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J'irais observer cet aftre du Nord, fi je pouvais quitter celui dont je fuis depuis dix ans le fatellite. Je 1740. ne fuis pas comme les comètes de Descartes, qui

voyagent de tourbillon en tourbillon.

A propos de tourbillon, j'ai lu le quatrième tome de Jofeph Privat de Molières, qui prouve l'exiftence de DIEU par un poids de cinq livres pofé fur un 4 de chiffre (*). Il paraît que vos confrères les examinateurs de fon livre, n'ont pas donné leurs fuffrages à cette étrange preuve; fur quoi j'avais pris la liberté de

dire:

Quand il s'agit de prouver Dieu,

Vos meffieurs de l'académie
Tirent leur épingle du jeu

Avec beaucoup de prud'hommie.

J'ai lu quelque chofe de M. de Gamache (**), mais je ne fais pas bien encore ce qu'il prétend. Il fait quelquefois le plaisant : j'aimerais mieux clarté et méthode.

J'apprends de bien funeftes nouvelles de la fanté de madame de Richelieu: vous perdrez une perfonne qui vous estimait et qui vous aimait, puisqu'elle vous avait connu ; c'était prefque la feule protectrice qui me reftait à Paris. Je lui étais attaché dès fon enfance; fi elle meurt, je ferai inconfolable.

Adieu, Monfieur ; je vous fuis attaché pour jamais. Vous favez que je vous ai toujours aimé, quoique je vous admiraffe; ce qui eft affez rare à concilier.

(*) On appelle 4 de chiffre, un piège à rats, fur lequel on met un poids.

(**) L'Astronomie phyfique de l'abbé de Gamache.

1740.

LETTRE

CXXXIII.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL,

ZULIME,

Ce 24 juin.

ULIME, mon respectable ami, eft faite pour mon malheur. Vous favez que madame de Richelieu est à la mort; peut-être en eft-ce fait à l'heure où je vous écris. Vous n'ignorez pas la perte que je fais en elle; j'avais droit de compter fur fes bontés, et j'ofe dire fur l'amitié de M. de Richelieu. Il faut que je joigne à la douleur dont cette mort m'accable, celle d'apprendre que M. de Richelieu me fait le plus mauvais gré du monde d'avoir laiffé jouer Zulime dans ces cruelles circonftances. Vous pouvez me rendre justice. Cette malheureuse pièce devait être donnée longtemps avant que madame de Richelieu. fût à Paris. Elle fut représentée le 9 juin, quand madame de Richelieu donnait à fouper, et fe croyait très loin d'être en danger. J'ai fait depuis humainement ce que j'ai pu pour la retirer, fans en venir à bout. Elle était à la troifième représentation, lorfque j'eus le malheur de perdre mon neveu, qui était correcteur des comptes, et que j'aimais tendrement. Ma famille. ne s'eft point avifée de trouver mauvais qu'on repréfentât un de mes ouvrages pendant que mon pauvre neveu était à l'agonie, et que j'avais le cœur percé. Faudrait-il que ceux qui fe difent protecteurs ou amis, et qui fouvent ne font ni l'un ni l'autre, affectaffent de fe fâcher d'un prétendu manque de

bienséance dont je n'ai pas été le maître, quand ma famille n'a pas imaginé de s'en formalifer? Vous êtes 1740. peut-être à portée, vous ou monfieur votre frère, de faire valoir à M. de Richelieu mon innocence; il a grand tort affurément de m'affliger. Je fens auffi douloureusement que lui la perte de madame de Richelieu, et je fuis bien loin de mériter fon mécontentement; il m'eft très-fenfible dans une occafion fi trifte. Il est bien dur de paraître infenfible quand on a le cœur déchiré.

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Mille tendres refpects à madame d'Argental. Madame du Châtelet vous fait à tous deux bien des complimens; elle vous aime autant que je vous fuis attaché.

LETTRE CXXXIV.

A M. DE CIDEVILLE.

A Bruxelles, 28 juin.

EH bien, mon cher ami, avez-vous reçu

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T? C'eft M. Helvétius, un de nos confrères en Apollon, quoique fermier général, qui s'eft chargé de vous le faire rendre de Paris à Rouen. Si les foins d'un fermier général et l'adreffe d'un premier président ne fuffifent pas, à qui faudra-t-il avoir recours?

Je ne vous ai point envoyé Zulime, que les comédiens de Paris ont représentée presque malgré moi, et qui n'eft pas digne de vous. Si j'avais de la vanité, je vous dirais qu'elle n'eft pas digne de moi; du moins, je crois pouvoir mieux faire, et qu'en effet

Mahomet vaut mieux. Vous jugerez fi j'ai bien peint 1740. les fourbes et les fanatiques.

En attendant, voyez, mon cher ami, fi vous êtes un peu content de la petite odelette pour notre fouverain le roi de Pruffe. Je l'appelle notre fouverain, parce qu'il aime, qu'il cultive, qu'il encourage les arts que nous aimons. Il écrit en français beaucoup mieux que plufieurs de nos académiciens; et quelquefois dans fes lettres il laiffe échapper de petits fixains ou dixains que peut-être ne défavoueriezvous pas. Sa paffion dominante eft de rendre les hommes heureux, et de faire fleurir chez lui les belles-lettres. Me ferait-il permis de vous dire que, dès qu'il a été fur le trône, il m'a écrit ces propres paroles Pour Dieu, ne m'écrivez qu'en homme, et méprifez avec moi les noms, les titres et tout l'éclat

extérieur.

Eh bien, qu'en dites-vous? Votre cœur n'est-il pas ému? N'eft-on pas heureux d'être né dans un fiècle qui a produit un homme fi fingulier? Avec tout cela je reste à Bruxelles ; et le meilleur roi de la terre, fon mérite et fes faveurs ne m'éloigneront pas un moment d'Emilie. Les rois ( même celui-là), ne doivent marcher qu'après les amis vous fentez bien que cela va fans dire.

Adieu, mon aimable ami; je vous embrasse bien tendrement.

LETTRE

C X X X V.

1740.

A M. L'ABBÉ PREVOST.

A Bruxelles, juin.

ARNAUD fit autrefois l'apologie de Boileau, et vous

voulez, Monfieur, faire la mienne. Je ferais auffi fenfible à cet honneur, que le fut Boileau; non que je fois auffi vain que lui, mais parce que j'ai plus befoin d'apologie. La feule chofe qui m'arrête tout court, eft celle qui empêcha le grand Condé d'écrire des mémoires. Vous voyez que je ne prends pas d'exemples médiocres. Il dit qu'il ne pourrait se juftifier fans accuser trop de monde. Si parva licet componere magnis, je suis à peu près dans le même

cas.

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Comment pourrai-je, par exemple, ou comment pourriez-vous parler des foufcriptions de ma Henriade, fans avouer que M. Thiriot, alors fort jeune, diffipa malheureusement l'argent des foufcriptions de France? J'ai été obligé de rembourfer à mes frais tous les foufcripteurs qui ont eu la négligence de ne point envoyer à Londres, et j'ai encore par devers moi les reçus de plus de cinquante perfonnes. Serait-il bien agréable pour ces perfonnes, qui pour la plupart font des gens très-riches, de voir publier qu'ils ont eu l'économie de recevoir à mes dépens l'argent de mon livre? Il est très-vrai qu'il m'en a coûté beaucoup pour avoir fait la Henriade, et que j'ai donné autant d'argent en France, que ce poëme

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