Page images
PDF
EPUB

mais M. de la Tour en a un double; il n'y a qu'à y 1738. faire mettre une bordure et une glace. Je mande à M. l'abbé Mouffinot qu'il en faffe les frais. Adieu, mon cher ami; je vous embrasse.

LETTRE XXI X.

A M. PITOT,

DE L'ACADEMIE DES SCIENCES.

EN

Juillet.

N vous remerciant, mon très-cher et très-éclairé philofophe, de toutes les nouvelles que vous. me mandez de l'académie et de Quito. En vérité, voilà un nouveau monde découvert par les nouveaux Colomb de votre académie; mais je ne pense pas que ces arcs-en-ciel, dont vous me parlez, foient de vrais arcs-en-ciel ce font, je crois, plutôt des phénomènes semblables à ceux des anneaux concentriques découverts par Newton, et formés entre deux verres. C'eft de cette nature que font les hallo et les couronnes; et il y en a depuis dix degrés jufqu'à quatre-vingt-dix. Nous ne voyons ces couronnes que dans un air calme et épais; ce qui reffemble affez aux brouillards des montagnes de Quito, car je gagerais qu'il ne fefait point de vent quand ces meffieurs voyaient dans les nues leur image entourée d'une auréole de faint.

Les Espagnols qui auront vu cela prendront vos académiciens pour des gens à miracle.

A l'égard de notre Europe, je vous supplie de bien

remercier l'illuftre M. de Réaumur de fes politeffes. S'il avait fu de quoi il était queftion, n'aurait-il pas pouffé fa politeffe jufqu'à donner le prix à madame du Châtelet? En vérité, la philofophie n'eût eu rien à reprocher à la galanterie. Le mémoire de cette dame fingulière ne vaut-il pas bien des tourbillons? Elle lui a écrit, et lui a fait fa confeffion.

Quant à mon mémoire, ayez la bonté d'être bien perfuadé que fi j'ai eu le malheur de m'exprimer affez obfcurément pour faire croire que j'accordais au feu un mouvement effentiel non imprimé, je fuis bien loin de penser ainfi. Personne n'eft plus convaincu que moi que le mouvement eft donné à la matière par celui qui l'a créée.

Si meffieurs de l'académie jugent qu'il faille imprimer mon mémoire, pour conftater que madame du Châtelet a fait le fien fans aucun fecours, cette feule raison peut me déterminer à le faire imprimer. On y verra (par la différence des fentimens) que madame du Châtelet n'a pu rien prendre de moi. Je remets tout cela entre les mains de M. de Réaumur.

J'ai fait tenir à bon compte vingt piftoles à M. Coufin. Je lui ai recommandé d'aller un peu à l'obfervatoire apprendre à opérer. Il ne fait point, dit-on, d'aftronomie ; qu'il ne s'en effarouche pas. L'aftronomie eft un jeu pour un mathématicien, et on peut tracer une méridienne fans être un Caffini. Le grand point eft de fe familiariser avec les inftrumens; il faut inftruire fes mains les livres inftruiront fon efprit.

:

A propos, j'oubliais la terrible expérience du mercure baiffant fi prodigieufement à la montagne de Quito. De combien baiffe-t-il au Pic de Teneriffe? J'ai

1738.

bien

peur que nous n'ayons pas, à beaucoup près 1738. les quinze lieues d'atmosphère qu'on donnait libéralement à notre chétif globe.

Comptez, Monfieur, que vous êtes fur ce globe un des hommes que j'estime et que j'aime le plus. Mille amitiés à la compagne aimable du philofophe.

P. S. Vous avez reçu une lettre d'une dame qui entend affez la philofophie newtonienne pour fouhaiter qué la gravitation pût rendre raison du mouvement journalier des planètes; mais les dames font comme les rois, elles veulent quelquefois l'impoffible.

JE

[blocks in formation]

E vous remercie bien tendrement, mon cher ami, de tant de bons paffe - ports que vous avez donnés à cette philofophie de Newton. Vous êtes accoutumé à faire valoir plus d'une vérité venue d'Angleterre. M. Coufin vous donnera tant d'exemplaires que vous voudrez. Voulez-vous vous charger d'un pour M. Pallu, d'un pour M. de Chauvelin, intendant d'Amiens? ou voulez-vous que je m'en charge?

Je fuis bien étonné que cette lettre, imprimée contre mes Elémens, foit du père Regnault; elle n'eft pas digne d'un écolier. Je crois que j'y réponds de

façon à forcer l'auteur à être fâché contre lui-même

et non contre moi.

Nous avons ici un fermier général qui me paraît avoir la paffion des belles-lettres, c'est le jeune Helvétius qui fera digne du temple de Cirey s'il continue. Voilà Minerve réconciliée avec Plutus. M. de la Poplinière avait déjà commencé cette grande négociation. Je doute qu'on y réuffiffe mieux que lui.

Ce qui me fait le plus de plaifir, dans la copie de la lettre trop flatteuse pour moi que vous a écrite notre prince, c'eft qu'il vous parle avec confiance. Plus il vous connaîtra, et plus fon cœur s'ouvrira pour vous. Apparemment que cette lettre, où il prend mon parti avec tant de bonté, eft en réponse à la fatire injurieuse et abfurde du père Regnault, et à d'autres ouvrages contre moi que vous lui avez envoyés. Si je ne craignais d'opposer trop d'amour propre à ces injures, je vous dirais de lui envoyer les témoignages honorables, auffi-bien que ceux qui peuvent me décrier; je pourrais faire voir que je ne fuis ni fi haï ni fi méprifé qu'on le fait accroire à ce prince, dont le goût et les bontés s'affermiffent par ces infames injures.

Mon cher ami, voici bientôt le temps où l'on vous poffédera à Cirey. J'ai beaucoup de chofes à vous dire qui font pour vous d'une extrême importance. Je vous embraffe tendrement.

1738.

1738.

LETTRE XXX I.

A M.

HELVETIU S.

10 augufte.

Je reçois dans ce moment, mon aimable petit-fils

d'Apollon, une lettre de monfieur votre père, et une de vous; le père ne veut que me guérir, mais le fils veut faire mes plaifirs. Je fuis pour le fils; que je languiffe, que je fouffre, j'y confens, pourvu que vos vers foient beaux. Cultivez votre génie, mon cher enfant. Je vous y exhorte hardiment, parce que je fais que jamais vos goûts ne vous feront oublier vos devoirs, et que chez vous l'homme, le poëte et le philofophe feront également eftimables. Je vous aime trop pour vous tromper.

Macte animo, generofe puer, fic itur ad aftra.

En allant ad afra, n'oubliez pas Cirey. Grâce au génie de madame du Châtelet, Cirey est sur la route; elle fait grand cas de vous, et en conçoit beaucoup d'efpérances. Elle vous fait fes complimens; et moi, je vous affure, fans complimens et fans formule, de l'amitié la plus tendre et de la plus fincère eftime. Ces fentimens fi vrais ne fouffrent point du trèshumble et très-, &c.

« PreviousContinue »