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LETTRE C C X V I.

A M. THIRIO T.

A Paris, le 11 juin.

1743.

LA perfécution et le ridicule font un peu outrés.

J'ai une récompense bien fingulière et bien triste de trente années de travail. Ce n'eft pas tant Jules-Céfar que moi qu'on profcrit. Mais je songe encore plus à votre penfion qu'aux tribulations que j'éprouve, et le plus grand de mes chagrins eft de voir fouffrir mon ami; car enfin la penfion du roi de Pruffe vous est plus néceffaire que ne me l'était la juftice que me refuse ma patrie.

LETTRE CCX VI I.

A M. DE PONT-DE-VES LE.

Juin.

IL eft bien dur de partir fans avoir la confolation

d'embraffer M. de Pont-de-Vefle. Je ne mettrais point de bornes à ma douleur, fi, dans ma boîte de Pandore, il ne reftait l'efpérance de vous revoir un jour, et d'entendre avec vous Jules-Céfar. Les brutes qui me chicanent font auffi fots que ceux qui assassinèrent mon héros furent cruels.

Correfp. générale.

Tome II. Ff

1743.

LETTRE CCXVIII.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

A la Haie, au palais du roi de Pruffe, 5 juillet.

EH bien, mes adorables anges, ce petit hémisphère

eft plus fou et plus malheureux que jamais; et moi ne fuis-je pas un des plus infortunés de la bande? Les uns vont mourir de faim ou par l'épée des ennemis, vers le Danube, les autres fur le Mein, et moi où vais-je? où fuis-je? j'ai bien peur de mourir de chagrin loin de vous.

Eft-on devenu affez déterminément oftrogots pour ne pas jouer Jules-Céfar? Si on avait dit, il y a quelques années, qu'on parviendrait à cet excès d'impertinence, on ne l'aurait pas cru. Je ne vous déplairai pas en vous difant qu'il y a ici une comédie affez paffable; Prin et Fierville en font les principaux acteurs. Il y a une Bercaville qui vaut mieux fans comparaifon que toutes les foubrettes qu'on a effayées, et qui eft plus effrontée elle feule que toutes les autres ensemble. Les Anglais font encore plus effrontés pourtant, et prennent un terrible afcendant fur ce théâtre-ci. Ils jouent le rôle de tyrans fort noblement; et les Hollandais, celui d'affiftans derrière leurs maîtres. Peut-on fe réjouir à Paris dans ce malheur général ! hélas! il le faut bien; et on tuerait cent mille hommes en Allemagne, que l'opéra ferait plein les vendredis. Mais pourquoi la comédie ne le fera-t-elle pas?

Le roi de Pruffe eft réellement indigné des persécutions que j'effuie; il veut abfolument m'établir à 1743. Berlin; j'ai facrifié fa lettre à madame du Châtelet et à mes anges. Tout ce que je vous dis là, je le dis à M. de Pont-de-Vefle, baifant toujours vos ailes avec

un pur amour.

LETTRE C C XIX.

A M. AMELOT,

MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGERES.

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A la Haie, 2 augufte.

MONSEIGNEUR,

E dépêchai, le 21 du mois paffé, un courier jusqu'à Lille, avec un paquet qu'il devait rendre à madame Denis ma nièce, femme du commiffaire des guerres : dans ce paquet il y en avait un pour M. le comte de Maurepas; et, fous l'enveloppe de M. de Maurepas, une lettre d'environ fix pages que j'avais l'honneur de vous adreffer, fans fignature. Cette lettre contenait, entre autres particularités, la petite découverte que j'avais faite, que le roi de Pruffe fait négocier fecrétement un emprunt de quatre cents mille florins à Amsterdam à 3 pour cent. Je concluais de là, ou que fes tréfors ne font pas auffi confidérables qu'on le dit, ou qu'il veut emprunter à un petit intérêt, pour rembourfer des fommes qui en portent un plus grand. Je vous demandais la permiffion de me fervir de cette

connaiffance pour tâcher de démêler s'il voudrait 1743. recevoir des fubfides, et j'ofais proposer une manière d'affamer les armées ennemies, laquelle ce prince pouvait mettre en ufage avec adreffe.

Le même jour, 21 du mois paffé, je fis propofer, par une voie très-secrète, à ce monarque de faire quelques difficultés aux Provinces-Unies touchant le paffage des munitions de guerre qui doivent remonter le Rhin fur fon territoire. Il a approuvé le projet; et fi les chofes ne changent pas, fon miniftre aura ordre de retarder le paffage de ces munitions autant qu'il le pourra. On s'y prend avec beaucoup d'art. L'envoyé du roi de Pruffe a ordre de ne point communiquer avec l'ambaffadeur de France, parce qu'on craint qu'il ne s'en prévale, dans la chaleur des conjonctures préfentes. On ne veut point du tout paraître lié avec vous; et on veut vous fervir fous main, en ménageant la république.

Je tâcherai de faire fermenter ce petit levain. Je peux vous affurer que le fond des fentimens du roi de Pruffe eft tel qu'il était en 1741, quand il écrivit la lettre ci-jointe, dont j'ai l'honneur de vous envoyer copie.

Je compte toujours lui faire ma cour à Aix-lachapelle, vers le 18 de ce mois.

LETTRE CC X X.

AUME ME.

Ce 3 augufte.

1743.

MONSEIGNEUR,

HIER,

IER, après le départ de ma lettre, j'en reçus une duroi de Pruffe, datée du camp de Husfelt en Siléfie, place dans laquelle il va bâtir une ville tandis qu'il fortifie fes frontières. Il fera le 14 à Berlin, et le 18 ou le 20 à Spa, et non plus à Aix-la-chapelle.

Je fuis toujours dans la même espérance touchant le petit fervice que le roi de Pruffe doit rendre; mais je crains que cette démarche n'ait pas d'affez grandes fuites, fi ce prince reste dans les idées qu'il me témoi gne. Tous fes correspondans lui ont perfuadé que la France eft trop affaiblie pour mettre actuellement un grand poids dans la balance. Je n'ai pu même empêcher un ami intime, que j'ai ici, de lui écrire des chofes qui doivent le dégoûter de votre alliance. Cet ami eft cependant entiérement dans vos intérêts; et le roi de Pruffe fent parfaitement qu'au fond votre cause et la fienne font communes. Mais cet ami ne peut écrire autrement, de peur d'être démenti par les autres correfpondans; et le roi de Pruffe ne peut à préfent concevoir que des idées défavantageufes fur tant de rapports.

Je fuis obligé de vous dire que, dans fa dernière lettre, il s'exprime dans les termes les plus durs fur la

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