Page images
PDF
EPUB

conduite paffée ; mais il paraît en fentir autant d'afflic1743. tion qu'il en parle avec violence.

Soyez très - perfuadé que, dès l'année 1741, il a prévu tout ce qui eft arrivé. Il pense à préfent que fi fa Majesté envoyait ou fefait croire qu'elle envoie un corps confidérable vers la Meufe, cette démarche bien ménagée opérerait une très - grande défunion entre le parti anglais, qui prédomine en Hollande, et le parti pacifique qu'on ne doit pourtant pas appeler le parti français. Il ne m'appartient pas d'avoir une opinion fur ces matières, j'en laiffe le jugement ici à monfieur l'ambaffadeur et à M. de Laville, dont les lumières et l'expérience font trop fupérieures à mes faibles conjectures. Je n'ai ici d'autre avantage que celui de mettre les partis différens et les miniftres étrangers à portée de me parler librement. Je me borne et me bornerai toujours à vous rendre un compte simple et fidelle.

Mais, comme il paraît néceffaire que le roi de Pruffe ait une opinion très-avantageufe des forces et des réfolutions vigoureufes de la France, j'ofe vous sup→ plier de m'envoyer quelques couleurs avec lesquelles je puiffe faire un tableau qui le frappe quand je lui ferai ma cour à Spa; et je vous en prie d'autant plus, que je fuis certain que le tableau lui plaira beaucoup. La France est une maîtreffe qu'il a quittée, mais qu'il aime et qu'il fouhaite paffionnément de voir embellie. M. Trevor m'a demandé aujourd'hui en confidence fi je croyais que la maison de Lorraine eût un grand parti en Lorraine.

LETTRE C C X X I.

A M. LE MARQUIS D'ARGENSON, à Paris.

A la Haie, au palais du roi de Pruffe, le 8 d'auguste.

SOYEZ

OYEZ chancelier de France, Monfieur, fi vous voulez que j'y revienne; rendez-nous la gloire des lettres, quand nous perdons celle des armes. Les hommes font faits originairement, ce me femble, pour penfer, pour s'inftruire, et non pour se tuer. Faut-il que la guerre ne foit pas encore la feule perfécution que les arts effuient ? Je gémis de voir ce pauvre abbé Langlet enfermé, à foixante-dix ans, dans la baftille, après nous avoir donné une bonne méthode pour étudier l'hiftoire, et d'excellentes tables chronologiques. Qui font donc les vandales qui fe font imaginés que l'impreffion du fixième volume des additions à l'hiftoire de ce bon citoyen le préfident de Thou, était un crime d'Etat? Quel comble de barbarie, et quel excès de petiteffe de ne pas permettre qu'on imprime des livres où l'on explique Newton, et où l'on dit que les rêveries de Defcartes font des rêveries!

J'aime encore mieux l'abus qu'on fait ici de la liberté d'imprimer fes pensées, que cet efclavage dans lequel on veut chez vous mettre l'efprit humain. Si l'on y va de ce train, que nous reftera-t-il, que le fouvenir de la gloire du beau fiècle de Louis XIV?

Cette décadence me ferait fouhaiter de m'établir dans le pays où je fuis à préfent. N'ayant rien à y prétendre, je n'aurais point de plaintes à former.

1743.

Je vivrais tranquille, et j'y souhaiterais à la France 1743. des temps plus brillans.

Il

y a ici des hommes très-eftimables; la Haie eft un féjour délicieux l'été, et la liberté y rend les hivers moins rudes. J'aime à voir les maîtres de l'Etat fimples citoyens. Il y a des partis, et il faut bien qu'il y en ait dans une république; mais l'efprit de parti n'ôte rien à l'amour de la patrie, et je vois de grands-hommes oppofés à de grands-hommes.

Je fuis bien aise, pour l'honneur de la poëfie, que ce foit un poëte qui ait contribué ici à procurer des fecours à la reine d'Hongrie, et que la trompette de la guerre ait été la très-humble fervante de la lyre d'Apollon. Je vois, d'un autre côté, avec non moins d'admiration, un des principaux membres de l'Etat, dont le fyftême eft tout pacifique, marcher à pied fans domeftiques, habiter une maison faite pour ces confuls romains qui fefaient cuire leurs légumes, dépenser à peine deux mille florins par an pour sa perfonne, et en donner plus de vingt mille à des familles indigentes.

Ces grands exemples échappent à la plupart des voyageurs; mais ne vaut-il pas mieux voir de telles curiofités que les proceffions de Rome, les récolets au capitole, et le miracle de St Janvier ? Des hommes de bien, des hommes de génie : voilà mes miracles.

Ce gouvernement-ci vous plairait infiniment, même avec les défauts qui en font inféparables. Il eft tout municipal, et voilà ce que vous aimez. La Haie d'ailleurs eft le pays des nouvelles et des livres ; c'eft proprement la ville des ambaffadeurs; leur

fociété eft toujours très-utile à qui veut s'inftruire. On les voit tous en un jour. On fort, on rentre chez 1743. foi; chaque rue eft une promenade; on peut fe montrer, se retirer tant qu'on veut. C'eft Fontainebleau, et point de cour à faire.

Adieu, Monfieur; plut à Dieu que je puffe vous faire la mienne! Vous favez fi je vous fuis attaché pour jamais.

LETTRE C C X X I I.

A M. LE DUC DE RICHELIEU.

J'AI

A la Haie, ce 8 augufte.

AI reçu, monfieur le Duc, la lettre dont vous m'avez honoré par la voie de Francfort; mais il n'y a plus moyen de vous écrire par l'Allemagne, à moins que je ne veuille apprendre aux houffards autrichiens combien je vous aime. Daignez donc me donner vos ordres dans les paquets que vous adrefferez à madame du Châtelet.

Les troupes hollandaises ne pourront certainement joindre les alliés que le 15 ou le 16 de septembre. Il paraît cependant que le gouvernement anglais commence à faire réflexion que tout le fardeau de la guerre retombera fur lui, et qu'il fe ruine dans l'idée chimérique de faire avoir à la reine d'Hongrie un dédommagement aux dépens de la France. La moitié des Provinces-Unies a toujours des fentimens de paix, et je ne voudrais pas parier que les troupes de la république n'euffent bientôt des ordres de ne

point agir, pour peu que la France témoigne de 1743. vigueur et de bonne conduite. Il y a grande appa

rence qu'on tirera de grands avantages de nos fautes paffées. Dunkerque peut être rétabli pour n'être plus jamais détruit, et la France en deux ou trois mois de temps peut devenir plus refpectable que jamais. Il paraît que nous ne fommes pas extrêmement bien voulus dans les pays étrangers; quand je dis nous, je dis notre puiffance, car on aime les particuliers en haïffant la France. On nous traite comme nous traitons les jéfuites; on dit du mal du corps, et on eft fort aise de vivre avec les membres; on nous prie à fouper, et on chante pouille à notre ministère; on joue publiquement, par permission du magiftrat, une comédie intitulée la Préfomption punie, dans laquelle la reine d'Hongrie eft repréfentée fous le nom de Mimi; le cardinal de Fleuri, fous celui d'un vieux bailli impuissant, qui, ne pouvant coucher avec Mimi, veut lui ôter toute la fucceffion de fon père; le prince Charles, fous le nom de Charlot, chaffe le bailli et fes conforts, et voilà la Préfomption punie; on va voir de dix lieues cette mauvaise bouffonnerie qui fe joue à Amsterdam. J'aime encore mieux cette farce que la tragédie de Dettingen, cela ne caffe ni bras ni tête. Confervez la vôtre, monfieur le Duc, et permettez que je faffe auffi des fouhaits pour un individu fort aimable, qui a grande obligation au vôtre. Souffrez que je vous prie de daigner faire fouvenir de moi M. le duc de Duras, in quo bene complacuifli. Si vous pouvez m'apprendre de bonnes nouvelles, fi vous avez la bonté de me faire un tableau bien brillant de votre

« PreviousContinue »