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copie de tout; et s'il eft imprimable, il paraîtra avec 1739. quelques autres guenilles littéraires.

Vous aimez donc auffi les odes, Monfieur. Eh bien, en voici une qui me paraît convenable à un miniftre de paix tel que vous êtes.

A l'égard de M. de Valori, cet autre ministre fait pour dîner avec le roi de Pruffe, et pour fouper avec le Prince royal, je vous prie de me recommander à lui auprès de cet aimable prince; et moi je me vanterai auprès de fon Alteffe royale de devoir les bontés de M. de Valori à celles dont vous m'honorez. Ainfi toute justice sera accomplie.

Il y a près d'un an que j'ai dit en vers au Prince royal ce que vous me dites en profe, et que je lui ai cité la reine Jacques (regina Jacobus), qui dédiait fes ouvrages à l'enfant Jefus, et qui n'ofait fecourir le Palatin, fon gendre. Mon prince me paraît d'une autre espèce: il ne tremble point à la vue d'une épée, comme Jacques, et il penfe comme il le doit fur la théologie. Il eft capable d'imiter Trajan dans fes conquêtes, comme il l'imite dans fes vertus. Si j'étais plus jeune, je lui confeillerais de fonger à l'Empire, et à le rendre au moins alternatif entre les proteftans et les catholiques. Il fe trouvera, à la mort de fon père, le plus riche monarque de la chrétienté, en argent comptant; mais je fuis trop vieux, ou trop raisonnable, pour lui conseiller de mettre fon argent à autre chofe qu'à rendre fes fujets et lui les plus heureux qu'il pourra, et à faire fleurir les arts. C'eft, ce me femble, fa façon de penser. Il me paraît qu'il n'a point l'ambition d'être le roi le plus puiffant, mais le plus humain et le plus aimé.

Adieu, Monfieur; quand vous voudrez quelques amusemens en profe ou en vers, j'ai un gros portefeuille à votre fervice. Je voudrais vous témoigner autrement ma refpectueufe reconnaiffance, mais parvi, parva damus.

JE

A jamais à vous ex toto corde meo, &c.

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Je pars demain ou après demain pour les Pays-Bas,

et je ne fais quand je reviendrai dans ma charmante folitude. Je pars malade, et ne reviendrai peut-être point: je compte fur votre amitié, quand je ferais encore plus éloigné et plus malade. Je renvoie à M. Mouffinot les livres de la bibliothèque du roi. Je vous prie de vouloir bien présenter mes remercîmens à l'abbé Salier.

Le Démosthènes grec eft venu, et je l'emporte, quoique je ne l'entende guère. J'entends Euclide plus couramment, parce qu'il n'y a guère que des préfens et des participes, et que d'ailleurs le fens de la propofition est toujours un dictionnaire infaillible.

Pour égayer la trifteffe de ces études (fi cependant il y a quelque étude trifte), je vous prie, mon cher ami, de m'envoyer le Janus de M. le Franc: il m'a donné avis qu'il doit arriver par votre canal.

Je vous prie de me conferver dans les bonnes grâces de MM. Defalleurs, Dubos, Mairan, et du

1739.

petit nombre d'êtres penfans qui ne blafphèment 1739. point contre la philofophie, et qui veulent bien penser à moi.

LETTRE CVI.

A M. LE MARQUIS D'ARGENSON.

A Cirey, ce 8 mai, en partant.

LA
A Providence m'a fait refter, Monfieur, un jour
de plus que nous ne penfions, pour me faire recevoir
la plus agréable lettre que j'aye reçue depuis que
madame du Châtelet ne m'écrit plus. Je viens de lui
lire l'extrait que vous voulez bien nous faire d'un
ouvrage dont on doit dire, à plus jufte titre que de
Télémaque, que le bonheur du genre-humain naî-
trait de ce livre, fi un livre pouvait le faire naître.

En mon particulier, jugez où vous pouffez ma vanité je trouve toutes mes idées dans votre ouvrage (*). Ce ne font point ici feulement les rêves d'un homme de bien, comme les chimériques projets du bon abbé de Saint-Pierre qui croit qu'on lui doit des ftatues, parce qu'il a propofé que l'empereur gardât Naples, et qu'on lui ôtât le Mantouan, tandis qu'on lui a laiffé le Mantouan, et qu'on lui a ôté Naples. Ce n'est pas ici un projet de paix perpétuelle qu'Henri IV n'a jamais eu; ce n'eft point un fermon contre Jules-Cefar qui, felon le bon abbé, n'était qu'un fot, parce qu'il n'entendait

(*) Confidérations fur les vrais principes du gouvernement.

pas affez la méthode de perfectionner le fcrutin; ce n'eft pas non plus la colonie de Salente, où M. de 1739. Fénelon veut qu'il n'y ait point de pâtiffiers, et qu'il y ait fept façons de s'habiller: c'eft ici quelque chofe de plus réel, et que l'expérience prouve de la manière la plus éclatante. Car, fi vous en exceptez le pouvoir monarchique, auquel un homme de votre nom et de votre état ne peut souhaiter qu'un pouvoir immense, aux bornes près, dis-je, de ce pouvoir monarchique aimé et refpecté par nous, l'Angleterre n'eft-elle pas un témoignage subsistant de la fagesse de vos idées? Le roi avec fon parlement eft légiflateur, comme il l'eft ici avec fon confeil. Tout le reste de la nation fe gouverne felon des lois municipales, auffi facrées que celles du parlement même. L'amour de la loi est devenu une paffion dans le peuple, parce que chacun eft intereffé à l'obfervation de cette loi. Tous les grands chemins font réparés, les hôpitaux fondés et entretenus, le commerce floriffant, fans qu'il faille un arrêt du confeil. Cette idée eft d'autant plus admirable dans vous, que vous êtes vous-même de ce confeil, et que l'amour du bien public l'emporte dans votre ame fur l'amour de votre autorité.

Madame du Châtelet qui, en vérité, eft la femme en qui j'ai vu l'efprit le plus univerfel et la plus belle ame, eft enchantée de votre plan. Vous devriez nous le faire tenir à Bruxelles. Je vous avertis que nous fommes les plus honnêtes gens du monde, et que nous le renverrons inceffamment à l'adreffe que vous ordonnerez, fans en avoir copié un mot. Je vous étais attaché par les liens d'un dévouement de

trente années, et par ceux de la reconnaissance; 1739. voici l'admiration qui s'y joint.

Je reçois, cet ordinaire, une lettre d'un prince dont vous feriez le premier ministre, si vous étiez né dans fon pays : il a pris tant de pitié des véxations que j'effuie, qu'il a écrit à M. de la Chétardie en ma faveur. Il l'a prié de parler fortement; mais il ne me mande point à qui il le prie de parler. J'ignore donc les détails du bienfait, et je connais feulement qu'il y a des cœurs généreux. Vous êtes du nombre, et in capite libri. Je vous fupplie donc de vouloir bien parler à M. de la Chetardie, et de lui dire ce qui conviendra, car vous le favez mieux que moi.

A l'égard de M. Hérault, c'eft M. de Meynières, fon beau-frère, qui avait depuis long-temps la bonté de le preffer pour moi, et il y était engagé par M. d'Argental, mon ancien ami de collége: car j'ai de nouveaux ennemis et d'anciens amis. Depuis dix jours je n'ai point de leurs nouvelles; mais depuis votre dernière lettre, je n'ai plus befoin d'en recevoir de perfonne.

M. et madame du Châtelet vous font les plus tendres complimens. Je fuis à vous pour jamais, avec la reconnaissance la plus refpectueuse, avec tous les fentimens d'eftime et d'amitié.

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