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votre préfence une des répétitions, je n'aurais aucune inquiétude; enfin, je remets tout entre vos mains et je n'ai de volontés que les vôtres. Mes anges gardiens font mes maîtres abfolus.

LETTRE CLIX.

A M. L'ABBÉ MOUSSINOT.

Bruxelles, février.

COMPTEZ fur mon amitié, mon cher abbé,

quand il s'agira de faire valoir vos tableaux. Vous n'avez en ce genre que de la belle et bonne denrée. Le roi de Pruffe aime fort les Wateaux, les Lancrets et les Pater. J'ai vu de tout cela chez lui; mais je soupçonne quatre petits Wateaux qu'il avait dans fon cabinet d'être d'excellentes copies. Je me fouviens, entre autres, d'une noce de village où il y avait un vieillard en cheveux blancs très - remarquable. Ne connaissez - vous point ce tableau? Tout fourmille en Allemagne de copies qu'on fait paffer pour des originaux. Les princes font trompés, et trompent quelquefois.

Quand le roi de Prusse sera à Berlin, je pourrai lui procurer quelques morceaux de votre cabinet, et il ne fera pas trompé à préfent il a d'autres chofes en tête. Il m'a offert honneurs, fortune, agrémens, mais j'ai tout refufé pour revoir mes anciens

amis.

Mettez-moi un peu, mon cher, au fil de mes affaires, que j'ai entièrement perdu, m'en rapportant

1741.

toujours à vos bontés, et vous priant de donner 1741. à M. Berger une copie de ma lettre à Milord Harvey (*). Je crois qu'il eft bon que cette lettre foit connue ;

elle eft d'un bon français, et ce font mes véritables fentimens fur Louis XIV et fur fon fiècle. Quelque chofe qu'on dife à M. Berger fur le fiècle et fur la lettre, dites-lui, vous, mon ami, de ne point perdre de temps pour l'imprimer.

LETTRE CL X.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

VOILA,

Ce 20 février.

OILA, je crois, mon cher ange gardien, la feule occafion de ma vie où je puffe être fâché de recevoir une lettre de madame d'Argental; mais, puifque vous avez tous deux, au milieu de vos maux (car tout eft commun), la bonté de me dire où en est votre fluxion, ayez donc la charité angélique de continuer. Vous êtes, en vérité, les feuls liens qui m'attachent à la France; j'oublie ici tout, hors vous; et je ne fonge à Mahomet qu'à caufe de vous. Que madame d'Argental daigne encore m'honorer d'un petit mot. Buvez-vous beaucoup d'eau ? Je me fuis guéri, avec les eaux du Vezer, de l'Elbe, du Rhin et de la Meufe, de la plus abominable ophtalmie dont jamais deux yeux aient été affublés; et cela, mon cher

(*) Voyez juillet 1740.

1741.

ange, en courant la pofte au mois de décembre;

mais

Je n'avais rien à redouter,

Je revolais vers Emilie,

Les faifons et la maladie

Ont appris à me respecter.

Elle s'intéreffe à votre fanté comme moi; elle vous le dit par ma lettre, et vous le dira elle-même cent fois mieux. Je fais transcrire et retranscrire mon coquin de Prophète; fachez que vous êtes le mien, et que tout ce que vous avez ordonné eft accompli à la lettre, fans changer, comme dit l'autre, un iota à votre loi.

Eft-il vrai que le defpotifme des premiers gentilshommes a dérangé la république des comédiens? La tribu Quinault quitte le théâtre : c'est un grand événement que cela, et je crois qu'on ne parle à Paris d'autre chofe. On dit ici les Pruffiens battus par le général Brown; mais, pour battre une armée, il faut en avoir une, et le général Brown n'en a pas, que je fache. Et puis, qu'importe quand Dufrefne quitte, tout le reste n'eft rien.

Adieu, mon cher ami, mon confeil, mon appui, à qui je veux plaire. Que les rois s'échinent et s'entre-mangent; mais portez-vous bien.

1741.

LETTRE CLXI.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

15 février.

Vos yeux, mon cher et respectable ami, pourront

ils lire ce que vous écrivent deux perfonnes qui s'intéreffent fi tendrement à vous? Nous apprenons par monfieur votre frère le trifte état où vous avez été; il nous flatte en même temps d'une prompte guérifon. J'en félicite madame d'Argental qui aura été furement plus alarmée que vous, et dont les foins auront contribué à vous guérir, autant pour le moins que ceux de M. Silva.

Cette beauté que vous aimez,

Et dont le fouvenir m'eft toujours plein de charmes,
A fans doute éteint par fes larmes

Le feu trop dangereux de vos yeux enflammés.

Je vous renvoie, fur Mahomet et fur le refte, à la lettre que j'ai l'honneur d'écrire à M. de Pont-deVefle. J'attendrai que vos yeux foient en meilleur état pour vous envoyer mon Prophète, mais j'ai peur qu'il ne foit pas prophète dans mon pays. Adieu; je vous embraffe, fongez à votre fanté; je fais mieux qu'un autre ce qu'il en coûte à la perdre. Adieu; je fuis à vous pour jamais avec tous les fentimens que vous me connaissez; je veut dire nous. Mille tendres respects à madame d'Argental.

LETTRE CLX I I.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL

COMMENT

Le 25 février.

ENT fe porte mon cher ange gardien? Je lui demande bien pardon de lui adreffer, par monfieur fon frère, un grimoire de phyfique; heureusement vous ne fatiguerez pas vos yeux à le lire. Je vous prie de le donner à M. de Mairan. S'il en eft content, il me fera plaifir de le lire à l'académie. Je fuis abfolument de fon fentiment, et il faut que j'en fois bien pour combattre l'opinion de madame du Châtelet. Nous avons, elle et moi, de belles difputes dont M. de Mairan eft la caufe. Elle peut dire : Multa paffa fum propter eum. Nous fommes ici tous deux une preuve qu'on peut fort bien difputer fans fe haïr.

Le Prophète est tout prêt, il ne demande qu'à partir pour être jugé par vous en dernier reffort. J'attends que vous ayez la bonté de m'ordonner par quelle voie vous voulez qu'il fe rende à votre tribunal. Il n'eft rien tel que de venir au monde à propos; la pièce, toute faible qu'elle eft, vaut certainement mieux que l'Alcoran, et cependant elle n'aura pas le même fuccès. Il s'en faudra de beaucoup que je fois prophète dans mon pays; mais tant que vous aurez un peu d'amitié pour moi, je ferai très-content de ma deftinée et de celle des miens.

1741.

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