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"l'Europe ne fera jamais moins jaloux que "de fes fuccès. ","

moi

J'ai confervé cette lettre, et lui en ai rendu plufieurs autres qui étaient écrites à deux marges, l'une de fa main, l'autre de la mienne. Il me parut toujours jufque-là revenir de fes préjugés; mais lorsqu'il fut prêt de partir pour la Franconie, on lui manda, de plus d'un endroit, que j'étais envoyé pour épier fa conduite. Il me parut alors altéré, et peut-être écrivit-il à M. Chambrier quelque chofe de fes foupçons. D'autres perfonnes charitables écrivirent à M. de Valori que j'étais chargé, à fon préjudice, d'une négociation fecrète, et je me vis expofé tout d'un coup de tous les côtés. Je fus affez heureux pour diffiper tous ces nuages. Je dis au roi qu'à mon départ de Paris, vous aviez bien voulu feulement me recommander en général de cultiver, par mes difcours autant qu'il ferait en moi, les fentimens de l'eftime réciproque et l'intelligence qui fubfifte entre les deux monarques. Je dis à M. de Valori que je ne ferais que fon fecrétaire, et que je ne profiterais des bontés dont le roi de Pruffe m'honore, que pour faire valoir ce miniftre; c'eft en effet à quoi je travaillai. L'un et l'autre me parurent fatisfaits; et fa Majefté pruffienne me mena en Franconie avec des diftinctions flatteufes.

Immédiatement avant ce voyage, le miniftre de l'empereur à Berlin m'avait parlé de la trifte fituation de fon maître. Je lui confeillai d'engager fa Majefté impériale à écrire de fa main une lettre touchante au roi de Pruffe. Ce miniftre détermina l'empereur à cette démarche, et l'empereur envoya

1743.

la lettre par M. de Sékendorff. Vous favez que le roi 1743. de Pruffe m'a dit depuis, qu'il y avait fait une

réponse dont l'empereur doit être très-fatisfait. Vous favez qu'à fon retour de Franconie à Berlin, il fit propofer, par M. de Podewils, à M. de Valori, de vous envoyer un courier, pour favoir quelles mefures vous vouliez prendre avec lui pour le maintien de l'empereur; mais ce que le roi me difait de ces mesures, me paraiffait fi vague, il paraiffait fi peu déterminé, que j'ofai prier M. de Valori de ne pas envoyer un courier extraordinaire, pour apprendre que le roi de Pruffe ne propofait rien.

Je peux vous affurer que la réponse que fit M. de Valori au fecrétaire d'Etat, étonna beaucoup le roi; et lui donna une idée nouvelle de la fermeté de votre cour. Le roi me dit alors, à plufieurs reprises, qu'il aurait fouhaité que j'euffe eu une lettre de créance. Je lui dis que je n'avais aucune commiffion particulière, et que tout ce que je lui difais, était dicté par mon attachement pour lui. Il daigna m'embraffer à mon départ, me fit quelques petits préfens, à son ordinaire, et exigea que je revinsse bientôt. Il fe juftifia beaucoup fur la petite trahifon dont M. de Valori et moi nous vous avons donné avis. Il me dit qu'il ferait ce que je voudrais pour la réparer. Cependant, je ne ferais point furpris qu'il m'en eût fait encore une autre par le canal de Chambrier, tandis qu'il croyait que j'avais l'honneur d'être fon efpion.

J'arrivai le 14 à Brunfvick, où le duc voulut abfolument me retenir cinq jours. Il me dit qu'il refufait conftamment deux régimens que les Hollandais

voulaient

voulaient négocier dans fes Etats. Il m'affura que lui et beaucoup de princes n'attendaient que le fignal 1743. du roi de Pruffe, et que le fort de l'Empire était entre les mains de ce monarque: il m'ajouta que le collége des princes était fort effarouché que l'électeur de Mayence eût, fans les confulter, admis à la dictature le mémoire présenté, il y a un mois, contre l'empereur, par la reine d'Hongrie ; qu'il fouhaitait que le collége des princes pût s'adreffer à fa Majefté pruffienne (comme roi de Pruffe), pour l'engager à foutenir leurs droits, et que cette union en amènerait bientôt une autre en faveur de fa Majefté impériale.

Plufieurs perfonnes m'ont confirmé dans l'idée où j'étais d'ailleurs, que fi l'empereur fignifiait au roi de Pruffe qu'il va être réduit à se jeter entre les bras de la cour de Vienne, et à concourir à faire le grand-duc roi des Romains, cette démarche précipiterait l'effet des bonnes intentions du roi de Pruffe, et mettrait fin à cette politique qui lui a fait envifager fon bien dans le mal d'autrui.

On m'a encore affuré qu'on commence à redouter en Allemagne le caractère inflexible de la reine d'Hongrie, et la hauteur du grand-duc, et que vous pourrez profiter de cette difpofition des efprits.

Oferais-je, Monfeigneur, vous foumettre une idée qu'un zèle, peut-être fort mal éclairé, me fuggère? On m'a fait promettre d'aller faire un tour à Virtemberg, à Anspach, à Brunfvick, à Bareith, à Berlin. S'il fe pouvait faire que l'empereur me chargeât de lettres preffantes pour les princes de l'Empire dont il efpère le plus, fi je pouvais porter Correfp. générale. Tome II. Hh

1743.

482 RECUEIL DES LETTRES, &c.

au roi de Pruffe les copies des réponses faites à l'empereur, ne pourrait-on pas pouffer alors le roi de Pruffe dans cette afsociation tant défirée, qui fe trouverait déjà fignée en effet par tous ces princes? on saurait du moins alors certainement à quoi s'en tenir fur le roi de Pruffe; et s'il abandonnait la cause commune, ne pourriez-vous pas, à ses dépens, faire la paix avec la reine d'Hongrie? vous ne manquerez de reffources ni pour négocier ni pour faire la guerre. Je vous demande pardon pour mes rêves qui font les très-humbles ferviteurs de votre raison fupérieure.

Fin du Tome fecond.

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