau quand une partie y est éclairée contre nature, la disposition générale du tout exigeant, par exemple, que cette partie soit dans l'ombre.

Une clef FAUSSE est une clef qui n'est pas propre à la serrure pour laquelle on veut s'en servir.

Une porte FAUSSE est un simple simulacre de porte, en pierre, en marbre, en menuiserie ou en peinture.

FURIEUX, après le substantif, signifie transporté de fureur, en furie: Fou FURIEUX. Lion FURIEUX.

Un homme GALANT est un homme qui cherche à plaire aux femmes, qui leur rend de petits soins. Il se rapproche du petit-maitre, de l'homme à bonnes fortunes.

Une femme GALANTE est une femme qui a des intrigues, et dont la conduite est déréglée.

L'année DERNIÈRE est l'année qui précède immédiatement celle où l'on parle : j'ai beaucoup voyagé l'année dernière.

Un homme GRAND (257) est un homme d'une grande taille.

(256) Le P. Bouhours, le Dictionnaire de Trévoux, Féraud et l'Académie (édi'tion de 1798) sont d'avis que l'adjectif grand, qualifiant le mot femme, ne doit

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