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LETTRE CXXIII.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

ANGE

Le 22 mars.

NGE de paix, eh bien, comment trouvez-vous donc ce commencement de l'hiftoire de Louis XIV? Je crois que j'en pourrais faire un ouvrage bien neuf, et peut-être honorable à la nation. Mais comme je fuis traité dans cette nation pour qui je travaille!

Et Zulime, Zulime! fi le cinquième acte n'est pas à votre fantaisie, je n'ai qu'à me noyer, car j'y ai mis tout ce que je fais. J'ai vu de beaux yeux pleurer en le lifant; mais je me défie toujours des beaux yeux celles qui les portent font d'ordinaire féduites ou trompeufes. La perfonne dont je vous parle eft peut être trop féduite en ma faveur : cependant elle n'a guère pleuré à Mérope, et elle a pleuré beaucoup à Zulime.

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Pour l'amour de Dieu, n'exigez pas que je commence par faire de Zulime un trouble-fête! Quelle cruelle idée mon confeil a-t-il eue! Croyez-moi, il n'y aurait plus d'intérêt. Atide doit ne pas déplaire, mais Zulime doit déchirer le cœur. Prenez -y garde, tout ferait perdu.

Au refte, mon confeil eft le feul confeil dans Paris qui foit inftruit des affaires d'Afrique. Si cela pouvait être joué à Pâques, je bénirais Mahomet; décidez. Il y a bien autre chofe fur le tapis.

1740.

Permettez-vous que je vous adreffe une de mes 1740. rêveries, que vous jetterez au feu si vous la condamnez, et que vous ferez voir à M. le comte de Maurepas fi vous l'approuvez (*). Je lui donne, par mon dernier vers, la louange la plus flatteuse. Je lui dis qu'il a des amis, et c'est votre amitié qui fait fon éloge.

Eft-ce que vous ne voulez pas donner un muficien à Pandore?

Eft-ce que vous penfez qu'on ne peut rien tirer de cette madame Prudife, en lui fefant faire par pure faibleffe ce qu'on lui fait faire au théâtre anglais par une méchanceté déterminée, qui révolterait nos mœurs un peu faibles et trop délicates? Le rôle du petit Adine me paraît fi joli! Laiffez-vous toucher, et que je faffe quelque chofe de cette Prudife.

J'ai lu Edouard. Je vous fuis très - obligé de la bonté que vous avez eue de m'envoyer la traduction d'Ortolani: elle me paraît affez belle.

J'ai répondu à Greffet une lettre polie et d'amitié ; je le crois un bon diable.

Adieu, mon adorable ami; toujours fub umbrâ alarum tuarum. Je fuis bien perfécuté, tout va de travers; mais vous m'aimez, Emilie m'aime, c'est la réponse à tout.

(*) L'épître à M. le comte de Maurepas, vol. d'Epîtres.

LETTRE

CXXIV.

1740.

A M. HELVETIUS, à Paris.

JE V

A Bruxelles, ce 24 mars.

E vous renvoie, mon cher ami, le manufcrit que vous avez bien voulu me communiquer. Vous me donnez toujours les mêmes fujets d'admiration et de critique. Vous êtes le plus hardi architecte que je connaiffe, et celui qui fe paffe le plus volontiers de ciment. Vous feriez trop au - deffus des autres, fi vous vouliez faire attention combien les petites chofes fervent aux grandes, et à quel point elles font indifpensables; je vous prie de ne pas les négliger en vers, et furtout dans ce qui regarde votre fanté; vous m'avez trop alarmé par le danger où vous avez été. Nous avons befoin de vous, mon cher enfant en Apollon, pour apprendre aux Français à penser un peu vigoureusement; mais moi j'en ai un befoin effentiel, comme d'un ami que j'aime tendrement, et dont j'attends plus de confeils dans l'occafion · que je ne vous en donne ici.

J'attends la pièce de M. Greffet. Je ne me presse point de donner Mahomet; je le travaille encore tous les jours. A l'égard de Pandore, je m'imagine que cet opéra prêterait affez aux musiciens; mais je ne fais à qui le donner. Il me femble que le récitatif en fait la principale partie, et que le favant Rameau néglige quelquefois le récitatif. M. d'Argental en est

affez content; mais il faut encore des coups de lime. 174°. Ce M. d'Argental eft un des meilleurs juges, comme

un des meilleurs hommes que nous ayons. Il est digne d'être votre ami. J'ai lu l'Optique du P. Caftel. Je crois qu'il était aux petites-maisons quand il fit cet ouvrage. Il n'y en a qu'un que je puiffe lui comparer; c'eft le quatrième tome de Jofeph Privat de Molières, où il donne de fon cru une preuve de l'existence de DIEU, propre à faire plus d'athées que tous les livres de Spinofa. Je vous dis cela en confidence. On me parle avec éloge des détails d'une comédie de Boiffy; je n'en croirai rien de bon que quand vous en ferez content. Le janfénifte Rollin continue-t-il toujours à mettre en d'autres mots ce que tant d'autres ont écrit avant lui? et fon parti préconife-t-il toujours comme un grand-homme ce prolixe et inutile compilateur? A-t-on imprimé, et vend-on enfin l'ouvrage de l'abbé de Gamache? Il y aura fans doute un petit fyftême de fa façon; car il faut des romans aux Français. Adieu, charmant fils d'Apollon; nous vous aimons ici tendrement. Ce n'eft point un roman cela, c'est une vérité conftante; car nous fommes ici deux êtres très - conftans.

1740.

LETTRE C X X V.

A M. LE MARQUIS D'ARGENSON.

A Bruxelles, ce 30 mars.

C'EST une chofe plaifante, Monfieur, que la tracaf

ferie qu'on m'avait voulu faire avec M. de Valori, à Berlin et à Paris. J'entrevois que quelqu'un, qui veut abfolument fe mêler des affaires d'autrui, a mis dans fa tête de détruire M. de Valori et moi dans l'esprit du Prince royal: et ce n'eft pas la première niche qu'on m'a voulu faire dans cette cour. J'ai beau vivre dans la plus profonde retraite, et paffer mes jours avec Euclide et Virgile, il faut qu'on trouble mon repos.

Je crois connaître affez le Prince royal pour espérer qu'il en redoublera de bontés pour moi; et que, fi on a voulu lui infpirer des fentimens peu favorables pour notre miniftre, il ne fentira que mieux fon mérite. C'est un prince qui unira, je crois, les lettres et les armes, qui s'accommodera en homme juste pour Berg et Juliers, fi on lui fait des propofitions honorables, et qui défendra fes droits dans l'occafion avec de vrais foldats, fans avoir de géans inutiles.

Je ferais fort étonné fi le roi son père revenait de fa maladie. Il faut qu'il foit bien mal, puifqu'il eft défendu en Pruffe de parler de fa fanté ni en mal ni en bien.

Lorfque vous m'avez fait l'honneur de m'écrire au fujet de M. de Valori, je venais de recevoir une lettre

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