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ouvrage fut fait par l'abbé de Bourzéis, dont j'ai cru reconnaître le ftyle.

Il y a de plus des contradictions évidentes dans ce livre, lefquelles ne peuvent être attribuées au cardinal de Richelieu, des idées, des projets, des expreffions indignes, ce me femble, d'un ministre. Croira-t-on que le cardinal de Richelieu ait appelé la dame d'honneur de la reine, la Dufargis, en parlant au roi? qu'il ait appelé le duc de Savoie, ce pauvre prince? qu'il ait, dans un tel ouvrage, parlé à un roi de quarante-deux ans, comme on apprend le catéchisme à un enfant ? qu'un miniftre ait nommé les rentes à fept pour cent, les rentes au denier fept?

Tout l'écrit fourmille de ces manques de bienféance, ou de fautes groffières. On trouve, dans un chapitre, que , que le roi n'avait que trente-trois millions de revenu; on trouve tout autre chose dans un autre. Je devais remarquer d'abord qu'il est question, dès le commencement, d'une paix générale qui n'a jamais été faite, et que le cardinal n'avait nulle envie ni nul intérêt de faire. C'eft une preuve affez forte, à mon fens, que tout cela fut écrit par un homme favant et oifif, qui comptait qu'on allait faire la paix. Songeons encore que ce teftament, autant qu'il m'en fouvient, commence par faire ressouvenir le roi que le cardinal, en entrant au confeil, promet à Louis XIII d'abaiffer les grands, les huguenots et la maison d'Autriche je foutiens, moi, qu'un tel projet, en entrant au confeil, eft d'un fanfaron, peu fait pour l'exécuter. Et j'ajoute qu'en 1624, quand Richelieu entra au confeil par la faveur de la reine-mère, il était fort loin encore d'être premier ministre.

1739.

Je me fuis un peu étendu fur cet article: le temps 1739. qui preffe m'empêche de fuivre en détail votre ouvrage d'Ariftide; madame du Châtelet le lit à préfent. Nous vous en parlerons plus au long, fi vous le permettez ; mais tout se réduira à regarder l'auteur comme un excellent ferviteur du roi, et comme l'ami de tous les citoyens.

vous qui

Comment avez-vous eu le courage, êtes d'une auffi ancienne maison que monfieur de Boulainvilliers, de vous déclarer fi généreufement contre lui et contre fes fiefs? J'en reviens toujours là : vous vous êtes dépouillé du préjugé le plus cher aux hommes, en faveur du bien public.

Nous réfiftons à l'envie la plus forte de faire une copie de ce bel ouvrage; nous fommes auffi honnêtes gens que vous, dignes de votre confiance; et nous ne ferons pas transcrire un mot fans votre permiffion. Nous vous demanderions celle d'envoyer l'ouvrage au Prince royal de Pruffe, fi vous étiez difpofé à l'accorder. Faire connaître cet ouvrage au prince, ce ferait lui rendre un très-grand service. Je m'imagine que je contribuerais par là au bonheur de tout un peuple.

On m'annonce une nouvelle qui ne contribuera pas à mon bonheur particulier. On m'écrit que l'abbé Desfontaines a eu la permiffion de défavouer fon défaveu même, qu'il a affuré, dans une de fes feuilles, que ce prétendu désaveu était une pièce fuppofée. Cette nouvelle, qui me vient de la Hollande, m'a l'air d'être très-fauffe; du moins je le fouhaite. (*)

(*) Cette nouvelle était fauffe en effet; fon défaveu existe, et nous l'avons en original.

Comment Desfontaines aurait-il eu l'infolence de

nier un défaveu minuté de votre main, écrit et figné 1739. de la fienne, et dépofé au greffe de la police? comment oferait-il s'avouer, dans fes feuilles, auteur d'un libelle infame? et fi en effet il eft capable d'une pareille turpitude, comment pourrait-il désobéir aux ordres de M. Hérault, et nier dans fes feuilles un défaveu que M. Hérault lui ordonnait d'y inférer?

Si vous êtes encore à Paris, Monfieur, j'ofe vous supplier d'en dire un mot.

Je me fers de l'adreffe que vous m'avez donnée, dans l'incertitude où je fuis de votre départ. Madame du Châtelet, entourée de devoirs, de procès, et de tout ce qui accompagne un établissement, a bien du regret de ne pouvoir vous écrire aujourd'hui et vous marquer elle-même ce qu'elle penfe de l'ouvrage et de l'auteur.

Adieu, Monfieur; allez faire aimer les Français en Portugal, et laiffez-moi l'efpérance de revoir un homme qui fait tant d'honneur à la France. Un anglais fit mettre fur fon tombeau : Ci-git l'ami de Philippe Sidnei; permettez que mon épitaphe foit : Ci-git l'ami du marquis d'Argenfon.

Voilà une charge qu'on n'a point avec de la finance, et que je mérite par le plus refpectueux attachement et la plus haute eftime.

1739.

JE

LETTRE C X.

A M. HELVETI U S.

A Enguien, ce 6 juillet.

Je vois, mon charmant ami, que je vous avais

E

écrit d'affez mauvais vers, et qu'Apollon n'a pas voulu qu'ils vous parvinffent. Ma lettre était adreffée à Charleville, où vous deviez être, et j'avais eu foin d'y mettre une petite apoftille, afin que la lettre vous fût rendue en quelque endroit de votre département que vous fuffiez. Vous n'avez rien perdu; mais moi j'ai perdu l'idée que vous aviez de mon exactitude. Mon amitié n'eft point du tout négligente. Je vous aime trop pour être pareffeux avec vous. J'attends, mon bel Apollon, votre ouvrage, avec autant de vivacité que vous le faites. Je comptais vous envoyer de Bruxelles ma nouvelle édition de Hollande mais je n'en ai pas encore reçu un feul exemplaire de mes libraires. Il n'y en a point à Bruxelles, et j'apprends qu'il y en a à Paris. Les libraires de Hollande, qui font des corfaires mal-adroits, ont fans doute fait beaucoup de fautes dans leur édition, et craignent que je ne la voye affez tôt pour m'en plaindre et pour la décrier. Je ne pourrai en être inftruit que dans quinze jours. Je fuis actuellement avec madame du Châtelet à Enguien, chez M. le duc d'Aremberg, à sept lieues de Bruxelles. Je joue beaucoup au brelan; mais nos chères études n'y perdent rien. Il faut allier le travail et le plaifir. C'est ainsi

que vous en ufez, et c'est un petit mélange que je vous confeille de faire toute votre vie; car, en vérité, vous êtes né pour l'un et pour l'autre.

Je vous avoue, à ma honte, que je n'ai jamais lu l'Utopie de Thomas Morus; cependant je m'avisai de donner une fête, il y a quelques jours, dans Bruxelles, fous le nom de l'envoyé d'Utopie. La fête était pour madame du Châtelet, comme de raifon; mais croiriezvous bien qu'il n'y avait perfonne dans la ville qui sût ce que veut dire utopie. Ce n'eft pas ici le pays des belles-lettres. Les livres de Hollande y font défendus, et je ne peux pas concevoir comment Rousseau a pu choifir un tel afile. Ce doyen des médifans, qui a perdu depuis long-temps l'art de médire, et qui n'en a conservé que la rage, eft ici auffi inconnu que les belles-lettres. Je fuis actuellement dans un château où il n'y a jamais eu de livres que ceux que madame du Châtelet et moi nous avons apportés; mais, en récompense, il y a des jardins plus beaux que ceux de Chantilly, et on y mène cette vie douce et libre qui fait l'agrément de la campagne. Le poffeffeur de ce beau féjour vaut mieux que beaucoup de livres; je crois que nous allons y jouer la comédie; on y lira du moins les rôles des acteurs.

J'ai bien un autre projet en tête ; j'ai fini ce Mahomet dont je vous avais lu l'ébauche. J'aurais grande envie de favoir comment une pièce d'un genre fi nouveau et fi hafardé réuffirait chez nos galans Français; je voudrais faire jouer la pièce, et laiffer ignorer l'auteur. A qui puis-je mieux me confier qu'à vous? N'avez-vous pas en main cet ami de Paris, qui vous doit tout et qui aime tant les vers? Ne pourriez-vous

1739.

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