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pas la lui envoyer? ne pourrait-il pas la lire aux 1739. comédiens? mais lit-il bien ? car une belle pronon

ciation et une lecture pathétique font une bordure néceffaire au tableau. Voyez, mon cher ami; donnezmoi fur cela vos réflexions.

Quelle eft donc cette madame Lambert à qui je dois des complimens? Vous me faites des amis des gens qui vous aiment; je ferai bientôt aimé de tout le monde.

Adieu, Madame du Châtelet vous eftime, vous aime; vous n'en doutez pas. Nos cœurs font à vous pour jamais; elle vous a écrit comme moi à Charleville. Adieu; je vous embraffe du meilleur de mon

ame.

LETTRE CX I.

A M. LE MARQUIS D'ARGENS.

A Bruxelles, ce 18 juillet.

ETES-VOUS parti?

pour moi je pars dans la minute. Mes complimens, mon cher ami, au révérend père Janffens jefuite (*) de Bruxelles, lequel a perfuadé à la pauvre madame Viana que fon mari était mort hérétique, et que par conféquent elle ne pouvait en confcience garder de l'argent chez elle, et qu'il fallait remettre tout entre les mains de fon confeffeur. La dame Viana, pleine de componction, lui a confié tout fon argent. Le cocher qui a aidé le révérend père porter les facs, dépofe juridiquement contre le (*) Ou Yancin.

à

révérend père. Le bon homme dit qu'il ne fait ce que c'eft, et prie DIE U pour eux. Le peuple cependant veut lapider le faint. On va juger l'affaire. Il faut ou le pendre ou le canonifer; et peut-être ferat-il l'un et l'autre. (*)

Adieu, mon ami; ne foyons ni l'un ni l'autre.

LETTRE CXII.

A M. LE MARQUIS D'ARGENSON.

A Bruxelles, 28 juillet.

1739.

MONSIEUR,

UN fuiffe, paffant par Bruxelles pour aller à Paris,

était défigné pour être dépofitaire du plus inftructif et du meilleur ouvrage que j'aye lu depuis vingt ans ; mais la crainte de tous les accidens qui peuvent arriver à un étranger inconnu, m'a déterminé à ne confier l'ouvrage qu'à l'abbé Mouffinot, qui aura l'honneur de vous le rendre.

On m'affure que l'auteur de cet ouvrage unique ne va point enterrer à Lisbonne les talens qu'il a pour conduire les hommes et pour les rendre heureux. Puiffe-t-il refter à Paris, et puiffé-je le retrouver dans un de ces poftes où l'on a fait jufqu'ici tant de mal et fi peu de bien! Si je fuivais mon goût, je vous jure bien que je ne remettrais les pieds dans Paris que

(*) Voyez, fur cette affaire, l'Effai fur les probabilités en fait de justice, parmi les pièces relatives au procès du comte de Morangies: Politique et légiflation, tome II.

quand je verrais M. d'Argenfon à la place de fon 1739. père, et à la tête des belles - lettres.

La décadence du bon goût, le brigandage de la littérature, me font fentir que je fuis né citoyen ; je fuis au défespoir de voir une nation fi aimable, fi prodigieufement gâtée. Figurez-vous, Monfieur, que M. de Richelieu infpira au roi, il y a quatre ans, l'envie de voir la comédie de l'Héritier ridicule, et cela fur une prétendue anecdote de la cour de Louis XIV. On prétendait que le roi et Monfieur avaient fait jouer cette pièce deux fois en un jour. Je fuis bien éloigné de croire ce fait; mais ce que je fais bien, c'eft que cette malheureufe comédie eft un des plus plats et des plus impertinens ouvrages qu'on ait jamais barbouillés. Les comédiens français eurent tant de honte que Louis XV la leur demandât, qu'ils refusèrent de la jouer. Enfin Louis XV a obtenu cette belle représentation des bateleurs de Compiegne lui et les fiens s'y font terriblement ennuyés. Qu'arrivera-t-il de là? Que le roi, fur la foi de M. de Richelieu, croira que cette pièce est le chef-d'œuvre du théâtre, et que par conféquent le théâtre eft la chofe la plus méprifable.

Encore paffe, fi les gens qui fe font confacrés à l'étude n'étaient pas perfécutés; mais il eft bien douloureux de fe voir maîtrife, foulé aux pieds par des hommes fans efprit, qui ne font pas nés affurément pour commander, et qui se trouvent dans de trèsbelles places qu'ils déshonorent.

Heureusement il y a encore quelques ames comme la vôtre; mais c'est bien rarement dans ce petit nombre qu'on choifit les difpenfateurs de l'autorité royale, et

les chefs de la nation. Un fripon de la lie du peuple et de la lie des êtres penfans, qui n'a d'efprit que ce qu'il en faut pour nouer des intrigues fubalternes, et pour obtenir des lettres de cachet, ignorant et haïffant les lois, patelin et fourbe ; voilà celui qui réuffit, parce qu'il entre par la chatière : et l'homme digne de gouverner vieillit dans des honneurs inutiles.

Ce n'était pas à Bruxelles, c'était à Compiegne qu'il fallait que votre livre fût lu. Quand il n'y aurait que cette feule définition-ci, elle fuffirait à un roi: Un parfait gouvernement eft celui où toutes les parties font également protégées. Que j'aime cela! Les favantes recherches fur le droit public ne font que l'hiftoire des anciens abus. Que cela eft vrai! Eh, qu'importe à notre bonheur de favoir les capitulaires de Charlemagne? Pour moi, ce qui m'a dégoûté de la profeffion d'avocat, c'eft la profufion de chofes inutiles dont on voulut charger ma cervelle. Au fait, est ma devise.

Que ce que vous dites fur la Pologne me plaît encore! J'ai toujours regardé la Pologne comme un beau fujet de harangue, et comme un gouvernement miférable car, avec tous fes beaux priviléges, qu'est-ce qu'un pays où les nobles font fans difcipline, le roi un zéro, le peuple abruti par l'efclavage? et où l'on n'a d'argent que celui qu'on gagne à vendre fa voix? Je vous ai déjà parlé, je crois, de la vieille barbarie du gouvernement féodal.

Votre article fur la Tofcane: Ils viennent de tomber entre les mains des Allemands, &c., eft bien d'un homme amoureux du bonheur public; et je dirai avec vous, barbarus has fegetes, &c.

Je fuis fâché de ne pouvoir relire tout le livre,

1739.

pour marquer toutes les beautés de détail qui m'ont 1739. frappé, indépendamment de la fage économie et de l'enchaînement de principes qui en fait le mérite.

Il y a une anecdote dont je ne puis encore convenir, c'eft que les nouvelles rentes ne furent pas propofées par M. Colbert. J'ai toujours ouï dire que ce fut lui-même qui les propofa, étant à bout de ses reffources et je ne crois pas que Louis XIV confultât d'autres que lui. (14)

Avant de finir ma lettre, j'ai voulu avoir encore le plaifir de relire le chap. VI et la fin du précédent : Un monarque qui n'a plus à fonger qu'à gouverner, gouverne toujours bien. Cette admirable maxime se trouve à la fuite de chofes très-édifiantes. Mais pour Dieu, que ce monarque fonge donc à gou

verner !

Je ne fais fi on fonge affez à une chose dont j'ai cru m'apercevoir. J'ai manqué fouvent d'ouvriers à la campagne; j'ai vu que les fujets manquaient pour la milice; je me fuis informé en plufieurs endroits s'il en était de même ; j'ai trouvé qu'on s'en plaignait prefque par-tout, et j'ai conclu de là que les moines et les religieufes ne font pas tant d'enfans qu'on le dit, et que la France n'est pas fi peuplée (proportion gardée) que l'Allemagne, la Hollande, la Suiffe, l'Angleterre. Du temps de M. de Vauban nous étions dix-huit millions: combien fommesnous à préfent? C'eft ce que je voudrais bien favoir.

Voilà l'abbé Mouffinot qui va monter en chaise

(14) Elles furent proposées à Colbert par des membres du parlement, et il les adopta par faiblesse, et malgré lui.

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