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1738.

J'ai pouffé la hardieffe au point d'expofer un fenti-
ment contraire: on voit au moins par là que je ne
fuis point efclave de Newton, quoiqu'il fût bien
pardonnable de l'être. Je finis, parce que j'ai trop de
chofes à dire; c'eft à ceux qui en favent plus que
moi, à rendre fenfibles des vérités admirables dont
je n'ai été que le faible interprète.
J'ai l'honneur d'être, &c.

LETTRE XXI V.

A M. THIRIO T.

A Cirey, juin.

PERE Mersenne, je reçois votre lettre du 9. Il faut

d'abord parler de notre grande nièce, car fon bonheur doit marcher avant toutes les difcuffions littéraires, et l'homme doit aller avant le philofophe et le poëte. Ce fera donc du meilleur de mon cœur que je contribuerai à son établissement, et je vais lui assurer les vingt-cinq mille livres que vous demandez, bien fâché que vous ne vous appeliez pas M. de Fontaine, car en ce cas je lui affurerais bien davantage.

Sans doute je vais travailler à une édition correcte des Elémens de Newton, qui ne feront ni pour les dames ni pour tout le monde, mais où l'on trouvera de la vérité et de la méthode. Ce n'eft point là un livre à parcourir comme un recueil de vers nouveaux; c'est un livre à méditer, et dont un Rousseau ou un Desfontaines ne font pas plus juges que d'une action

d'homme de bien. Voici la vraie table, telle que je l'ai pu faire pour ajufter les idées de Newton aux règles de la mufique. Montrez cela à Orphée-Euclide. Si à quelques comma près cela n'est pas jufte, c'eft Newton qui a tort. Et pourquoi non? Il était homme; il s'eft trompé quelquefois.

Vous êtes un père Merfenne qu'on ne faurait trop aimer. Je vous ai bien des obligations, mais vous n'êtes pas au bout.

On vient de déballer l'Algarotti. Il est gravé audevant de fon livre avec madame du Châtelet. Elle eft la véritable marquife. Il n'y en a point en Italie qui eût donné à l'auteur d'auffi bons confeils qu'elle. Le peu que je lis de fon livre, en courant, me confirme dans mon opinion. C'eft prefque en italien ce que les Mondes font en français. L'air de copie domine trop; et le grand mal, c'eft qu'il y a beaucoup d'efprit inutile. L'ouvrage n'est pas plus profond que celui des Mondes. Nota benè que, qua legat ipfa Lycoris eft très-joli; mais ce n'eft pas pauca meo gallo, c'est plurima Bernardo. Je crois qu'il y a plus de vérités dans dix pages de mon ouvrage que dans tout fon livre et voilà peut-être ce qui me coulera à fond, et ce qui fera fa fortune. Il a pris les fleurs pour lui, et m'a laiffé les épines. Voici encore un autre livre que je vais dévorer; c'eft la réponse à feu Melon (*). Comment nommez-vous l'auteur? Je veux favoir fon nom, car vous l'eftimez.

Montrez donc ma table et mon mémoire à Pollion, puifqu'il lit mon livre, afin qu'il rectifie une partie des erreurs qu'il trouvera en fon chemin. Je vois

(*) Auteur de l'Effai politique fur le commerce.

1738.

que mon mémoire fera tomber le prix du livre, les 1738. libraires le méritent bien; mais je ne veux pas me déshonorer pour les enrichir.

Adieu, mon cher ami; foyez donc de la noce de ma nièce au moins.

J'oubliais de vous dire combien je fuis fenfible à la justice que me rendent ceux qui ne m'imputent point ces trois fermons rimés auxquels je n'ai jamais pensé. Encore un mot: je fuis charmé que vous foyez en avance avec le prince; il est bon qu'il vous ait obligation. Ce n'eft point un illuftre ingrat; il n'est à préfent qu'un illuftre indigent.

Je vous embraffe tendrement. Embraffez Serizi.

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ON

Le 23 juin.

Mon cher ami, je fuis depuis quinze jours fi occupé d'un cabinet de phyfique que je prépare, fi plongé dans le carré des distances et dans l'optique, que le Parnaffe eft un peu oublié. Je crois bien que les gens aimables ne parlent plus des Elémens de Newton. On ne s'entretient point à fouper deux fois de fuite de la même chose, et on a raison, quand le fujet de la converfation eft un peu abftrait. Cela n'empêche pas qu'à la fourdine les gens qui veulent s'inftruire ne lisent des ouvrages qu'il faut méditer; et il faut bien qu'il y ait un peu de ces gens-là,

puifqu'on réimprime les Elémens de Newton en deux endroits. M. de Maupertuis, qui eft fans contredit 1738. l'homme de France qui entend le mieux ces matières, en eft content; et vous m'avouerez que fon fuffrage eft quelque chofe. Je fais bien que, malgré la foule des démonftrations que j'ai raffemblées contre les chimères des tourbillons, ce roman philofophique fubfiftera encore quelque temps dans les vieilles têtes:

Qua juvenes didicere nolunt perdenda fateri.

Je fuis, après tout, le premier en France qui ai débrouillé ces matières, et j'ofe dire le premier en Europe; car s'Gravefende n'a parlé qu'aux mathématiciens, et Pemberton a obscurci fouvent Newton. Je ne fuis point étonné qu'on s'entretienne à Paris plus volontiers de médifance, de calomnie, de vers fatiriques, que d'un ouvrage utile; cela doit être ainfi ce font les bouteilles de favon du peuple d'enfans malins qui habitent votre grande ville.

Bernard aurait grand tort de prendre votre louis d'or, et de ne pas vous en donner un. Aucune des épîtres en queftion n'eft de moi; et fi quelque libraire les a mises fous mon nom pour les accréditer, ce libraire eft un fcélérat. Il eft impoffible que M. d'Argenfon, plein de probité et de bonté, et qui m'a toujours honoré d'une bienveillance pleine de tendreffe, ait cru une telle calomnie; il eft impoffible qu'il ait fait ufage contre moi d'une lettre fuppofée, puifque affurément il n'en eût pas fait d'ufage fi elle eût été vraie. Je compte trop fur fes bontés, je lui fuis trop tendrement attaché depuis mon enfance. Je

1738.

vous demande en grâce de lui montrer cette lettre, et de réchauffer dans fon cœur des bontés qui me font fi chères.

Vous devez connaître les fureurs jalouses et les artifices infames des gens de lettres. Je fais furtout de quoi ils font capables, depuis que l'auteur clandeftin de l'épître diffuse et richement rimée contre Rousseau, eut la baffeffe de répandre qu'elle venait de l'hôtel Richelieu. J'en connais très - certainement l'auteur. Cet auteur eft un homme laborieux, exact et fans génie; je n'en dis pas davantage. Si un fcélérat comme l'abbé Desfontaines, a engagé M. Racine dans fa querelle, fi Launay qui vous hait parce que vous lui avez reproché une mauvaise action, fi un nommé Guiot de Merville qui ne ceffe de m'outrager parce qu'il a eu la même maîtreffe que moi, il y a vingt ans; fi Roi, Lelio, enfin des fripons féduifent d'honnêtes gens s'il en résulte des fottifes rimées et de petites fcélératesses d'auteur, j'oublie tout cela dans le fein de l'amitié. Mais comme la rage des Zoële porte fouvent la calomnie aux oreilles de ceux qui peuvent nuire, je vous prie de m'avertir de tout. Je vous embraffe, mon cher ami.

LETTRE

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