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Le procès de madame du Châtelet n'avance guère. 1740. Il faut fe préparer à refter ici long-temps. J'y fuis avec elle, j'y fuis à l'abri de la perfécution, cependant je vous regrette.

Je ne fais, Monfieur, fi vous avez entendu parler du jéfuite Janssens à qui on redemande ici en justice un dépôt de deux cents mille florins. Le procès fe poursuit vivement; le rapporteur m'a dit qu'il y avait de terribles preuves contre ce jéfuite. Il pourra être condamné, mais fes confrères refteront toutpuiffans, car on ne peut ni les fouffrir, ni s'en défaire. Il y a des fociétés immortelles comme des hommes immortels.

Adieu, Monfieur; il y a ici deux cœurs qui vous font dévoués pour jamais.

LETTRE C X X X.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

12 juin.

MON adorable ami, vous favez que je n'ai jamais, espéré un fuccès brillant de Zulime. Je vous ai toujours mandé que la mort du père tuerait la pièce; et la véritable raison, à mon gré, c'eft qu'alors l'intérêt change; cela fait une pièce double. Le cœur n'aime point à fe voir dérouté; et quand une fois il est plein d'un fentiment qu'on lui a infpiré, il rebute tout ce qui se présente à la traverse; d'ailleurs les paffions qui règnent dans Zulime, ne font point affez neuves.

Le public, qui a vu déjà les mêmes chofes fous d'autres noms, n'y trouve point cet attrait invin- 1740. cible que la nouveauté porte avec foi. Que vous êtes charmans, vous et madame d'Argental! que vous êtes au-deffus de mes ouvrages! mais auffi je vous aime plus que tous mes vers.

Je vous fupplie de faire au plutôt ceffer pour jamais les représentations de Zulime, fur quelque honnête prétexte. Je vous avoue que je n'ai jamais mis mes complaifances que dans Mahomet et Mérope. J'aime les chofes d'une efpèce toute neuve. Je n'attends qu'une occafion de vous envoyer la dernière leçon de Mahomet; et fi vous n'êtes pas content, vous me ferez recommencer. Vous m'enverrez vos idées, je tâcherai de les mettre en œuvre. Je ne puis mieux faire que d'être infpiré par vous.

Voulez-vous, avant votre départ, une feconde dofe de Mérope? Je fuis comme les chercheurs de pierre philofophale; ils n'accufent jamais que leurs opérations, et ils croient que l'art eft infaillible. Je crois Mérope un très-beau fujet, et je n'accuse que moi, J'en ai fait trois nouveaux actes; cela vous amuferait-il? En attendant, voici une façon d'ode (*) que je viens de faire pour mon cher roi de Pruffe. De quelle épithète je me fers-là pour un roi! Un roi cher! cela ne s'était jamais dit. Enfin, voilà l'ode ou plutôt les ftances; c'eft mon cœur qui les a dictées bonnes ou mauvaises; c'est lui qui me dicte les plus tendres remercîmens pour vous, la reconnaissance, l'amitié la plus refpectueufe et la plus inviolable.

(*) Voyez le volume d'Epîtres.

1740.

LETTRE C X X X I.

A M. LE MARQUIS D'ARGENSON.

A Bruxelles, le 18 juin.

Si j'avais l'honneur d'être auprès de mon cher

monarque, favez-vous bien, Monfieur, ce que je ferais? je lui montrerais votre lettre, car je crois que fes miniftres ne lui donneront jamais de fi bons confeils. Mais il n'y a pas d'apparence que je voye, du moins fitôt, mon meffie du Nord. Vous vous doutez bien que je ne fais point quitter mes amis pour des rois; et je l'ai mandé tout net à ce charmant prince que j'appelle votre humanité, au lieu de l'appeler votre majesté.

A peine eft-il monté fur le trône (*), qu'il s'eft fouvenu de moi pour m'écrire la lettre la plus tendre, et pour m'ordonner, ce font fes termes, de lui écrire toujours comme à un homme, et jamais comme à un roi.

Savez-vous que tout le monde s'embraffe dans les rues de Berlin, en fe félicitant fur les commencemens de fon règne. Tout Berlin pleure de joie; mais pour fon prédécesseur, personne ne l'a pleuré, que je fache. Belle leçon pour les rois ! Les gens en place font pour la plupart de grands miférables; ils ne favent pas ce qu'on gagne à faire du bien.

(*) Le 31 de mai 1740.

J'ai cru faire plaifir, Monfieur, au roi, à vous et à M. de Valori, en lui tranfcrivant les propres 1740. paroles de ce miniftre dont vous m'avez fait part Il commence fon règne comme il y a apparence qu'il le continuera; par-tout des traits de bonté, &c. J'ai écrit auffi à M. de Valori; j'ai fait plus encore, j'ai écrit à M. le baron de Keyferling, favori du roi, et je lui ai tranfcrit les louanges non fufpectes qui me reviennent de tous côtés de notre cher Marc-Aurèle pruffien, et furtout les quatre lignes de votre lettre.

Vous m'avouerez qu'on aime d'ordinaire ceux dont on a l'approbation, et que le roi ne faura pas mauvais gré à M. de Valori de mon petit rapport, ni M. de Valori à moi. Des bagatelles établissent quelquefois la confiance; et la première des inftructions d'un miniftre, c'eft de plaire.

Les affaires me' paraiffent bien brouillées en Allemagne et par-tout; et je crois qu'il n'y a que le confeil de la Trinité qui fache ce qui arrivera dans la petite partie de notre petit tas de boue qu'on appelle Europe. La maison d'Autriche voudrait bien attaquer les Borbonides, mais fa pragmatique la retient. La Saxe et la Bavière difputeront la fucceffion: Berg et Juliers eft une nouvelle pomme de difcorde, fans compter les Goths, Vifigoths et Gépides qui pourraient danfer dans cette pyrrhique de barbares.

ventis,

Dulce,
mari magno turbantibus æquora
E terrâ magnum alterius fpectare laborem.

Débrouille qui voudra ces fufées, moi je cultive

en paix les arts, bien fâché que les comédiens aient

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voulu à toute force donner cette Zulime, que je n'ai 1740. jamais regardée que comme de la crême fouettée, dans le temps que j'avais quelque chofe de meilleur à leur donner. J'ai eu l'honneur de vous en montrer les prémices.

Si me, Marce, tuis vatibus inferes,
Sublimi feriam fidera vertice.

Madame du Châtelet vous fait mille complimens; vous connaissez mon tendre et refpectueux attache

ment.

LETTRE CXXXII.

DE MAUPERTUIS.

A M. DE

LES

A Bruxelles, le 22 de juin.

ES grands hommes font mes rois, Monfieur, mais la converse n'a pas lieu ici : les rois ne font pas mes grands-hommes. Une tête a beau être couronnée, je ne fais cas que de celles qui penfent comme la vôtre; et c'eft votre eftime et votre amitié, non la faveur des fouverains, que j'ambitionne. Il n'y a que le roi de Pruffe que je mets de niveau avec vous, parce que c'eft de tous les rois le moins roi et le plus homme. Il est bienfefant et éclairé, plein de grands talens et de grandes vertus ; il m'étonnera et m'affligera fenfiblement s'il fe dément jamais. Il ne lui manque que d'être géomètre, mais il eft profond métaphyficien, et moins bavard que le grand Volfius.

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