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1739.

LETTRE C X V.

A M.

HELVETIU S.

A Paris, 3 octobre.

MON jeune Apollon, j'ai reçu votre charmante

lettre. Si je n'étais pas avec madame du Châtelet, je voudrais être à Montbard. Je ne fais comment je m'y prendrai pour envoyer une courte et modefte réponse que j'ai faite aux anti-newtoniens. Je fuis l'enfant perdu d'un parti dont M. de Buffon est le chef, et je fuis affez comme les foldats qui fe battent de bon cœur fans trop entendre les intérêts de leur prince. J'avoue que j'aimerais infiniment mieux recevoir de vos ouvrages que vous envoyer les miens. N'aurai-je point le bonheur, mon cher ami, de voir arriver quelque gros paquet de vous avant mon départ? Pour Dieu, donnez-moi au moins une épître. Je vous ai dédié ma quatrième épître fur la Modération; cela m'a engagé à la retoucher avec foin. Vous me donnez de l'émulation; mais donnez-moi donc de vos ouvrages. Votre métaphyfique n'eft pas l'ennemie de la poëfie. Le P. Mallebranche était quelquefois poëte en profe; mais vous, vous favez l'être en vers. Il n'avait de l'imagination qu'à contre-temps. Madame du Châtelet a amené avec elle à Paris fon Kanig qui n'a de l'imagination en aucun sens, mais qui, comme vous favez, eft ce qu'on appelle grand métaphyficien. Il fait à point nommé de quoi la

matière eft compofée, et il jure d'après Leibnitz, qu'il eft démontré que l'étendue eft compofée de monades 1739. non étendues, et la matière impénétrable composée de petites monades pénétrables. Il croit que chaque monade eft un miroir de fon univers. Quand on croit tout cela, on mérite de croire aux miracles de St Pâris. D'ailleurs il eft très-bon géomètre, comme vous favez, et, ce qui vaut mieux, très-bon garçon. Nous irons bientôt philofopher à Bruxelles ensemble, car on n'a point fa raison à Paris. Le tourbillon du monde eft cent fois plus pernicieux que ceux de Defcartes. Je n'ai encore eu ni le temps de penfer, ni celui de vous écrire. Pour madame du Châtelet, elle eft toute différente, elle penfe toujours, elle a toujours son esprit ; et fi elle ne vous a pas écrit, elle a tort. Elle vous fait mille complimens, et en dit autant à M. de Buffon.

Le d'Arnaud efpère que vous ferez un jour quelque chofe pour lui, après Montmirel s'entend; car il faut que chaque chofe foit à fa place.

Si je favais où loge votre aimable Montmirel, fi j'avais achevé Mahomet, je me confierais à lui in nomine tuo; mais je ne fuis pas encore prêt, et je pourrai bien vous envoyer de Bruxelles mon Alcoran.

Adieu, mon cher ami; envoyez-moi donc de ces vers dont un feul dit tant de choses. Faites ma cour, je vous en prie, à M. de Buffon; il me plaît tant, que je voudrais bien lui plaire. Adieu; je fuis à vous pour le refte de ma vie.

1739.

LETTRE CXV I.

A M. LE MARQUIS DE XIMENÈS,

Qui lui avait envoyé une traduction en vers de la
Jeptième élégie d'Ovide.

Le.....

Les perfonnes qui ont l'honneur de vous connaître,

ES

Monfieur, vous rendront la juftice d'avouer que vous êtes plus fait pour traduire les amours fortunés d'Ovide, que fes amours malheureux. Si d'ailleurs quelque beauté avait à fe plaindre de vous, elle ferait difcrète; et vous pourriez vous vanter de vos exploits, fans lui déplaire. Il y a de très-galans hommes qui ont perdu partie, revanche et le tout, fans en rien dire. Vous n'êtes pas de ces gens-là, et je vous crois très-heureux au jeu. Pour moi, qui ne joue point, je vous fouhaite d'auffi bonnes parties que vous avez fait de bons vers. Goûtez les plaisirs, et chantez-les. J'ai l'honneur d'être, &c.

LETTRE CXVII.

A M. PITOT DE LA U NA Y,

DE L'ACADEMIE DES SCIENCES.

2 janvier.

Mon cher philofophe, je vous remercie tendrement

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de votre fouvenir et de la fidélité avec laquelle vous avez foutenu la bonne cause dans l'affaire de Prault. Il y a long-temps que je connais, que je défie et que je méprife les calomniateurs. Les efprits malins et légers, qui commencent par ofer condamner un homme dont ils n'imiteraient pas les procédés, n'ont garde de s'informer de quelle manière j'en ai usé. Ils le pourraient favoir de Prault lui-même; mais il eft plus aifé de débiter un mensonge au coin du feu, que d'aller chez les parties intéreffées s'informer de la vérité. Il y a peu d'ames comme la vôtre, qui aiment à rendre juftice. Les vérités morales vous font auffi chères que les vérités géométriques. Je vous prie de voir M. Arouet, et de demander l'état où il eft: dites-lui que j'y fuis auffi fenfible que je dois l'être, et que je prendrais la poste pour le venir voir, fi je croyais lui faire plaifir. Je vous demande en grâce de m'écrire des nouvelles de la difpofition de fon corps et de fon ame. Adicu; mille amitiés à madame Pitot, fans cérémonie.

1740.

1740.

LETTRE CXVIII.

A M. LE MARQUIS D'ARGENSON.

VOUS

A Bruxelles, ce 8 janvier.

ous m'allez croire un pareffeux, Monfieur, et qui pis eft un ingrat; mais je ne fuis ni l'un ni l'autre. J'ai travaillé à vous amuser depuis que je fuis à Bruxelles, et ce n'eft pas une petite peine que celle de donner du plaisir. Je n'ai jamais tant travaillé de ma vie, c'eft que je n'ai jamais eu tant d'envie de vous plaire.

Vous favez, Monfieur, que je vous avais promis de vous faire paffer une heure ou deux affez doucement je devais avoir l'honneur de vous préfenter ce petit recueil qu'imprimait Prault. Toutes ces pièces fugitives que vous avez de moi fort informes et fort incorrectes, m'avaient fait naître l'envie de vous les donner un peu plus dignes de vous. Prault les avait auffi manufcrites. Je me donnai la peine d'en faire un choix, et de corriger avec un très-grand foin tout ce qui devait paraître. J'avais mis mes complaifances dans ce petit livre. Je ne croyais pas qu'on dût traiter des chofes auffi innocentes plus févèrement qu'on n'a traité les Chapelle, les Chaulieu, les la Fontaine, les Rabelais, et même les épigrammes de Rouffeau.

Il s'en faut beaucoup que le recucil de Prault approchât de la liberté du moins hardi de tous les

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