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comme un homme fage et plein de droiture; c'est 1741. fur quoi M. de Valori peut compter. Puiffe-t-il refter long-temps dans cette cour! et puiffent les couteaux qu'on aiguife de tous côtés, fe remettre dans le fourreau !

Mais, qu'il y ait guerre ou paix, je ne fonge qu'à l'amitié et à l'étude. Rien ne m'ôtera ces deux biens celui de vous être attaché fera pour moi le plus précieux. Il y a à Bruxelles deux cœurs qui font à vous pour jamais. Mon refpectueux dévouement ne finira qu'avec ma vie.

LETTRE CLVII.

A M. DE MAUPERTU I S.

A Bruxelles, ce 19 janvier.

M. Algarotti eft comte, mais vous, vous êtes

marquis du cercle polaire, et vous avez à vous en propre un degré du méridien en France, et un en Laponie. Pour votre nom, il a une bonne partie du globe. Je vous trouve réellement un très-grand feigneur. Souvenez-vous de moi dans votre gloire.

Vous avez perdu pour un temps le plus aimable roi de ce monde, mais vous êtes entouré de reines, de margraves, de princesses et de princes qui compofent une cour capable de faire oublier tout le reste. Je n'oublierai jamais cette cour; et je vous avoue que je ne m'attendais pas qu'il fallût aller à quatre

cents lieues de Paris pour trouver la véritable politeffe.

Ne voyez-vous pas fouvent M. de Keyferling et M. de Polnitz? Je vous prie de leur parler quelquefois de moi. Nous avons reçu des lettres de M. de Keyferling qui nous apprennent le retour de fa fanté. Peut-être eft-il actuellement en Siléfie: n'irez-vous point là auffi? Vous y feriez déjà fi la Siléfie était un peu plus au Nord.

Adieu, Monfieur; quand vous retournerez au Midi, fouvenez-vous qu'il y a dans Bruxelles deux perfonnes qui vous admireront et vous aimeront toujours.

1741.

LETTRE CLVIII.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

A Bruxelles, ce 19 janvier.

JE reçois votre lettre, mon cher et respectable ami.

Je veux abfolument que vous foyez content de ma conduite et de Mahomet. Si vous faviez pourquoi j'ai été obligé d'aller à Berlin, vous approuveriez affurément mon voyage. Il s'agiffait d'une affaire qui regardait la personne même qui s'eft plainte. Elle était à Fontainebleau; elle devait paffer du temps à Paris, et j'avais pris mon temps fi jufte que, fans les accidens du voyage, les débordemens des rivières et les vents contraires, je ferais retourné à Bruxelles avant elle. Ses plaintes étaient très - injuftes, mais

leur injuftice m'a fait plus de plaifir que les cours 1741. de tous les rois ne pourraient m'en faire. Si jamais je voyage, ce ne fera qu'avec elle et pour vous.

J'ai reçu des lettres charmantes de Silefie. C'eft affurément une chofe unique, qu'à la tête de fon armée, il trouve le temps d'écrire des lettres d'homme de bonne compagnie. Il est fort aimable, voilà ce qui me regarde; pour tout le reste, cela ne regarde que les rois. Je vous avais écrit un petit billet jadis, dans lequel je vous difais : Il n'a qu'un défaut. Ce défaut pourra empêcher que les douze céfars n'aillent trouver le treizième. Le Globeflorf, qui les a vus à Paris, a foutenu qu'ils ne font pas de Bernin; et j'ai peur qu'on ne foit aifément de l'avis de celui qui ne veut pas qu'on les achète; (ceci foit entre nous) Algarotti promet plus qu'il n'espère. Cependant, fi on pouvait prouver et bien prouver qu'ils font du Bernin, peut-être réuffirait-on à vous en défaire dans cette cour. Mais, quand fera-t-il chez lui? et qui peut prévoir le tour que prendront les affaires de l'Empire? Je fonge, en attendant, à celles de Mahomet; et voici ma réponse à ce que vous avez la bonté de m'écrire.

1o. Pour la fcène du quatrième acte, il eft aifé de fuppofer que les deux enfans entendent ce que dit Lopire; cela même eft plus théâtral et augmente la terreur. Je poufferais la hardieffe jufqu'à leur faire écouter attentivement Zopire, et lorfqu'il dit:

Si du fier Mahomet vous refpectez le fort.

je voudrais que Séide dit à Palmire,

Tu l'entends, il blafphème.

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et que Zopire continuât,

1741.

Accordez-moi la mort;

Mais rendez-moi mes fils à mon heure dernière.

Il n'eft

pas douteux qu'il ne faille, dans le couplet de Zopire, fupprimer le nom d'Hercide. Il dira :

Hélas! fi j'en croyais mes fecrets fentimens,
Si vous me conferviez mes malheureux enfans, &c.

Il me femble que par là tout eft fauvé.

A l'égard du cinquième, aimeriez-vous que · Mahomet finît ainfi ?

Périffe mon empire, il est trop acheté ;

Périffe Mahomet, fon culte et fa mémoire.

A Omar.

Ah! donne-moi la mort, mais fauve au moins ma gloire;
Délivre-moi du jour, mais cache à tous les yeux
Que Mahomet coupable eft faible et malheureux.

La critique du poifon me paraît très-peu de chose. Il me femble que rien n'eft plus aifé que d'empoifonner l'eau d'un prifonnier. Il ne faut pas là de détails. Rien ne révolte plus que des perfonnages qui parlent à froid de leurs crimes.

Il y a une fcène qui m'embarrasse infiniment plus. C'eft celle de Palmire et de Mahomet. Au troisième acte vous fentez bien que Mahomet, après avoir envoyé Seide recevoir les derniers ordres pour un parricide, tout rempli d'un attentat et d'un intérêt fi grand, peut avoir bien mauvaise grâce à parler long-temps d'amour avec une jeune innocente. Cette fcène doit

être très-courte. Si Mahomet y joue trop le rôle de 1741 Tartuffe et d'amant, le ridicule eft bien près. Il faut courir vîte dans cet endroit -là, c'eft de la cendre brûlante. Voyez fi vous êtes content de la fcène telle que je vous l'envoie.

Je fuis fâché de n'avoir pu vous envoyer toute la pièce au net, avec les corrections; les yeux feraient plus fatisfaits, on verrait mieux le fil de l'ouvrage, on jugerait plus aifément. Ayez la bonté d'y fuppléer; l'ouvrage eft à vous plus qu'à moi. Voyez, jugez; trouvez-vous enfin Mahomet jouable? En ce cas, je crois qu'il faut le donner le lendemain des Cendres; c'eft une vraie pièce de carême: d'ailleurs, ce qui peut frapper dans cette pièce ira plus à l'esprit qu'au cœur. Il y a peu de larmes à espérer, à moins que Seide et Palmire ne fe furpaffent. L'impreffion que fait la terreur eft plus paffagère que celle de la pitié, le fuccès plus douteux; ainfi j'aimerais bien mieux que Mahomet fût livré aux représentations du carême. On peut, après le petit nombre de repréfentations que ce temps permet, la retirer avec honneur; mais après Pâques nous manquerons de prétexte.

Il n'y a pas d'apparence que je vienne à Paris ni avant ni après Pâques. Après avoir quitté madame du Châtelet pour un roi, je ne la quitterai pas pour un prophète. Je m'en rapporterai à mon cher ange gardien. Il ne s'agira que de précipiter un peu les fcènes de raifonnement, et de donner des larmes, de l'horreur et des attitudes à Grandval et à Gauffin. Mademoiselle Quinault entend le jeu du théâtre comme tout le refte; et fi vous vouliez honorer de

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