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1738.

Il y a long-temps que je ne m'occupe uniquement que de phyfique. Je ne comptais pas que les Elémens de Newton paruffent fitôt. Je ne les ai point encore; mais ce que je peux dire, c'eft qu'il n'y a point d'exemple d'une audace et d'une impertinence pareilles de la part des libraires de Hollande. Ils n'ont pas attendu la fin de mon manufcrit; ils ofent donner le livre imparfait, non corrigé, fans table, fans errata ; les quatre derniers chapitres manquent abfolument. Je ne conçois pas comment ils en peuvent vendre deux exemplaires; leur précipitation mériterait qu'ils fuffent ruinés. Ils fe font empreffés, grâces à l'auri facra fames, de vendre le livre ; et le public curieux et ignorant l'achète comme on va en foule à une pièce nouvelle. L'affiche de ces libraires eft digne de leur fottife; leur titre n'eft point affurément celui que je deftinais à cet ouvrage; ce n'était pas même ainfi qu'était ce titre dans les premières feuilles imprimées que j'ai eues et que j'ai envoyées à monfieur le chancelier; il y avait fimplement: Elémens de la philofophie de Newton. Il faut être un vendeur d'orviétan pour y ajouter: A la portée de tout le monde; et un imbécille pour penfer que la philofophie de Newton puiffe être à la portée de tout le monde. Je crois que quiconque aura fait des études paffables, et aura exercé fon esprit à réfléchir, comprendra aifément mon livre; mais fi l'on s'imagine que cela peut fe lire entre l'opéra et le fouper, comme un conte de la Fontaine, on se trompe affez lourdement : c'est un livre qu'il faut étudier. Quand M. Algarotti me lut fes Dialogues fur la lumière, je lui donnai l'éloge qu'il méritait, d'avoir répandu infiniment d'esprit et de

clarté fur cette belle partie de la phyfique; mais alors il avait peu approfondi cette matière. L'efprit 1738. et les agrémens font bons pour des vérités qu'on effleure; les dialogues des Mondes, qui n'apprennent pas grand'chofe, et qui d'ailleurs font trop remplis de la miférable hypothèse des tourbillons, font pourtant un livre charmant, par cela même que le livre eft d'une phyfique peu recherchée, et que rien n'y eft traité à fond; mais fi M. Algarotti eft entré, depuis notre dernière entrevue à Cirey, dans un plus grand examen des principes de Newton, fon titre per le dame ne convient point du tout, et fa marquife imaginaire devient affez déplacée; c'eft ce que je lui ai dit, et voilà pourquoi j'ai commencé par ce trait qu'on me reproche, en parlant à une philosophe plus réelle. Je n'ai aucune intention de choquer l'auteur des Mondes, que j'eftime comme un des hommes qui font le plus d'honneur à ce monde-ci: c'eft ce que je déclare publiquement dans les mémoires envoyés à tous les journaux. Continuez, mon cher ami, à écrire à Cirey à votre ami.

1738.

LETTRE XVIII.

A M. DE S' GRAVESENDE,

JE

PROFESSEUR DE MATHEMATIQUES.

A Cirey, I juin.

E vous remercie, Monfieur, de la figure que vous avez bien voulu m'envoyer de la machine dont vous vous fervez pour fixer l'image du foleil. J'en ferai faire une fur votre deffin, et je ferai délivré d'un grand embarras; car moi qui fuis fort maladroit, j'ai toutes les peines du monde dans ma chambre obfcure avec mes miroirs. A mefure que le foleil avance, les couleurs s'en vont, et reffemblent aux affaires de ce monde, qui ne font pas un moment de fuite dans la même fituation. J'appelle votre machine un fta fol. Depuis Jofué, perfonne avant vous n'avait arrêté le foleil.

J'ai reçu dans le même paquet l'ouvrage que je vous avais demandé, dans lequel mon adversaire, et celui de tous les philofophes, emploie environ trois cents pages au fujet de quelques penfées de Pafcal, que j'avais examinées dans moins d'une feuille. Je fuis toujours pour ce que j'ai dit. Le défaut de la plupart des livres eft d'être trop longs. Si on avait la raison pour foi, on ferait court; mais peu de raison et beaucoup d'injures ont fait les trois cents pages.

J'ai toujours cru que Pafcal n'avait jeté fes idées fur le papier que pour les revoir et en rejeter une

partie. Le critique n'en veut rien croire. Il foutient

que Pafcal aimait toutes fes idées, et qu'il n'en eût 1738. retranché aucune; mais s'il favait que les éditeurs eux-mêmes en fupprimèrent la moitié, il ferait bien furpris. Il n'a qu'à voir celles que le père des Mollets a recouvrées depuis quelques années, écrites de la main de Pascal même, il fera bien plus furpris encore. Elles font imprimées dans le Recueil de littérature. (*)

Les hommes d'une imagination forte, comme Pafcal, parlent avec une autorité defpotique; les ignorans et les faibles écoutent avec une admiration fervile; les bons efprits examinent.

Pafcal croyait toujours, pendant les dernières années de fa vie, voir un abyme à côté de fa chaife; faudrait-il pour cela que nous en imaginaflions autant? Pour moi je vois auffi un abyme, mais c'est dans les chofes qu'il a cru expliquer. Vous trouverez dans les mélanges de Leibnitz, que la mélancolie égara fur la fin la raifon de Pafcal; il le dit même un peu durement. Il n'eft pas étonnant, après tout, qu'un homme d'un tempérament délicat, d'une imagination trifte, comme Pafcal, foit, à force de mauvais régime, parvenu à déranger les organes de fon cerveau. Cette maladie n'eft ni plus furprenante, ni plus humiliante que la fièvre et la migraine. Si le grand Pascal en a été attaqué, c'eft Samfon qui perd fa force. Je ne fais de quelle maladie était affligé le docteur qui argumente fi amèrement contre moi; mais il prend le change en tout, et principalement fur l'état de la queftion.

Le fond de mes petites remarques fur les Penfées (*) Voyez les remarques fur les Pensées de Pascal, Philosophic, T. I.

1738.

de Pafcal, c'est qu'il faut croire fans doute au péché originel, puisque la foi l'ordonne; et qu'il faut y croire d'autant plus que la raison est absolument impuiffante à nous montrer que la nature humaine est déchue. La révélation feule peut nous l'apprendre. Platon s'y était jadis caffé le nez. Comment pouvait-il favoir que les hommes avaient été autrefois plus beaux, plus grands, plus forts, plus heureux ? qu'ils avaient eu de belles ailes, et qu'ils avaient fait des enfans fans femmes?

Tous ceux qui fe font fervis de la phyfique pour prouver la décadence de ce petit globe de notre monde, n'ont pas eu meilleure fortune que Platon. Voyez-vous ces vilaines montagnes, difaient-ils, ces mers qui entrent dans les terres, ces lacs fans iffue? ce font des débris d'un globe maudit; mais quand on y a regardé de plus près, on a vu que ces montagnes étaient néceffaires pour nous donner des rivières et des mines, et que ce font les perfections d'un monde béni. De même mon cenfeur affure que notre vie eft fort raccourcie en comparaison de celle des corbeaux et des cerfs; il a entendu dire à fa nourrice que les cerfs vivent trois cents ans, et les corbeaux neuf cents. La nourrice d'Héfiode lui avait fait auffi apparemment le même conte; mais mon docteur n'a qu'à interroger quelque chaffeur, il faura que les cerfs ne vont jamais à vingt ans. Il a beau faire, l'homme eft de tous les animaux celui à qui DIEU accorde la plus longue vie; et quand mon critique me montrera un corbeau qui aura cent deux ans, comme M. de Saint - Aulaire et madame de Chanclos, il me fera plaifir.

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