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faire des Jacques Clément et des Ravaillac. Ne trouvezvous pas que ce font-là de bonnes têtes? Ils croient 1742. fans doute qu'Harpagon fait des avares, et enfeigne

le

gros

à prêter fur gages. Il y a une chofe qui me fait de la peine, mon cher ami, et je vous la dirai; c'est que de notre nation n'a point d'efprit. Le petit nombre d'illuftres précepteurs que les Français ont eu dans le fiècle paffé, n'a pu encore rendre la raison univerfelle. Corneille, Racine, Molière, la Bruyère, Boffuet, Fénelon, &c. &c. ont eu beau faire, le faux, le petit, le léger font le caractère dominant. Cependant, il y a toujours le petit nombre des élus à la tête defquels je vous place. Ceux-là conduifent à la longue le troupeau : Dux regit agmen ; mais ce n'est qu'à la longue, et il faut des années avant que les gens d'efprit aient repétri les fots.

Le Tartuffe effuya autrefois de plus violentes contradictions; il fut enfin vengé des hypocrites. J'efpère l'être des fanatiques; car enfin, Mahomet eft Tartuffe le grand.

Nous en raisonnerons à Paris, c'est-là ma plus chère efpérance; car vous y viendrez à ce Paris, et moi j'y ferai dans deux ou trois mois.

il

Tout ce griffonnage, mon cher ami, avait été écrit y a huit jours. J'ai été voir le roi de Prufse avant de finir ma lettre. J'ai courageusement réfifté aux belles propofitions qu'il m'a faites. Il m'offre une belle maifon à Berlin, et une jolie terre; mais je préfère mon fecond étage dans la maison de madaine du Châtelet. Il m'affure de fa faveur et de la confervation de ma liberté, et je cours à Paris à mon esclavage et à la perfécution. Je me crois un petit athénien qui

refuse les bontés du roi de Perfe. Il y a pourtant une 1742. petite différence : on était libre à Athènes, et je fuis

sûr qu'il y avait beaucoup de Cideville; fans cela comment aurait-on pu aimer fa patrie? C'eft beaucoup qu'il y en ait un en France, et que je puiffe me flatter d'avoir bientôt la confolation de l'embraffer.

Madame du Châtelet fait toujours ici sa malheureuse guerre de chicane, et on craint à tout moment d'en voir une véritable et univerfelle. Quel acharnement! ne faudra-t-il pas faire la paix après la guerre? Eh, morbleu, que ne fait-on la paix tout d'un coup! Adieu; je vous regrette, je vous aime, je voudrais paffer avec vous ma vie.

LETTRE CXCIX.

A MADAME

DE SOLAR, à Paris.

A Bruxelles, 2 septembre.

CE fut, Madame, le 23 du dernier mois, que les troupes enfermées dans Prague firent la plus vigoureufe fortie. Ils comblèrent une partie de la tranchée, ils renversèrent des batteries, ils enclouèrent du canon. Le combat dura une heure; on se battit de part et d'autre en désespérés. On dit le prince des Deux-Ponts bleffé à mort, le duc de Biron prisonnier, un nombre à peu-près égal de morts des deux côtés, mais beaucoup plus d'officiers français que d'autrichiens, par la raifon qu'il y a toujours plus d'officiers

dans nos troupes que chez les étrangers, et qu'ainsi nous jouons des pistoles contre de la monnaie.

Après cette fanglante action, il y eut une heure d'armistice pendant laquelle on agit et on fe parla comme fi tout le monde avait été du même parti. Les officiers français avouèrent aux autrichiens qu'ils efpéraient que l'armée de fecours arriverait le 28 auguste. Leurs généraux leur avaient donné cette efpérance. Les affiégeans les détrompèrent, et leur firent voir que cette armée ne pouvait arriver qu'à la fin de septembre; mais nos troupes, loin d'en être découragées, protestent qu'elles périront plutôt que de fe rendre. Jamais on n'a vu tant de zèle et tant d'intrépidité chaque foldat femble être responsable de la gloire de la nation; c'eft une juftice que leur rend le prince Charles.

J'ai mandé cette nouvelle à M. le président de Meynières, pour en orner le grand livre de madame Doublet; mais j'ai oublié de lui dire que nous avons pris Monti, ingénieur en chef de l'armée autrichienne. Puiffe tant de courage être fuivi d'une paix auffi prompte qu'honorable! Il paraît que les Hollandais temporifent. Il y a ici dix-huit mille anglais avec du canon, vingt-deux mille nationaux, et on attendait, il y a cinq jours, M. de Neiperg avec la déclaration de leurs hautes et lentes Puiffances. Seize mille hanovriens devaient fe joindre à toutes ces troupes, et commencer les opérations vers Thionville. Tous ces projets paraiffent fufpendus.

Le roi de Pruffe eft à Aix-la-chapelle où il fait femblant de confulter des charlatans, et de boire des eaux. Il traite les médecins comme les autres

1742.

puiffances. Je pars dans l'inftant, avec la permiffion 1742. du roi, pour aller faire un moment ma cour à ce prince. J'aimerais bien mieux partir pour venir manger la poule au riz. Permettez-moi, Madame, de présenter mes refpects à M. de Solar. Madame du Châtelet va vous écrire. J'ai écrit aux anges. Le baccio i piedi.

LETTRE C C.

A M. LE MARQUIS D'ARGENSON, à Paris.

JE

A Bruxelles, ce 10 septembre.

E vous en fais mon compliment, Monfieur, et je le ferais encore avec plus de plaifir s'il s'adreffait à vous directement. J'ai vu, ces jours-ci, le roi de Prusse, et je l'ai vu comme on ne voit guère les rois, fort à mon aife, dans ma chambre, au coin de mon feu où ce même homme, qui a gagné deux batailles, venait caufer familièrement comme Scipion avec Térence. Vous me direz que je ne fuis pas Térence, mais il n'est pas non plus tout-à-fait Scipion.

J'ai appris des chofes bien extraordinaires. Il y en a une qu'on débite fourdement, au moment que j'ai l'honneur de vous écrire on dit le fiége de Prague levé, mais Bruxelles eft le pays des mauvaises nouvelles. M. de Neiperg eft arrivé de Hollande ici, mais il n'amène point de troupes hollandaises, comme on s'en flattait ; et nous pourrions bien avoir inceffamment une paix utile et glorieufe, malgré milord Stairs et malgré M. Van - Haren qui eft le

poëte Tirtée des Etats généraux. L'un préfente des mémoires, l'autre fait des odes; et avec tant de profe 1742. et tant de vers, leurs groffes et lentes Puiffances pourraient bien refter tranquilles. Dieu le veuille, et nous préferve d'une guerre dans laquelle il n'y a rien à gagner, mais beaucoup à perdre !

Les Anglais veulent nous attaquer chez nous, et nous ne pouvons leur en faire autant la partie en ce fens ne ferait pas égale. Si nous les tuons tous, nous envoyons vingt mille hérétiques en enfer, et nous ne gagnons pas un château fur la terre; s'ils nous tuent, ils mangent encore à nos dépens. Il vaut bien mieux n'avoir de querelles que fur Locke et fur Newton. Celle que j'ai fur Mahomet, n'eft heureusement que ridicule. On croit ici les Français gais et légers qui croirait qu'il y en ait de fi tristes et de fi pédans!

Vous qui êtes fi loin d'être l'un et l'autre, confervez-moi, Monfieur, des bontés qui me feront toujours bien précieuses, et protégez-moi un peu auprès de monfieur votre fils. Madame du Châtelet vous fait mille complimens.

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