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au châtelet fon apprentiffage de maître des requêtes, d'intendant, de confeiller d'Etat et de ministre. Frère François priera toujours DIEU pour vous avec un très-grand zèle et très-efficace.

LETTRE CXCII.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

A Gray en Franche-Comté, ce 19 janvier.

Nous avons paffé par la Franche-Comté, mon

cher et refpectable ami, pour venir plutôt vous revoir. Puifque l'amitié et la reconnaissance ont conduit madame du Châtelet à Gray, elles nous ramèneront bien vîte auprès de vous. Je ne vous mandai point le fuccès entier de fon affaire, parce que je croyais qu'elle vous écrirait le même jour que moi. Je me contentai de vous parler des bagatelles intéreffantes du théâtre. Je n'ai point écrit à La Noue. Entre les rois et les comédiens, il ne fautpoint mettre le doigt, non plus qu'entre l'arbre et l'écorce. Je ne veux me brouiller ni avec le roi de Pruffe, ni avec un roi de théâtre ; j'attendrai paifiblement que La Noue foit reçu à Paris, et je ne compte pas plus me mêler de cette élection que de celle de l'empereur. Je ne me mêle que de reprendre de temps en temps mon Mahomet en fous œuvre. J'y ai fait ce que j'ai pu ; je le crois plus intéressant que lorfqu'il fit pleurer les Lillois. J'avoue que la pièce eft très-difficile à jouer, mais cette difficulté même

1742.

peut caufer fon fuccès; car cela fuppofe que tout y 1742. eft dans un goût nouveau, et cette nouveauté suppléera du moins à ma faibleffe.

Je ne regrette point Dufrefne; il eft trop formé pour Séide, et trop faible pour Mahomet. Il n'était nullement fait pour les rôles de dignité et de force; je l'ai vu guindé dans Athalie quand il fefait le grand-prêtre. La Noue eft très - fupérieur à lui dans les rôles de ce caractère; c'eft dommage qu'il ait l'air d'un finge.

J'ai lu enfin les Confeffions du comte de *** (*); car il faut toujours être comte ou donner les Mémoires d'un homme de qualité. J'aime mieux ces Confeffions que celles de St Augustin; mais, franchement, ce n'est pas là un bon livre, un livre à aller à la postérité ; ce n'eft qu'un journal de bonnes fortunes, une hiftoire fans fuite, un roman fans intrigue, un ouvrage qui ne laiffe rien dans l'efprit, et qu'on oublie comme le héros oublie fes anciennes maîtreffes. Cependant, je conçois que le naturel et la vivacité du style, et furtout le fond du sujet, aura réjoui les vieilles et les jeunes, et que ces portraits, qui conviennent à tout le monde, ont dû plaire auffi à tout le monde.

Bonfoir, homme charmant, à qui je voudrais plaire. Mille tendres refpects à l'autre ange.

(*) Par M. Duclos,

LETTRE CXCIII.

A

M.

1742.

DE CIDE VILLE.

A Gray en Franche-Comté, ce 19 janvier.

Le plus ambulant de vos amis, le plus écrivain

E

et le moins écrivant, fe jette aux pieds de l'autel de l'amitié, et avoue d'un cœur contrit fa miférable pareffe. J'aurais dû vous écrire de Paris et de Cirey, mon aimable Cideville; fallait-il attendre que je fusse en Franche-Comté ? Nous en partons d'aujourd'hui en huit; nous retournons à Cirey paffer quelques jours, et de là nous fefons un petit tour à Paris. Nous y logerons dans la maifon de madame la comteffe d'Autrai, près du Palais royal, qui appartient à la dame de la ville de Gray où nous fommes actuellement. Je ne fais fi madame du Châtelet vous a fait tout ce détail dans fa lettre, mais je vous dois cette ample inftruction de mes marches, pour avoir furement quelques lettres de vous à mon arrivée à Paris.

Ne ferez-vous point homme à paffer, dans cette grande capitale des bagatelles, une partie du faint temps de carême? N'ai-je pas entendu dire que le philofophe Formont y doit venir? Il ferait très-doux, mon cher ami, de nous raffembler un petit nombre d'élus, ferviteurs d'Apollon et du plaifir. Je ne fais pas trop comment vont les fpectacles. Voilà ce qui m'intéreffe; car, pour le fpectacle de l'Europe, les armées d'Allemagne et la comédie de Francfort, je n'y jette qu'un coup d'œil. Je paye mon dixième pour être un moment debout au parterre, et je n'y

époufé la maîtreffe de fon ami, ce ferait l'affaire 1742. d'une heure. Il me paraît que le perfonnage d'Adine

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eft bien intéreffant, et je vous défie de nier que madame Burlet ne foit une bonne diableffe. Je crois qu'avec des corrections cette pièce ferait affez fuivie; mais la physique ne s'accommode pas de tout cela, et j'y retourne. Je vous fupplie de faire ma cour à M. de Solar, et de vouloir bien lui présenter mes très-humbles remercîmens.

Je vous envoie le gros vin de Mahomet, et la crême fouettée de Zulime. Vous choifirez. Je baise les ailes de mes anges. La maison d'Uffe fe fouvient

elle de moi?

Un petit mot; c'eft fur Pandore. Vous ne goûtez pas la fcène de la friponnerie de Mercure, qui lui perfuade d'ouvrir la caffette; mais Mercure fait là l'office du ferpent qui perfuada Eve. Si Eve eût mangé par pure gourmandife, cela eût été bien froid; .mais le difcours avec le ferpent réchauffe l'histoire. Je fais fort bien que l'aventure de Pandore n'est à l'honneur des Dieux. Je n'ai pas prétendu juftifier leur providence, furtout depuis que vous êtes malade.

pas

LETTRE CXC V.

A M. DE LA RO QUE.

Mars.

PERMETTEZ,
ERMETTEZ, Monfieur, que je m'adreffe à vous
pour détromper le public au fujet de plusieurs édi-
tions de mes ouvrages, que j'ai vues répandues dans les
pays étrangers et dans les provinces de France. Depuis
l'édition d'Amfterdam, faite par les Ledet, qui m'a
paru très-belle pour le papier, les caractères et les
gravures, on en a fait plufieurs dans lefquelles non-
feulement on a copié toutes les fautes de cette édition
des Ledet, mais qu'on a défigurées par des négli-
gences intolérables.

Si on veut, par exemple, fe donner la peine d'ouvrir la tragédie d'Oedipe, on trouve, dès la feconde page, trois vers entiers oubliés, et presque par-tout des contre-fens inintelligibles. Si on veut confulter, dans le tome que les éditeurs ont intitulé Mélanges de philofophie et de littérature, le chapitre qui regarde le gouvernement d'Angleterre, on y verra les fautes les plus révoltantes que l'inattention d'un éditeur puiffe commettre. Il y avait dans la première édition de Londres ces paroles: Ce qu'on reproche › le plus aux Anglais, et avec raison, c'est le fupplice ,, de Charles I, monarque digne d'un meilleur fort, " qui fut traité par fes vainqueurs, &c.,,

Au lieu de ces paroles, on trouve celles-ci, qui font également abfurdes et odieufes :,, Ce qu'on reproche le plus aux Anglais, c'eft le fupplice de

1742.

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