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que je doive écrire à préfent, je ne balancerai pas. 1741. Mon crédit, à la vérité, eft auffi médiocre que les

bontés continuelles dont le roi m'honore font flatteuses. Il pourrait très-bien fouffrir mes vers et ma profe, et faire très-peu de cas de mes recommandations. Mais enfin, j'ai quelque droit de lui écrire d'une chofe dont j'ai ofé lui parler, et fur laquelle j'ai fa parole. La dernière lettre que j'ai reçue est du 3 juin. Je pourrais, dans ma réponse, glisser une commémoration très - convenable de vos fervices et de vos befoins.

Vous me ferez plaifir de m'apprendre à quel point M. de Maupertuis eft fatisfait, et ce que fa Majefté pruffienne a ajouté à la manière diftinguée dont elle l'a toujours traité. Vous pouvez me parler avec une liberté entière, et compter fur ma difcrétion comme fur mon zèle.

Les vers qui regardent le roi de Prufse, et qui font en manufcrit à quelques exemplaires de la Henriade, ne font plus convenables. Ils n'étaient faits que pour un prince philofophe et pacifique, et non pour un roi philofophe et conquérant. Il ne me fiérait plus de blâmer la guerre en m'adressant à un jeune monarque qui la fait avec tant de gloire.

Vous favez d'ailleurs qu'il avait fait commencer une édition gravée de la Henriade. Je ne fais fi les affaires importantes qui l'occupent, lui permettront de continuer à me faire cet honneur; mais, foit qu'on la réimprime à Berlin, foit qu'on la grave en Angleterre, je ne pourrai me dispenser de changer cette dédicace d'une manière convenable au fujet et au temps.

A l'égard de ces additions et de ces corrections en vers et en profe que je vous ai envoyées, vous fentez 1741.

bien qu'il ne faut jamais que cela passe en des mains profanes. Ce qui eft bon pour deux ou trois perfonnes fenfées, ne l'est point pour le grand nombre. Je vous prie donc de ne vous en point défaifir. Ce n'eft pas que je pense qu'il y ait rien de dangereux dans ces petites additions; mais, quelque circonfpection que j'apporte dans ce que j'écris, on en peut toujours abuser. Je passerais pour coupable des mauvaises interprétations que la malignité fait trop aifément; enfin, je ne dois donner aucune prise. Je me crois d'autant plus obligé à une extrême retenue, que les obligations que j'ai à monfieur le cardinal, m'impofent un nouveau devoir de les justifier par la conduite la plus mefurée. Je dois particulièrement fes bontés à madame du Châtelet dont il a fenti tout le mérite dans les entretiens qu'il eut avec elle à Fontainebleau, et pour laquelle il a confervé la plus grande eftime et les attentions les plus flatteufes. Tout cela redouble en moi l'envie de lui plaire, et je vous avoue que quand on voit dans les pays étrangers comment on pense de lui, et avec quel refpect on le regarde, cette envie - là ne diminue pas.

M. d'Argenfon m'a prévenu. Je voulais faire relier proprement ce recueil pour vous prier de lui en faire préfent de ma part; il s'eft faifi d'un bien qui était à lui, et que j'aurais voulu lui offrir. Je vous prie de l'affurer de mes plus tendres refpects. Je vous embraffe et vous fouhaite tranquillité, fanté et fortune.

1741.

LETTRE CLXXIX.

A M. DE MAUPERTUIS.

A Bruxelles, le 1 juillet.

JE fuis très-mortifié, Monfieur, que vous foyez affez

leibnitzien pour imaginer que vous avez une raison fuffifante d'être en colère contre moi. Je crois, pour moi, que votre fâcherie est un de ces effets de la liberté de l'homme, dont il n'y a point de raifon à rendre.

En vérité, fi on vous avait fait quelque rapport, n'était-ce pas à moi-même qu'il fallait vous adreffer? Ne connaiffez-vous pas mes fentimens et ma franchife? puis-je avoir quelque fujet et quelque envie de vous nuire? prétends-je être meilleur géomètre que vous? ai-je pris parti pour ceux qui n'ont pas été de votre sentiment? ai-je manqué une occafion de vous rendre justice? n'ai-je pas parlé de vous au roi de Pruffe, comme j'en ai parlé à toute la terre ?

Je vous avoue qu'il eft bien dur d'avoir fait tant d'avances pour n'en recueillir qu'une tracafferie. Si vous aviez paffé par Bruxelles, vous auriez bien connu votre injustice. Voilà, ce me femble, de ces cas où il eft doux d'avouer qu'on a tort.

J'ai été occupé, et enfuite j'ai été malade; cela m'ôtait la liberté d'efprit néceffaire pour écrire ces lettres moitié profe et moitié vers, qui me coûtent beaucoup plus qu'au roi. Je n'ai point d'imagination quand je fuis malade, et il faut que je demande quartier. Ce commerce épiftolaire eft plus vif que jamais. Je ne reviens point de mon étonnement de

recevoir

recevoir des lettres pleines de plaifanteries du camp de Molvitz et d'Ottmachau. Vous pensez bien 1741. que votre prise n'a pas été oubliée dans les lettres du roi, mais il n'y a rien qui doive vous déplaire; et s'il parle de votre aventure, comme aurait fait l'abbé de Chaulieu, je me flatte qu'il en a usé ou en usera avec vous, comme eût fait Louis XIV; mais, encore une fois, il fallait paffer par Bruxelles pour fe dire fur cela tout ce qu'on peut fe dire.

Madame du Châtelet n'a point reçu une lettre qu'il me femble que vous dites lui avoir écrite de Francfort. Mandez-lui, elle vous en prie, fi c'eft de Francfort que vous lui avez écrit cette lettre qui n'eft point parvenue jufqu'à elle, et fi vous avez été inftruit qu'on imprimât dans cette ville les Inftitutions de phyfique.

M. de Crouzas, le philofophe le moins philofophe, et le bavard le plus bavard des Allemands, a écrit une énorme lettre à madame du Châtelet, dont le résultat eft qu'il n'eft pas du fentiment de Leibnitz parce qu'il eft bon chrétien.

Je vous prie d'embraffer pour moi M. Clairaut. Je pourrais lui écrire une lettre à la Crouzas fur les forces vives; je l'avais déjà commencée, mais je lá lui épargne. Il me femble que tout eft dit fur cela, que ce n'eft plus qu'une queftion de nom.

Il n'en eft pas ainfi de mes fentimens pour vous; c'eft la chofe la plus décidée. Ne foyez jamais injufte avec moi, et foyez sûr que je vous aimerai toute ma vie.

Correfp. générale.

Tome II. Bb

174!.

LETTRE C L X X X.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

Ce lundi 11 juillet.

HUMBLES REMONTRANCES.

1o. JE

E ne peux goûter le personnage qu'on veut que je faffe jouer à Hercide. Si Séide s'échappe du camp de Mahomet pour se rendre à la Mecque, et fi Hercide en fait autant, ces deux évafions, pour faire rendre dans un même lieu deux hommes dont on a befoin, feront alors un artifice du poëte, peu vraifemblable, peu délié, et par là peu intéreffant.

De plus, il ne me paraît pas raisonnable que Mahomet eût fait mettre en prifon Hercide fur cette raifon feule qu'Hercide a de l'amitié pour des enfans qu'il a élevés, et dont l'une eft l'objet même de l'amour de Mahomet. Une troifième raifon qui me détourne encore de faire ainfi revenir Hercide, c'est la néceffité où je ferais d'interrompre le fil de l'action pour conter à plufieurs reprises l'emprisonnement et l'évafion d'Hercide. Je ne fuis déjà chargé que de trop de récits préliminaires. Enfin, il me paraît plus court et plus tragique qu'Hercide demeure comme il était.

2o. Pour les changemens qu'on peut faire dans le détail des fcènes de Mahomet et de Palmire, je m'y livrerai fans aucune répugnance.

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