Page images
PDF
EPUB

vous y point trouver; en ce cas, c'est être exilé à 1741. Paris.

On dit que vous n'avez pas un comédien. On ne trouve plus ni qui récite des vers, ni qui les faffe, ni qui les écoute. Je ferais venu au monde mal à propos, fi je n'étais venu de votre temps et de celui de mes autres anges gardiens, madame d'Argental et M. de Pont-de-Vefle. Je leur baise très-humblement le bout des ailes, et me recommande à vos faintes inspirations.

LETTRE CLXXXVIII.

A M. DE MAUPERTUIS.

A Bruxelles, le 6 d'octobre.

Vous devez, mon cher aplatiffeur de ce globe,

avoir reçu une invitation de vous rendre à Berlin. On compte que nous pourrons arriver enfemble; mais pour moi je n'irai, je penfe, qu'à Cirey. Je pourrai bien paffer par Paris avec madame du Châtelet; j'espère, au moins, que je vous y verrai.

Si vous n'êtes pas affez philofophe pour préférer le féjour de l'amitié à la cour des rois, vous le ferez peut-être affez pour ne vous pas déterminer fitôt à retourner en Prufse. C'est un assez beau fiècle que celui où les gens de lettres balancent à fe rendre à la cour des rois; mais s'ils ne balancent point, le fiècle fera bien plus beau.

Je fuis toujours au rang de vos plus tendres et de vos plus fidelles ferviteurs.

1741.

LETTRE CLXXXIX.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL, à Paris.

JE

A Cirey, ce 25 décembre.

E ne rends pas à mes chers anges gardiens un compte bien exact de ma conduite; je leur écris peu, et en cela je péche grièvement; mais ne lisent-ils pas dans mon cœur ? ne favent-ils pas qu'on eft occupé d'eux à Cirey, et qu'on les regrette par-tout? On a encore donné quelques coups de lime à leur Mahomet; mais voici une trifte nouvelle pour la comédie et pour l'opéra. Le roi de Pruffe n'eft pas content d'avoir pris la Siléfie. Il me mande qu'il prend Dupré et La Noue. Le héros tragique n'eft pas fi bien fait que le héros danfant, et c'eft faire venir un finge de loin; mais ce finge-là joue très-bien, et je ne connais guère que lui qui pût mettre dans notre Mahomet et la force et la terreur convenables. Ce qui me raffure un peu, c'est que La Noue aime fort mademoiselle Gautier, et que furement on ne peut quitter ce qu'on aime pour le roi de Pruffe. La place de premier acteur à Paris vaut bien d'ailleurs une penfion à Berlin, et notre parterre vaut un peu mieux qu'un parterre de Pruffiens. Mandez-moi, je vous en prie, combien de temps l'ambaffadeur turc fera à Paris, et ce qu'on fait à la comédie. Madame du Châtelet va paffer un jour à Commerci; nous irons enfuite à Gray, et de là nous reviendrons

vous voir, mes très-chers anges, à qui je fouhaite la 1741. fanté et tous les plaifirs de ce monde.

Me mettant toujours à l'ombre de vos ailes.

LETTRE CX C.

A M. SEGUI,

EDITEUR DES OEUVRES DE J. B. ROUSSEAU.

J'AI reçu, Monfieur, la lettre que vous m'avez fait

l'honneur de m'écrire, avec votre projet de souscription pour les œuvres du célèbre poëte dont vous étiez l'ami. Je me mets très-volontiers au rang des foufcripteurs, quoique j'aye été malheureusement au rang de fes ennemis les plus déclarés. Je vous avouerai même que cette inimitié pefait beaucoup à mon cœur. J'ai toujours penfé, j'ai dit, j'ai écrit que les gens de lettres devraient être tous frères. Ne les perfécute-t-on pas affez? faut-il qu'ils fe perfécutent encore eux-mêmes les uns les autres? Plût à Dieu qu'ils puffent s'aider, se foutenir, fe confoler mutuellement! Il femblait que la deftinée, en me conduifant à la ville où l'illuftre et malheureux Rouffeau a fini fes jours, me ménageait une réconciliation avec lui. L'efpèce de maladie dont il était accablé, m'a privé de cette confolation que nous aurions tous deux également fouhaitée. L'amour de la paix l'eût emporté fur tous les fujets d'aigreur qu'on avait femés entre nous. Ses talens, fes malheurs

et ce que j'ai ouï dire ici de fon caractère, ont banni de mon cœur tout reffentiment, et n'ont laiffé mes 1741. yeux ouverts qu'à fon mérite. Votre amitié pour lui contribue furtout à me réconcilier avec fa mémoire. J'attends avec impatience une édition que votre goût rendra digne du public à qui vous la préfentez. J'en retiens deux exemplaires, et je fuis charmé que cette occafion me procure le plaifir de vous dire à quel point je vous eftime, et combien j'ai l'honneur d'être, &c.

LETTRE C X C I

A M. LE MARQUIS D'ARGENSON, à Paris.

A Cirey, 10 janvier.

FRÈRE Macaire et frère François le recommandent,

Monfieur, à vos bontés. Frère Macaire eft un petit 1742. hermite qui ne fait pas fon catéchifme, mais qui eft bon, doux, fimple, qui gagne fa vie à nettoyer de vieux tableaux, à recoller de vieux châffis, à barbouiller des fenêtres et des portes. Il demeure dans les bois de Doulevent, l'un de vos domaines, voifins de Cirey. Il paffe dans le canton pour un bon religieux, attendu qu'il ne fait point de mal, et qu'il rend fervice. Son hermitage est une petite chapelle appartenante à M. le duc d'Orléans; il voudrait bien une petite permiffion d'y demeurer et d'y être fixé.

Il y a, je crois, à Toul une espèce de général des

1

1742..

hermites, qui les fait voyager comme le diable de Papefiguère, et frère Macaire ne veut point voyager. Madame du Châtelet, qui trouve cet hermite un bon diable, ferait fort aife qu'il reftât dans fa chapelle, d'où il viendrait quelquefois travailler de fon métier à Cirey. Si donc, Monfieur, vous pouvez donner à frère Macaire une patente d'hermite de Doulevent, ou une permiffion telle quelle de refter là comme il pourra, madame du Châtelet vous remerciera, et DIEU et St Antoine vous béniront.

Quant à frère François, c'eft moi, Monfieur, qui fuis encore plus hermite que frère Macaire, et qui ne voudrais fortir de mon hermitage que pour vous faire ma cour. J'y vis entre l'étude et l'amitié, plus heureux encore que frère Macaire; et fi j'avais de la fanté, je n'envierais aucune destinée; mais la fanté me manque, et m'ôte jusqu'au plaifir de vous écrire auffi fouvent que je le voudrais. Au lieu d'aller à Paris, nous allons, fœur Emilie et frère François, en FrancheComté, au milieu des neiges et des glaces. On pourrait choifir un plus beau temps, mais madame d'Autrai eft malade; on a logé chez elle à Paris. L'amitié et les bons procédés ne connaiffent point ·les faifons.

Je me flatte qu'après ce voyage vous voudrez bien, Monfieur, me permettre de profiter quelquefois de vos momens de loisir, et que j'aurai encore l'honneur de vous voir dans cette ancienne maifon de la baronne où l'on fefait fi gaiement de fi mauvais foupers.

Voulez-vous bien que je préfente mes respects à monfieur votre fils et à celui d'Apollon, qui va faire

« PreviousContinue »