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fes opéra; il dirigeait les peintures de le Brun; il 1740. foutenait Boileau, Racine et Molière contre leurs ennemis; il encourageait les arts utiles comme les beaux arts, et toujours en connaiffance de caufe; il prêtait de l'argent à Van-Robais pour établir ses manufactures: il avançait des millions à la compagnie des Indes qu'il avait formée; il donnait des pensions aux favans et aux braves officiers. Non- feulement il s'eft fait de grandes chofes fous fon règne, mais c'est lui qui les fefait. Souffrez donc, Milord, que je tâche d'élever à fa gloire un monument que je confacre encore plus à l'utilité du genre-humain.

Je ne confidère pas feulement Louis XIV parce qu'il a fait du bien aux Français, mais parce qu'il a fait du bien aux hommes; c'eft comme homme, et non comme fujet, que j'écris; je veux peindre le dernier fiècle, et non pas fimplement un prince. Je suis las des hiftoires où il n'eft queftion que des aventures d'un roi, comme s'il exiftait feul, ou que rien n'exiftât que par rapport à lui; en un mot, c'eft encore plus d'un grand fiècle que d'un grand roi que j'écris l'hiftoire.

Péliffon eût écrit plus éloquemment que moi; mais il était courtisan, et il était payé. Je ne fuis ni l'un ni l'autre, c'eft à moi qu'il appartient de dire la vérité.

J'espère que dans cet ouvrage vous trouverez, Milord, quelques-uns de vos fentimens; plus je penferai comme vous, plus j'aurai droit d'efpérer l'approbation publique.

LETTRE CX X X I X.

A M. DE MAU PERTU I S.

A Bruxelles, le 9 d'augufte.

Je crois vous avoir mandé, Monfieur, par un petit

E

billet, combien votre lettre, du 31 juillet, m'avait étonné et mortifié. Les détails que vous voulez bien me faire, dans votre lettre du 4, m'affligent encore davantage. Je vois, avec douleur, ce que j'ai vu toujours depuis que je refpire, que les plus petites chofes produifent les plus violens chagrins.

Un mal-entendu a produit entre la perfonne dont vous me parlez et le fuiffe (17) une fcène très-défagréable. Vous avez, permettez-moi de vous le dire, écrit un peu sèchement à une perfonne qui vous aimait et qui vous eftimait. Vous lui avez fait fentir qu'elle avait un tort humiliant dans une affaire où elle croyait s'être conduite avec générofité; elle en a été fenfiblement affligée.

Si j'avais pu vous écrire plutôt ce que je vous écrivis en arrivant à la Haie, fi j'avais été à portée d'obtenir de vous que vous fiffiez quelques pas, toujours honorables à un homme, et que fon amitié pour vous avait mérités, je n'aurais pas aujourd'hui le chagrin d'apprendre ce que vous m'apprenez. J'en ai le cœur percé; mais, encore une fois, je ne crois

(17) Il s'agit ici d'une discussion entre madame du Châtelet et Kanig, qui, dans un voyage en France, s'était chargé de lui expliquer la philofophie leibnitzienne. M. de Maupertuis avait pris le parti de Kanig.

1740.

pas que ce que vous me mandez puiffe vous faire 1740. tort. On aura fans doute outré les rapports qu'on

vous aura faits; les termes que vous foulignez font incroyables. N'y ajoutez point foi, je vous en conjure. Donnez-moi un exemple de philofophie; croyez que je parlerai comme il faut, que je vous rendrai, que je vous ferai rendre la justice qui vous eft due: fiez-vous à mon cœur.

Je vous étonnerai peut-être quand je vous dirai que je n'ai pas fu un mot de la querelle du fuiffe à Paris. Soyez tout auffi convaincu que vous m'apprenez de tout point la première nouvelle d'une chofe mille fois plus cruelle.

Je vous conjure, encore une fois, de mêler un peu de douceur à la fupériorité de votre efprit. Il est impoffible que la perfonne dont vous me parlez ne fe rende à la raison et à ma juste douleur.

Soyez sûr que je conferve pour vous la plus tendre eftime, que je n'y ai jamais manqué, et que vous pouvez difpofer entièrement de moi.

LETTRE C X L.

A M. LE PRESIDENT HENAULT.

RIEN

A Bruxelles, 20 augufte.

IEN ne m'a tant flatté depuis long-temps, Monfieur, que votre fouvenir et vos ordres. Vous croyez bien que j'ai reçu M. Dumolard comme un homme qui m'eft recommandé par vous; je n'ai pu encore lui rendre que de petits soins, mais j'espère lui rendre bientôt de plus grands fervices. Il fera heureux fi, n'étant pas auprès de vous, il peut être auprès d'un roi qui pense comme vous, qui fait qu'il faut plaire, et qui en prend tous les moyens. Sa paffion dominante eft de faire du bien, et fes autres paffions font tous les arts. C'eft un philofophe fur le trône; c'est quelque chofe de plus, c'eft un homme aimable. M. de Maupertuis eft allé l'observer; mais je ne l'envie point. Je passe ma vie avec un être fupérieur, à mon gré, aux rois, et même à celui-là. J'ai été très-aife que M. de Maupertuis ait vu madame du Châtelet. Ce font deux aftres (pour parler le langage newtonien) qui ne peuvent fe rencontrer fans s'attirer. Il y avait de petits nuages qu'un moment de lumière a diffipés.

Pour le livre de madame du Châtelet, dont vous me parlez, je crois que c'eft ce qu'on a jamais écrit de mieux fur la philofophie de Leibnitz. Si les cœurs des philofophes allemands fe prennent par la lecture,

1740.

les Volfius, les Hanfchius et les Tumingius feront tous 1740. amoureux d'elle fur fon livre, et lui enverront,

du

fond de la Germanie, les lemmes et les théorèmes les plus galans; mais je fuis bien perfuadé qu'il vaut mieux fouper avec vous que d'enchanter le Nord, ou de le mesurer.

Je prends la liberté de vous envoyer une épître au roi de Pruffe, que mon cœur m'a dictée, il y a quelque temps, et que je fouhaite que vous lifiez avec autant d'indulgence que lui. Si madame du Deffant et les perfonnes avec lefquelles vous vivez daignaient fe fouvenir que j'exifte, je vous fupplierais de leur préfenter mes respects. Ne doutez pas des fentimens qui m'attachent à vous pour la vie.

LETTRE CXLI.

COMME

A M. THIRIO T.

A Bruxelles, le 16 auguste.

je ne connais aucun cérémonial, Dieu merci, je n'ai jamais imaginé qu'il y en eût dans l'amitié, et je ne conçois pas comment vous vous plaignez du filence d'un folitaire qui, retiré loin de Paris et de la perfécution, ne peut avoir rien à mander, tandis que vous, qui êtes au centre des arts et des agrémens, ne lui avez pas écrit une feule fois dans le temps qu'il paraissait avoir besoin de la confolation de fes amis. Je n'avais pas besoin de cette longue interruption de votre commerce, pour en fentir mieux le prix; mais fi la première loi de l'amitié eft de la

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