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Les noms communs qui conviennent à chaque individu, à chaque chose d'une même espèce, peuvent être pris en diverses façons.

On peut les appliquer à un des individus, à une des choses auxquelles ils conviennent;

Ou bien les appliquer à plusieurs individus ou à plusieurs choses." Pour distinguer ces deux sortes de manières de signifier, on a inventé les deux nombres : le singulier et le pluriel.

Le nom propre, n'étant qu'un nom de famille, un nom qui distingue un homme des autres hommes, une chose des autres choses, ne peut être susceptible de l'idée accessoire de pluralité.

Si l'on trouve des exemples où le nom propre soit mis comme le nom appellatif avec le s, lettre caractéristique du pluriel, c'est, ou parce que ce nom n'est plus le nom propre d'un individu, mais le nom propre d'une classe d'individus; ou bien, parce que ce nom est un nom propre employé par Antonomase (114), c'est-à-dire, pour un nom commun ou appellatif, à l'effet de désigner des individus semblables à ceux dont on emploie le nom propre..

Dans le premier cas, si on dit les Henris, les Bourbons, les Stuarts, les douze Césars, c'est par la même raison que celle qui fait dire les

féminin ; l'esprit la remplit ainsi : la fete de tous les saints, de Toussaint. C'est donc à cause du mot fête que le substantif prend l'article féminin. On dit de même la Noël, la Saint-Jean, quoique Noël et Saint-Jean soient du masculin. Mais faut-il dire: la Toussaint est passé ou passée; je vous paierai à la Saint-Jean prochain ou prochaine? Regnard dit : à la Saint-Jean prochain. Cependant prochain ne modifiant pas Saint-Jean, mais la fête, on doit dire: Je vous paierai à a Saint-Jean prochaine; et par conséquent: la Toussaint est passée. Dans tous les exemples de cette nature, c'est la fête que l'esprit considère; c'est donc au mot seté que doivent se rapporter tous les modificatifs. (Domergue, p. 83 de son Manuel.)” (114) L'Antonomase est une figure de rhétorique par laquelle on emploie ún

Français, les Allemands, les Champenois, les Bourguignons; chacun des noms Henri, Bourbon, Stuart, César n'est plus le nom propre J'un individu, il est devenu le nom propre d'une classe d'individus : ce sont des classes dont tous les individus ont un nom commun. Les Romains disaient au pluriel Julii, Antonii, Scipiones, tout comme ils disaient au pluriel Romani, Afri, Arcades. Ce sont des noms propres de collections que nous rendons aussi en français par le pluriel quand nous les traduisons..

Dans le second cas, si Beauzée a dit et écrit: Les Corneilles sont rares;

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Massillon (sermon du dimanche des Rameaux):

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«Donnez-moi des Davids et des Pharaons, amis du peuple de Dieu, et ils pourront avoir des Nathans et des Josephs pour leurs « ministres; »

Boileau (Discours au roi):

Oui, je sais qu'entre ceux qui l'adressent leurs veilles J
Parmi les Pelletiers on compte des Corneilles;

Le même (Épître au roi):

Un Auguste aisément peut faire des Virgiles;

L. Racine (Poème de la religion, chant VI):

C'est par eux (les chrétiens) qu'on apprend à respecter les rois,

Et que même aux Nérons on doit l'obéissance;

nom commun ou appellatif à la place d'un nom propre, ou bien un nom propre. à la place d'un nom commun ou appellatif.

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Exemple d'un nom commun pour un nom propre :

Les mots philosophe, orateur, poëte, père sont des noms communs; l'Antono mase en fait des noms particuliers qui équivalent à des noms propresa: 200 al Sib Ainsi, les Latins disaient le Philosophe, pour Aristotes; l'Orateur, pour Cicé ron, le Poëte, pour Virgile; le Carthaginois, pour Annibal.

* La Ligue disait le Béarnais, pour Henri IV,

Et nous, nous disons le Père de la tragédie française, pour Corneille: le Fabuliste français, pour La Fontaine ; le Cygne de Cambrai, pour Fénelon; l'Aïgle de Meaux, pour Bossuet.

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Exemple d'un nom propre pour un nom commun : Néron, Mécène, Caton, Zoïle, Aristarque sont des noms propres ; en fait des noms communs.

l'Antonomase

C'est ainsi qu'on appelle un prince cruel, un Néron; un homme puissant qui protège les lettres, un Mécène; un homme sage et vertueux,[un Caton; un criţique passionné et jaloux, un Zoïle; le modèle des critiques, un Aristarqué.ɛl 39%.

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L'exemple des Catona est trop facile à suivrego? „svelt zmor zel
Lâche qui veut mourir, courageux qui peut vivre; li

Voltaire (Épître à Boileau) ·

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Aux siècles des Midas on ne voit point d'Orphées;

Le même (Préface d' OEdipe):

A

Je placerai nos Despréaux et nos Racines à côté de Virgile pour

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Le même (Variantes sur les événements de 1744):

Louis fit des Boileaux, Auguste des Virgiles;

Le même (Discours sur la tragédie de D. Pedre, édition de Kell): Ceux qui ont écrit l'histoire en France et en Espagne n'étaient pas des Tacites; »

Delille (Épître à M. Laurent):

:

Louis de ses regards récompensait leurs veilles
Un coup d'œil de Louis enfantait des Corneilles ;

Dorat (poëme de la Déclamation, chant II):

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Qu'un Molière s'élève, il naîtra des Barons; C'est parce que tous ces noms propres sont employés figurément : les Corneilles pour de grands poetes; les Davids, les Pharaons pour de grands rois; les Nathans, les Josephs pour des ministres intègres, éclairés; les Pelletiers pour de mauvais poètes, etc., etc., et qu'alors ces noms propres, ainsi employés pour des dénominations communes ou appellatives qui sont susceptibles d'êtres mises au pluriel, ont dû en prendre la marque caractéristique.

Ainsi, à l'exception de ces deux cas, de ces deux motifs, tant qu'un nom reste nom propre, il ne peut, comme nous l'avons déjà dit, prendre la marque du pluriel, quand bien même il désignerait plusieurs personnes portant le même nom.

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Mais s'il n'est pas permis de donner au nom propre la marque du pluriel, l'usage est de la donner à tout ce qui y a rapport. On écrira donc :

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Les deux Corneille se sont distingués dans la république des ⚫ lettres; les deux Cicéron (115) ne se sont pas également illustrés. Cette phrase, qui est de Beauzée, se trouve ainsi orthographiée dans l'Encyclopé

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-¡(115) M. Lemare (pag. 17 de son Cours theor., etc.) voudrait que l'on écrivit, avec la lettre caractéristique du pluriel, les deux Tarquins, les deux Catons, les

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die méthodique; el MM. Boinvilliers, Maugard, Caminade, Chapsal, Jacquemard, Laveaux, Roussel de Berville, Domairon et d'autres Grammairiens modernes l'ont citée à l'appui de leur opinion sur la manière d'écrire les noms propres au plurie!.

« Vous avez pour vous les vœux des trois Guillaume. »

(L. de G. Budée à Érasme, rapportée dans l'Histoire de François Ier.) « M. l'abbé Le Bœuf a distingué deux Alain, l'un évêque d'Auxerre, l'autre religieux de Citeaux. >>

(Gaillard, Histoire de François Ier, t. V, page 20.)

Quatre Mathusalem bout à bout ne pourraient

Mettre à fin ce qu'un seul désire.

(La Fontaine, Fable des deux Chiens et l'Ane mort.)

« Les voyages me mirent à portée de faire quelques connaissances; celle des deux Barillot, etc. » (J.-J. Rousseau, Confessions, livre V.) « L'Espagne s'honore d'avoir produit les deux Sénèque, Lucain, << Pomponius, Columelle, Martial, Silius Italicus, Hygin, etc. » ཙཱིསྙ* (M. Raynouard, Origine et formation de la langue romane.) << Jamais les deux Caton n'ont autrement voyagé, ni seuls ni avec << leurs armées. >>

(J.-J. Rousseau, lettre à d'Alembert sur son article Genève, page 152, édition de Didot, 1817.)

deux Racines, les deux Corneilles, les deux Montmorencis; parce que, selon lui, les mots Tarquins, Catons, etc., quoique d'une même famille, quoique da même nom, servent à désigner plusieurs individus dont le nom doit, par cela seul, être pluralisé.

Mais il nous semble que cette opinion n'est pas fondée; dans ces phrases, le nom ne doit pas prendre le s, marque caractéristique du pluriel, parce que ce nom n'y est employé ni par emphase ni figurément; et alors il ne cesse pas d'être nom propre. C'est un nom de famille qu'on ne peut pas défigurer. Tarquin et Tarquins, Caton et Catons ne sont pas les noms d'une même famille; conséquem ment, quoiqu'on parle de plusieurs Tarquin, de plusieurs Caton, on doit écrire : les deux Tarquin, les deux Caton, etc., sans le signe du pluriel.

Ajoutons à ces motifs ceux que donne Laveaux. Ces noms propres sont appliqués à plusieurs individus, mais chaque nom représente par lui-même chaque homme auquel on ne l'applique que comme un seul individu. Quand on dit les deux Corneille, les deux Scipion, il y a ellipse; c'est comme si l'on disait les deux hom mes, les deux individus qui portent chacun le nom propre de Corneille, de Scipion; et alors le pluriel tombe sur le mot homme ou sur le mot individu, et nullement sur le mot Corneille ou sur le mot Scipion, qui, par conséquent, ne doivent point prendre le signe caractéristique du pluriel.

Cette opinion est d'autant plus fondée qu'elle se trouve entièrement conforme à celle de Beauzée, de Wailly, de M. Jacquemard, de M. Boniface, de plusieurs autres Grammairiens, et, comme on l'a vu, à celle de Voltaire, de M. Raynouard, de J.-J. Rousseau, de Ma Marmontel, etc.

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Rodr. Orgognes conseilla à Almagro de faire mourir les deux

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Hélas! c'est pour juger de quelques nouveaux airs,"
Ou des deux Poinsinet lequel fait mieux les vers. (Rulhières,)
Des deux Richelieu sur la terre

Les exploits seront admirés. (Voltaire, Ep. au duc de Richelieu.) Les Visconti, ducs de Milan, portaient une givre dans leurs ar(L'Académie, au mot Givre.)

• mes. >>

Parce qu'aucun des noms propres n'est, dans ces phrases, employé figurément; que chacun d'eux rappelle l'idée de plusieurs personnes, mais de plusieurs personnes portant le même nom, et qu'enfin, chacun de ces noms restant nom propre, on n'a pas dû en changer la forme.

Il arrive quelquefois que les poètes et les orateurs font précéder de l'article les les noms propres qui ne désignent qu'un seul individu. C'est une irrégularité ou du moins une licence qui a besoin, pour être tolérée, d'un mouvement oratoire, où le génie de l'écrivain, pour ainsi dire hors de lui-même, croit s'exprimer avec plus de force, en employant le signe du pluriel, lors même qu'il ne s'agit que d'une seule personne, comme dans cette phrase de Voltaire aux auteurs des Neuvaines du Parnasse :

Il manque à Campistron, d'ailleurs judicieux et tendre, ces beau«tés de détail, ces expressions heureuses qui font l'âme de la poésie « et le mérite des Homère, des Virgile, des Tasse, des Milton, des « Pope, des Corneille, des Racine, des Boileau. »

Une licence qui fait naître une beauté se pardonné aisément. L'abbé Colin a pu dire aussi, en parlant des oraisons funèbres de Fléchier:

Là brillent d'un éclat immortel les vertus politiques, morales et chrétiennes des Le Tellier, des Lamoignon et des Montausier; Parce qu'éprouvant cette émotion qui rend le style figuré, sa ma-" nière de s'exprimer est en harmonie avec sa pensée.

Mais dans cette phrase: « Nous n'avons point parmi nos auteurs « modernes de plus beaux génies que les Racine et les Boileau, ». comme il n'y a ici ni mouvement oratoire ni élégance, il est certain qu'il cût été plus correct de dire : « Nous n'avons point parmi nos auteurs modernes de plus beau génic que Racine et Boileau. »

Il ne nous semble pas bien nécessaire, pour expliquer cette tournure de phrase, d'en faire un mouvement oratoire ; c'est, selon nous, une simple ellipse, une forme

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