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Pourquoi ne pouvez-vous pas faire comme le 1741. jeune Helvétius, qui eft venu paffer ici quelques jours? Nous avons parlé de belles-lettres, nous avons rempli toutes nos heures; ce ferait avec vous furtout qu'un pareil commerce serait délicieux, fed nos fata premunt. Où êtes-vous à préfent, et que faitesvous? cueillez-vous les fleurs du Parnaffe, ou arrachez-vous les chardons de la chicane? Il me femble que vous m'aviez écrit que quelquefois la malheureufe néceffité de plaider vous arrachait à l'étude et au plaifir; c'eft le cas où eft madame du Châtelet.

Nos patriæ fines et dulcia linquimus arva;

Nos patriam fugimus.

Et pourquoi? pour plaider fix ou sept ans en
Brabant. Perfonne ne mène la vie qu'il devrait mener.
Voilà-t-il paş le roi de Pruffe,

L'enragé qu'il était, né roi d'une province,
Qu'il pouvait gouverner en bon et fage prince,

qui s'en va hasarder fa vie en Siléfie contre des houfards! Maupertuis, qui pouvait vivre heureux en France, cherche à Berlin le bonheur qui n'y eft pas, et fe fait prendre par des payfans de Moravie, qui le mettent tout nu, et lui prennent plus de cinquante théo, rèmes qu'il avait dans fes poches. J'ai été plus fage; j'ai revolé bien vîte vers Emilie. Le roi de Pruffe m'en a un peu boudé. Depuis les incivilités qu'il a faites à la reine d'Hongrie, il fouffre impatiemment qu'on lui préfère une femme. Il m'a fait des coquetteries immédiatement après la bataille de Molvitz, et

actuellement que je vous écris, je lui dois deux

lettres.

Mais il faut que je vous préfère;

Car, dût-il être mon appui,

Vous faites des vers mieux que lui,

Et votre amitié m'eft plus chère.

Il ne doit aller qu'après vous et madame du Châtelet; chacun doit être à fa place. Il n'eft que roi au bout du compte, et vous êtes le plus aimable des hommes. Adieu, je vous embraffe.

LETTRE

CLXXIII.

A M. DE MAU PERTUIS.

A Bruxelles, ce 28 de mai.

Vous n'avez pas, fans doute, reçu les lettres que

madame du Châtelet et moi nous vous avons écrites à Vienne. Si vous aviez pu favoir la douleur dont nous fûmes pénétrés fur le faux bruit de votre mort, vous m'écririez avec un peu plus d'amitié, et vous ne vous borneriez point à me parler au nom de la reine-mère. Eft-il poffible que ce foit vous qui ayez des inégalités! Je ne vous cacherai point qu'on m'a mandé que vous vous étiez plaint à Berlin d'expreffions dont je m'étais fervi en parlant de vous. Je ne me fouviens pas d'en avoir jamais employé d'autres que celles de digne appui de Newton, de mon maître dans l'art de penfer.

1741.

1741.

LETTRE CLXXIV.

A M. DE WARM HOLTZ.

A Bruxelles, mai.

MONSIEUR,

Vous m'auriez fait un vrai plaifir fi vous aviez pu remplir les promeffes que vous aviez eu la bonté de me faire; mais puifque vous ne le pouvez pas, j'attendrai que votre grande et belle édition ait paru pour corriger mon petit abrégé de l'hiftoire de Charles XII, que je compte feulement faire imprimer à la fuite de mes œuvres. Je ne manquerai pas alors de rendre la justice qui eft due à la source où j'aurai puifé. Il est très-naturel que M. Norberg, fuédois et témoin oculaire, ait été mieux inftruit que moi étranger, et il est juste que fa grande hiftoire ferve d'inftruction pour mon petit abrégé. J'aurais renoncé entièrement à cette faible partie de mes ouvrages, cette hiftoire que j'ai donnée n'avait eu quelque fuccès, au moins par le ftyle, et fi le public n'avait paru fouhaiter que ce morceau affez intéreffant fût appuyé de faits authentiques.

fi

Au refte, il est très-faux que je me fois adreffé à aucun libraire, ni indirectement ni directement, pour faire imprimer cet abrégé nouveau, qui n'eft pas même commencé.

Vous me ferez plaifir, Monfieur, et vous me rendrez justice, fi vous voulez bien avertir, dans la préface 1741. ou dans les notes de votre ouvrage, que je ne prétends point combattre M. Norberg, mais me réformer fur fes mémoires. Je crois même que ce ferait la feule note qui conviendrait, car il me paraît fort inutile de citer les endroits où j'aurai été trompé dans mes premières éditions, puifque tous ces endroits feront corrigés dans la nouvelle. C'est fur quoi je m'abandonne à votre difcrétion, étant de tout mon cœur (*), Monfieur, &c.

LETTRE CLXXV.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

COMMENT

A Bruxelles, ce 5 juin.

OMMENT mes anges, qui fondent les cœurs peuvent-ils s'imaginer que je faffe imprimer leur Mahomet? Je ne fuis pas affez impie pour tranfgreffer leurs ordres; on ne l'imprimera, on ne le jouera à Paris que quand ils le voudront.

Vous avez cru, je ne fais fur quel billet moitié vers et moitié profe, écrit à La Noue il y a quelques mois, que je lui envoyais ce Mahomet imprimé; mais mes anges fauront qu'il y a deux points dans cette affaire. Le premier eft que j'envoyais à ce

(*) M. de Voltaire fe trompait; il trouva dans le chapelain plus d'injures et d'erreurs que de faits intéressans, ou de remarques utiles.

La Noue la pièce manufcrite avec les rôles, et qu'il m'a 1741. rendu le tout fidellement, car ce La Noue eft un honnête garçon.

Le second point eft que ledit La Noue a été auffi indifcret qu'honnête homme, pour le moins ; qu'il a montré mes lettres, et que ces petits vers dont vous me parlez, très-peu faits pour être montrés, ont couru Paris. C'est ce fecond point qui me fâche beaucoup. Il eft défendu dans la fainte Ecriture de révéler la turpitude, et la plus grande des turpitudes c'est une lettre écrite d'abondance de cœur à un ami, et qui devient publique. J'ai appris même qu'on a défiguré et fort envenimé ces petits vers dont, en vérité, il ne me souvient plus. Enfin, j'ai tout lieu de croire que cette bagatelle eft allée jufqu'aux oreilles de monfieur le cardinal. Ce qui me le perfuade, c'est que dans ce temps-là même, M. du Châtelet étant à Paris, et ayant retiré d'office mes ordonnances du tréfor royal, monfieur le cardinal donna ordre qu'on ne les payât point.

Madame du Châtelet, fans m'en rien dire, m'a joué le tour d'écrire à fon éminence, qui a répondu qu'on me payerait, mais qui n'a pas mis dans fa lettre le même air de bonté pour moi que celui dont il m'honorait quand j'étais en Hollande et en Pruffe.

Je vais avoir l'honneur de lui écrire pour le remercier; mais je ne fais fi je dois prendre la liberté de lui proposer de lire Mahomet; je ne ferai rien fans les ordres de mes anges gardiens.

Je fais mon compliment à M. de la Chauffée. Je voudrais bien que quelque jour il pût me le rendre, mais je doute fort qu'on trouve à la comédie

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