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m'en a valu à Londres; mais plus cette anecdote eft 1740. défagréable pour notre nation, plus je craindrais qu'on ne la publiât.

S'il fallait parler de quelques ingrats que j'ai faits, ne ferait-ce pas me faire des ennemis irréconciliables? Pourrai-je enfin publier la lettre que m'écrivit l'abbé Desfontaines, de bicêtre, fans commettre ceux qui y font nommés ? J'ai fans doute de quoi prouver que l'abbé Desfontaines me doit la vie, je ne dirai pas l'honneur; mais y a-t-il quelqu'un qui l'ignore, et n'y a-t-il pas de la honte à fe mefurer avec un homme auffi univerfellement haï et méprifé que Desfontaines?

Loin de chercher à publier l'opprobre des gens de lettres, je ne cherche qu'à le couvrir. Il y a un écrivain connu qui m'écrivit un jour : Voici, Monfieur, un libelle que j'ai fait contre vous; fi Vous voulez m'envoyer cent écus, il ne paraîtra pas. Je lui fis mander que cent écus étaient trop peu de chofe, que fon libelle devait lui valoir au moins cent piftoles, et qu'il devait le publier. Je ne finirais point fur de pareilles anecdotes, mais elles me peignent l'humanité trop en laid, et j'aime mieux les oublier.

Il y a un article dans votre lettre qui m'intéresse beaucoup davantage, c'est le befoin que vous avez de douze cents livres. M. le prince de Conti eft à plaindre de ce que fes dépenfes le mettent hors d'état de donner, à un homme de votre mérite, autre chofe qu'un logement. Je voudrais être prince ou fermier général pour avoir la fatisfaction de vous marquer une eftime folide. Mes affaires font actuellement fort

loin de reffembler à celles d'un fermier général, et font prefque auffi dérangées que celles d'un prince. 1740. J'ai même été obligé d'emprunter deux mille écus de M. Bronod, notaire; et c'est de l'argent de madame la marquise du Châtelet que j'ai payé ce que je devais à Prault fils; mais, fitôt que je verrai jour à m'arranger, foyez très-perfuadé que je préviendrai l'occafion de vous fervir avec plus de vivacité que vous ne pourriez la faire naître. Rien ne me ferait plus agréable et plus glorieux que de pouvoir n'être pas inutile à celui de nos écrivains que j'eftime le plus. C'eft avec ces fentimens très-fincères que je fuis, Monfieur, &c.

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MON adorable ami, jamais ange gardien n'a plus

travaillé pour le mortel qui lui eft confié. Vous avez
fait une befogne vraiment angélique. J'ai d'abord
mis
par écrit quelques murmures qui me font échap-
pés, à moi profane, et que j'ai envoyés fous le nom
de remontrances à M. de Pont-de-Vefle; mais aujour-
d'hui j'ai efquiffé le cinquième acte, et je l'ai joint à
mes murmures. Je tiens qu'il faut toujours voir les
ftatues un peu dégroffies pour juger de l'effet que
feront les grands traits. Mandez-moi comment vous
trouvez cette première ébauche de l'admirable idée
que vous m'avez fuggérée, et ce que vous penfez de

1740.

mes petites objections. Je commence à entrevoir que Mahomet fera, fans aucune comparaifon, ce que j'aurai fait de mieux, et ce fera à vous que j'en aurai l'obligation. Que le fuccès fera flatteur pour moi quand je vous le devrai! En vérité, vous êtes bien aimable; mais avouez qu'il n'y a perfonne que vous qui pût rendre de ces fervices d'ami.

Si le roi de Pruffe n'achète pas vos buftes, il faudra qu'il ait une haine décidée pour le cavalier Bernin et pour moi. J'ai tout lieu de croire qu'il fera ce que je lui propoferai inceffamment fur cette petite acquifition, foit que j'aye le bonheur de le voir, foit que je lui écrive. Je ne fais encore, entre nous, s'il joindra une magnificence royale à fes autres qualités; c'eft de quoi je ne peux encore répondre. Philofophie, fimplicité, tendreffe inaltérable pour ceux qu'il honore du nom de fes amis, extrême fermeté et douceur charmante, justice inébranlable, application laborieuse, amour des arts, talens finguliers; voilà certainement ce que je peux vous affurer qu'il possède. Soyez tout auffi sûr, mon respectable ami, que je le prefferai avec la vivacité que vous me connaissez. Je fuis heureusement à portée d'en ufer ainfi. Il ne m'a jamais écrit fi fouvent ni avec tant de confiance et de bonté que depuis qu'il eft fur le trône, et qu'il fait jour et nuit fon métier de roi avec une application infatigable. Quel bonheur pour moi fi je peux engager ce roi que j'idolâtre, à faire une chofe qui puiffe plaire à un ami qui eft dans mon cœur fort au-deffus encore de ce roi !

LETTRE CXXXVII.

A M. DE MAUPERTU I S.

VOUS

A la Haie. ce 21 juillet.

ous voilà, Monfieur, comme le Meffie, trois rois courent après vous (15); mais je vois bien que, puifque vous avez fept mille livres de la France, et que vous êtes français, vous n'abandonnerez point Paris pour Berlin. Si vous aviez à vous plaindre de votre patrie, vous feriez très-bien d'en accepter une autre; et, en ce cas, je féliciterais mon adorable roi de Pruffe; mais c'eft à vous à voir dans quelle pofition vous êtes. Au bout du compte, vous avez conquis la terre fur les Caffini, et vous êtes fur vos lauriers; fi vous y trouvez quelque épine, vous en émoufferez bientôt la pointe.

Cependant, fi ces épines étaient telles que vous vouluffiez abandonner le pays qui les porte pour aller à la cour de Berlin, confiez-vous à moi en toute fureté ; dites-moi fi vous voulez que je mette un prix à votre acquifition; je vous garderai le fecret, comme je l'exige de vous, et je vous fervirai auffi vivement que je vous aime et que je vous estime.

Me voici pour quelques jours à la Haie, je retournerai bientôt à Bruxelles; me permettrez-vous de vous parler ici d'une chofe que j'ai fur le cœur depuis

(15) M. de Maupertuis venait d'avoir de la France une nouvelle penfion de 3000 livres ; la Ruffie lui en offrait une plus considérable, et le roi de Pruffe l'appelait pour lui confier le foin de fon académie,

1740.

long-temps. Je fuis affligé de vous voir en froideur 1740. avec une dame qui, après tout, eft la feule qui puiffe vous entendre, et dont la façon de penfer mérite votre amitié. Vous êtes faits pour vous aimer l'un et l'autre écrivez-lui (un homme a toujours raifon quand il fe donne le tort avec une femme), vous retrouverez fon amitié, puisque vous avez toujours fon eftime.

Je vous prie de me mander où je pourrais trouver la première bévue que l'on fit à votre académie, quand on jugea d'abord que la terre était aplatie aux pôles fur des mesures qui la donnaient alongée (16).

Ne fait-on rien du Pérou?

Adieu; je fuis un juif errant à vous pour jamais.

P. S. Comme je refterai à la Haie un peu plus que je ne comptais, vous pouvez y adreffer vos lettres chez l'envoyé de Pruffe. M. s'Gravefende vous fait mille complimens. Vous favez que lui et M. Muffchembroek ont préféré leur patrie à Berlin.

(16) M. Jacques Caffini, mort en 1756, avait trouvé, en 1701, par fa mesure des degrés du méridien de Paris à Collioure, qu'ils décroiffaient en approchant du pôle : il en conclut d'abord, mais fauffement, que la terre etait aplatie vers les pôles; et M. de Fontenelle, dans l'extrait qu'il donna du mémoire de M. Caffini, parut adopter la fauffe conclufion de cet aftronome. (Mémoires de l'académie pour l'année 1701). Cette erreur a été corrigée dans la nouvelle edition qu'on a faite des premières années de ces Mémoires. Ce fut un ingénieur, nommé des Roubais, qui s'en aperçut le premier, et qui donna un memoire à ce fujet dans les journaux de Hollande.

LETTRE

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