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DANS le dernier entretien particulier que j'eus avec fa Majefté pruffienne, je lui parlai d'un imprimé qui courut, il y a fix femaines, en Hollande, dans lequel on propofait des moyens de pacifier l'Empire, en fécularifant des principautés eccléfiaftiques en faveur de l'empereur et de la reine d'Hongrie, fuivant l'exemple qu'on en donna, le fiècle paffé, à la paix de Vestphalie. Je lui dis que je voudrais de tout mon cœur voir le fuccès d'un tel projet ; que c'était rendre à Cefar ce qui appartient à Cefar; que l'Eglife ne devait que prier Dieu pour les princes; que les bénédictins n'avaient pas été inftitués pour être fouverains; et que cette opinion, dans laquelle j'avais toujours été, m'avait fait beaucoup d'ennemis dans le clergé. Il m'avoua que c'était lui qui avait fait imprimer ce projet. Il me fit entendre qu'il ne ferait pas fâché d'être compris dans ces reftitutions que les prêtres doivent, dit-il, en confcience aux rois, et qu'il embellirait volontiers Berlin du bien de l'Eglife. Il eft certain qu'il veut parvenir à ce but, et ne procurer la paix que quand il y verra de tels avantages.

C'eft à votre prudence à profiter de ce deffein fecret qu'il n'a confié qu'à moi. Peut-être fi l'em- 1743. pereur lui fefait, dans un temps convenable, des ouvertures conformes à cette idée, et preffait une affociation de princes de l'Empire, le roi de Prusse fe déterminerait à fe déclarer; mais je ne crois pas qu'il voulût que la France fe mêlât de cette fécularifation, ni qu'il faffe aucune démarche éclatante, à moins qu'il n'y voye très-peu de péril et beaucoup d'utilité.

Il me dit que, dans quelque temps, on verrait éclore des événemens agréables à la France. J'ai peur que ce ne foit une énigme qui n'a point de mot. Il veut toujours me retenir. Il m'a fait encore parler aujourd'hui par la reine-mère ; mais je crois que je dois plutôt venir vous rendre compte, que de jouir ici de fa faveur.

J'AI

LETTRE CCX X X.

A M. THIRIOT.

A Berlin, le 8 octobre.

'AI reçu vos deux lettres en revenant de la Franconie à la fuite d'un roi qui eft la terreur des poftillons, comme de l'Autriche, et qui fait tout en pofte. Il traîne ma momie après lui. Je n'ai que le temps de vous dire un mot. Jodelet, prince, eft entouré de rois, de reines, de mufique, de bals. Le roi de Prufse daigne, en quatre jours de temps, faire

1743.

ajufter fa magnifique falle des machines, et faire mettre au théâtre le plus bel opéra de Metaftafio et de Haff; le tout parce que je fuis curieux. Jodelet, prince, s'en retourne, après ce rêve, être à Paris Jodelet tout court, être berné et écrafé comme de coutume; mais il ne s'en retournera pas fans s'être jeté aux pieds du roi, en faveur de fon ami Thiriot, et fans avoir obtenu quelque chofe. Ce ne fera pas affurément le fruit le moins flatteur du plus agréable voyage qu'on ait jamais fait. L'amitié qui me ramène à Paris, eft toujours à Berlin la première divinité à qui je facrific.

LETTRE CCXXX I.

A M. DE MAUPERTUI S.

A Brunfvick, le 16 octobre.

J'AI reçu, dans mes courfes, la lettre où mon cher

ΑΙ

aplatiffeur de ce globe daigne fe fouvenir de moi avec tant d'amitié. Eft-il poffible que je ne vous aye jamais vu que comme un météore toujours brillant et toujours fuyant de moi? n'aurai-je pas la confòlation de vous embraffer à Paris?

J'ai fait vos complimens à vos amis de Berlin, c'est-à-dire, à toute la cour, et particulièrement à M. de Valori. Vous êtes là, comme ailleurs, aimé et regretté. On m'a mené à l'académie de Berlin, où le médecin Eller a fait des expériences par lesquelles il croit faire croire qu'il change l'eau en air élastique;

mais j'ai été encore plus frappé de l'opéra de Titus, qui eft un chef-d'œuvre de mufique. C'eft, fans vanité, 1743. une galanterie que le roi m'a faite, ou plutôt à lui; il a voulu que je l'admirasse dans fa gloire.

Sa falle d'opéra eft la plus belle de l'Europe. Charlotembourg eft un féjour délicieux: Fédéric en fait les honneurs, et le roi n'en fait rien. Le roi n'a pas encore fait tout ce qu'il voulait, mais fa cour, quand il veut bien avoir une cour, refpire la magnificence et le plaifir.

On vit à Potsdam comme dans le château d'un feigneur français qui a de l'efprit, en dépit du grand bataillon des gardes, qui me paraît le plus terrible bataillon de ce monde.

Jordan reffemble toujours à Ragotin; mais c'est Ragotin bon garçon et difcret, avec feize cents écus d'Allemagne de penfion. D'Argens eft chambellan, avec une clef d'or à fa poche et cent louis dedans, payés par mois. Chazot, ce Chazot que vous avez vu maudiffant la deftinée, doit la bénir; il est major, et a un gros efcadron qui lui vaut environ feize mille livres, au moins, par an. Il l'a bien mérité, ayant fauvé le bagage du roi à la dernière bataille.

Je pourrais, dans ma sphère pacifique, jouir auffi des bontés du roi de Pruffe, mais vous favez qu'une plus grande fouveraine, nommée madame du Châtelet, me rappelle à Paris. Je fuis comme ces Grecs qui renonçaient à la cour du grand roi, pour venir être honnis par le peuple d'Athènes.

J'ai paffé quelques jours à Bareith. Son Alteffe royale m'a bien parlé de vous. Bareith est une retraite délicieufe où l'on jouit de tout ce qu'une

cour a d'agréable fans les incommodités de la gran1743. deur. Brunfvick, où je fuis, a une autre espèce de charme: c'eft un voyage célefte où je paffe de planète en planète, pour revoir enfin ce tumultueux Paris où je ferai très-malheureux fi je ne vois pas l'unique Maupertuis que j'admire et que j'aime pour toute ma vie.

LETTRE CCXXXII.

A M. A MELOT.

27 novembre.

EN

MONSEIGNEUR,

N arrivant à la Haie, je commence par vous rendre compte de plufieurs particularités dont je n'ai pu encore avoir l'honneur de vous informer.

Pour aller par ordre, je dirai d'abord que le roi de Pruffe m'écrivit quelquefois de Potsdam à Berlin, et même de petits billets de fon appartement à ma chambre, dans lesquels il paraissait évidemment qu'on lui avait donné de très-finiftres impreffions qui s'effaçaient tous les jours peu à peu. J'en ai entre autres une du 7 septembre, qui commence ainfi: Vous me dites tant de bien de la France ,, et de fon roi, qu'il ferait à fouhaiter, &c. et qu'un roi digne de cette nation, qui la gouverne fagement, peut lui rendre aifément fon ancienne fplendeur. Perfonne de tous les fouverains de

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