Page images
PDF
EPUB

française quatre acteurs tels que ceux qui ont joué Mahomet à Lille.

Je fais que La Noue a l'air d'un fils rabougri de Baubourg, mais auffi il joue à mon fens d'une manière plus forte, plus vraie et plus tragique que Dufrefne. Il y a un petit Baron qui n'a qu'un filet de voix, mais qui a fait verfer des ruiffeaux de larmes. J'en verferais moi de n'être pas auprès de vous, fi je n'étais pas ici. Je me mets à l'ombre de vos ailes.

LETTRE CLXXVI.

A M. PITOT DE LAUNAY.

Bruxelles, le 19 juin.

Je fuis un pareffeux, mon cher philosophe; je crois

E

que c'eft une mauvaise qualité attachée au peu de fanté que j'ai. Je paffe des fix mois entiers fans écrire à mes amis. Il eft vrai qu'il faut m'excufer un peu. J'ai fait des voyages au Nord quand vous alliez au Midi; mais ne jugez point, je vous prie, de mon amitié par mon filence; perfonne ne s'intéresse plus vivement que moi à tout ce qui vous arrive; il fuffit d'ailleurs d'être bon citoyen pour être charmé que vous foyez employé en Languedoc. J'aimerais mieux encore que vous fuffiez occupé à ouvrir de nouveaux canaux en France qu'à rajuster les anciens. Il me femble qu'il manque à l'induftrie des Français et à la fplendeur de l'Etat, d'embellir le royaume, et de faciliter le commerce par ces rivières artificielles

1741.

1741.

dont on a déjà de fi beaux exemples. De tels ouvrages valent bien l'aire d'une courbe, et la mesure leibnitzienne des forces vives. Vous faites de la géométrie l'usage le plus honorable, puisque c'est le plus utile; car je m'imagine qu'il en eft de la phyfique comme de la politique des princes: où eft le profit, là est l'honneur.

J'ai un peu abandonné cette physique pour d'autres occupations; il ne faut faire qu'une chose à la fois pour la bien faire. Madame du Châtelet eft affez heureuse pour n'avoir rien à présent qui la détourne de cette étude; fa lettre à M. de Mairan a été fort bien reçue, mais j'aurais mieux aimé que cette dispute n'eût pas été publique. Le fond de la question n'a pas été entamé dans les lettres de M. de Mairan et de madame du Châtelet, et le fond de la queftion confiftant à favoir fi le temps doit entrer dans la mesure des forces, il me femble que tout le monde devrait être d'accord. M. de Bernoulli lui-même ne nie plus qu'on doive admettre le temps. Ainfi, fi on peut difputer encore, ce ne peut plus être que fur les termes dont on fe fert. Il eft trifte pour des géomètres qu'on se foit fi longtemps battu fans s'entendre. On les aurait prefque pris pour des théologiens.

Je crois que vous êtes bien content du féjour du Languedoc. Eft-il vrai qu'on s'y porte toujours bien? Il n'en eft pas de même en Flandre; ma santé continue d'y être bien mauvaife. Les études en fouffrent, l'ame est toujours malade avec le corps, quoique ces deux chofes foient, dit-on, de nature fi hétérogène. Avez-vous auprès de vous madame votre femme? ou l'avez-vous laiffée à Paris? et vivez-vous avec elle

comme Cérès avec Proferpine, fix mois d'abfence et fix mois de féjour.

a très

M. de Maupertuis doit être arrivé à Paris. On le dit mécontent; il n'a point fondé d'académie à Berlin, comme il l'efpérait, a mangé beaucoup d'argent, a perdu fon petit bagage à la bataille de Molvitz, et n'eft pas récompenfé comme on s'en flattait. Il n'a point paffé à fon retour par Bruxelles, et il y a long-temps que je n'ai reçu de fes nouvelles. On nous dit, dans le moment, qu'il y a une fufpenfion d'armes en Siléfie; mais cette nouvelle mérite confirmation. Toute l'Europe se prépare à la guerre ; DIEU veuille que ce foit pour avoir la paix!

Adieu, mon cher Monfieur; je vous aime tout comme fi je vous écrivais tous les jours. Mon cœur n'eft pas pareffeux.

Madame du Châtelet vous fait mille complimens. Je vous embraffe fans cérémonie.

JE

LETTRE CLXX VI I.

A M.

HELVETIUS.

A Bruxelles, ce 20 juin.

E me gronde bien de ma pareffe, mon cher et aimable ami; mais j'ai été fi indignement occupé de profe depuis un mois, que j'ofais à peine vous parler de vers. Mon imagination s'appefantit dans des études qui font à la poëfie ce que des garde-meubles fombres et poudreux font à une falle de bal bien éclairée. Il faut fecouer la pouffière pour vous répondre. Vous m'avez

1741.

1741.

écrit, mon charmant ami, une lettre où je reconnais votre génie. Vous ne trouvez point Boileau affez fort, il n'a rien de fublime, fon imagination n'eft point brillante, j'en conviens avec vous ; auffi il me femble qu'il ne paffe point pour un poëte sublime, mais il a bien fait ce qu'il pouvait et ce qu'il voulait faire. Il a mis la raison en vers harmonieux ; il est clair, conféquent, facile, heureux dans fes tranfitions; il ne s'élève pas, mais il ne tombe guère. Ses sujets ne comportent pas cette élévation dont ceux que vous traitez font fufceptibles. Vous avez fenti votre talent, comme il a fenti le fien. Vous êtes philofophe, vous voyez tout en grand; votre pinceau eft fort et hardi. La nature en tout cela vous a mis, je vous le dis avec la plus grande fincérité, fort audeffus de Defpréaux; mais ces talens-là, quelque grands qu'ils foient, ne feront rien fans les fiens. Vous avez d'autant plus befoin de fon exactitude, que la grandeur de vos idées fouffre moins la gêne et l'esclavage. Il ne vous coûte point de penser, mais il coûte infiniment d'écrire. Je vous prêcherai donc éternellement cet art d'écrire que Defpréaux a fi bien connu et fi bien enseigné, ce respect pour la langue, cette liaison, cette fuite d'idées, cet air aisé avec lequel il conduit fon lecteur, ce naturel qui eft le fruit de l'art, et cette apparence de facilité qu'on ne doit qu'au travail. Un mot mis hors de fa place gâte la plus belle penfée. Les idées de Boileau, je l'avoue encore, ne font jamais grandes, mais elles ne font jamais défigurées : enfin, pour être au-deffus de lui, il faut commencer par écrire auffi nettement et auffi correctement que lui.

1

pas;

Votre danfe haute ne doit pas fe permettre un faux il n'en fait point dans fes petits menuets. 1741. Vous êtes brillant de pierreries; son habit est simple, mais bien fait. Il faut que vos diamans foient bien mis en ordre, fans quoi vous auriez un air gêné avec le diadème en tête. Envoyez-moi donc, mon cher ami, quelque chofe d'auffi bien travaillé que vous imaginez noblement; ne dédaignez point tout à la fois d'être poffeffeur de la mine et ouvrier de l'or qu'elle produit. Vous fentez combien, en vous parlant ainfi, je m'intéreffe à votre gloire et à celle des arts. Mon amitié pour vous a redoublé encore à votre dernier voyage. J'ai bien la mine de ne plus faire de vers. Je ne veux plus aimer que les vôtres. Madame du Châtelet, qui vous a écrit, vous fait mille complimens. Adieu; je vous aimerai toute ma vie.

JE

LETTRE CLXXVIII.

A M. THIRIOT.

A Bruxelles, le 21 juin.

E vous avoue que je fuis étonné et embarraffé de l'affaire de votre penfion. Je ne peux douter que vous ne la touchiez tôt ou tard. Si vous n'entendez parler d'ici à un mois que des affaires de Hongrie et point des vôtres, et fi vous jugez à propos de m'employer, je prendrai la liberté de faire fouvenir sa Majesté pruffienne de fes promesses; fi même vous croyez

« PreviousContinue »