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Si vous avez quelque chofe à m'apprendre de votre

deftinée, écrivez à Bruxelles.

Adieu, mon aimable et charmant ami.

J'AI

LETTRE CCIII.

A M. THIRIOT.

A Bruxelles, le 9 octobre.

AI reçu votre lettre du 2 octobre, mais pour celle du 12 feptembre, il était fort difficile qu'elle me parvînt, attendu que j'étais parti le 10 d'Aix-la-chapelle où elle était adreffée. Je n'avais pas besoin assurément d'être excité à prendre vos intérêts auprès d'un prince à qui je les ai toujours ofé, et ofé seul représenter: car, quoi que vous en puiffiez dire, foyez très-perfuadé qu'il n'y a jamais eu que moi seul qui lui aye parlé de votre penfion. On ne paye actuellement aucun marchand. Vous favez que les tableaux de Lancret ne font point payés. Il faudra bien pourtant qu'on s'arrange à la fin, et qu'on acquitte des dettes fi preffantes; alors j'ai tout lieu de croire que vous ne ferez point oublié. J'avoue qu'il eft très-dur d'attendre. Cet homme-là s'empare d'une province plus vîte qu'il ne paye un créancier ; mais comme il ne perd de vue aucun objet, chaque chofe aura fon temps. Il fait bâtir une falle de fpectacle dont l'architecture fera ce qu'il y aura de plus beau dans l'Europe en ce genre. Il aura une comédie l'année prochaine. Il fonde une académie pour l'éducation des jeunes gens d'une manière bien plus utile que ce

1742.

qu'il s'était propofé d'abord. Vous voyez que ce 1742. ferait bien dommage fi un prince qui fait de fi grandes

chofes oubliait les petites qui font nécessaires; je dis les petites par rapport à lui, car votre penfion eft pour moi une très-grande affaire.

Je ne doute pas qu'avant qu'il foit un an, je ne réussisse à lui faire agréer M. de la Bruère, qui pourra avoir un emploi très-agréable pour un homme de lettres. Ce fera une très-bonne acquifition pour Berlin, mais c'eft à mon gré une perte pour Paris. Je ne connais guère d'efprit plus jufte et plus délicat. Il est bien trifte qu'avec fes talens il ait befoin de fortir de France.

Vous me dites qu'il eft venu d'étranges récits fur le compte du roi de Pruffe d'Aix-la-chapelle, mais que madame du Châtelet ni moi nous n'y fommes point mêlés. Cette restriction semble supposer que madame du Châtelet était à Aix-la-chapelle: c'eft un voyage auquel elle n'a pas penfé. Si elle avait eu à le faire, ce n'eft pas ce temps-là qu'elle cût pris. Je fais à peu-près d'où partent ces difcours; mais il faut favoir que les fefeurs de tragédies, c'eft-à-dire, les rois et moi, nous fommes fifflés quelquefois par un parterre qui n'eft pas trop bon juge; les auteurs en font fâchés, de ces fifflets, mais les rois s'en moquent et vont leur train.

Songez à votre fanté, et puiffiez-vous avoir inceffamment une bonne penfion affignée fur la Siléfie, laquelle vaut par an à fon vainqueur quatre millions fept cents mille écus d'Allemagne, toutes charges faites. Je vous embraffe de tout mon cœur.

LETTRE CCI V.

1742.

A M. L'ABBÉ ONILLON (*).

Octobre.

Allah, illah, allah, Mehemet rezoul, allah.

JE

E baife les barbes de la plume du fage Onillon, fils d'Onillon, refplendiffant entre tous les imans de la loi du Chrift.

Votre lettre a été pour moi ce que la rofée eft pour les fleurs, et les rayons du foleil pour le tournefol. Que DIEU vous couronne de profpérité comme vous l'êtes de fageffe, et qu'il augmente la rondeur de votre face! Mon cœur fera dilaté de joie, et la reconnaiffance fera dans lui comme fur mes lèvres, quand mes yeux pourront lire les doctes pages du généreux iman qui fortifie la faibleffe de mon drame par la force de fon éloquence. J'attends avec impatience fa docte differtation. Mais comme la pofte des infidelles eft très-chère, et que le plus petit paquet coûte un fultanin, je vous fupplie de vouloir bien faire mettre promptement au coche de Bruxelles cet écrit bien ficelé et point cacheté, felon les ufages de la peu fublime pofte de Bruxelles. Ce paquet arrivera en fix ou fept jours, attendu qu'il n'y a que dix-fept cents vingt-huit ftades de la ville impériale de Paris

(*) Il avait écrit à l'auteur une lettre en ftyle oriental, fur la tragédie de Mahomet. M. de Voltaire lui répondit fur le même ton.

1742.

à celle où la divine Providence nous retient actuellement. Que DIEU vous accorde toutes les églantines de Toulouse, et toutes les médailles des quarante! que le bordereau de la fortune tombe de ses mains entre les vôtres !

Ecrit dans mon bouge, fur la place de Louvain, affligé d'une énorme colique, le 8 de la lune du neuvième mois, l'an de l'hégire 1122.

Si la divine Providence permet que vous voyez le plus généreux et le plus aimable des enfans des hommes, d'Argental, fils de Fériol, dont DIEU croiffe la chevance, nous vous prions de l'affurer que nous foupirons après l'honneur de le voir avec plus d'ardeur que les adjes ne foupirent après la vue de la pierre noire de Caaba, et qu'il fera toujours, ainsi que fa compagne ornée de grâces, l'objet des plus vives tendreffes de notre cœur.

JE

LETTRE CC V.

A M. THIRIO T, à Paris.

A Bruxelles, le 3 novembre.

E vous avoue que je fuis auffi fâché que vous du retard que vous éprouvez. Nous en raisonnerons à loifir à Paris où j'efpère vous voir avant la fin du mois,

Satisfait fans fortune et fage en vos plaifirs.

Je voudrais bien voir cette fageffe un peu plus à son aise. On ne m'écrira que lorsque je ferai à

Paris

Paris. Ainfi jufque-là je n'ai rien de nouveau à vous dire. J'attends pour cet hiver la paix et votre penfion. 1742. J'ai vu les meurtriers anglais et les meurtriers heffois et hanovriens : ce font de très-belles troupes

à

renvoyer dans leurs pays. Dieu les y conduife, et moi à Paris, par le plus court! Les maudits houffards ont pris tout le petit équipage de mon pauvre neveu Denis, qui fe tue le corps et l'ame en Bohème, et qui eft malade à force de bien fervir. Pour furcroît de difgrâce, on lui a faifi ici deux beaux chevaux qu'il envoyait à fa femme, et je n'ai jamais pu les retirer des mains des commis, gens maudits de DIEU dans l'Evangile, et plus dangereux que les houffards. Vous voyez que dans ce monde vous n'êtes pas le feul à plaindre.

Madame du Châtelet effuie tous les tours de la chicane, et moi tous ceux des imprimeurs.

Durum: fed levius fit patientiâ,

Quidquid corrigere eft nefas.

Quiconque eft au coin de fon feu, et qui fonge en foupant qu'en Bohème on manque fouvent de pain, doit fe trouver heureux.

Je vous embraffe; comptez toujours fur mon amitié.

Correfp. générale.

Tome II, Ee

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