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1739.

M. de Meynières ne pourrait-il pas faire à M. Hérault ces justes représentations? Qu'il promette une obéiffance entière à fes ordres, mais qu'il obtienne des ordres plus doux ; qu'il ait la bonté de faire confidérer à M. Hérault que pendant dix années l'abbé Desfontaines m'a perfécuté moi et tant de gens de lettres par mille libelles; que j'ai été plus fenfible qu'un autre, parce qu'il a joint la plus noire ingratitude aux plus atroces calomnies envers moi. Il a fait entendre à M. Hérault que j'ai rendu outrage pour outrage, que j'ai fait graver une eftampe, dans laquelle il eft repréfenté à bicêtre ; mais l'eftampe a été deffinée à Vérone, gravée à Paris, et l'inscription eft à peine française : m'en accufer, c'eft une nouvelle calomnie.

Enfin, mon cher ange gardien, je fuis perfuadé qu'une représentation forte de M. de Meynières, jointe à la vivacité de M. d'Argenfon qui ne démord pas, emportera la place. C'est une réparation authentique, non un compromis.

Si vous pouviez faire dire un petit mot à M. Hérault par M. de Maurepas, l'affaire n'en irait pas plus mal. Ah, mon cher et refpectable ami, que de perfécutions, que de temps perdu! Eripe me à dentibus

corum.

Mon autre ange, celui de Cirey vous écrit; ainsi je quitte la plume; je m'en rapporte à tout ce qu'elle vous dit. L'auteur de Mahomet II m'a envoyé fa pièce; elle eft pleine de vers étincelans; le fujet était bien difficile à traiter. Que diriez-vous fi je vous envoyais bientôt Mahomet I? Pareffeux que vous êtes! j'ai plutôt fait une tragédie que vous n'avez critiqué Zulime.

Ah! mettez mon ame en repos, et que tous mes travaux vous foient confacrés.

Faites lire à vos amis l'Effai fur Louis XIV; je voudrais savoir fi on le goûtera, s'il paraîtra vrai et fage.

Adieu, mon cher ange gardien; mille respects à madame d'Argental.

LETTRE XCIV.

A M. HELVETIUS.

1739.

Ce 2 avril.

Mon cher confrère en Apollon, mon maître en tout

le refte, quand viendrez-vous voir la nymphe de Cirey et votre tendre ami? Ne manquez pas, je vous prie, d'apporter votre dernière épître. Madame du Châtelet dit que c'est moi qui l'ai perdue; moi je dis que c'eft elle. Nous cherchons depuis huit jours. Il faut que Bernoulli l'ait emportée pour en faire une équation. Je fuis désespéré, mais vous en avez fans doute une copie. Je fuis très-sûr de ne l'avoir confiée à perfonne. Nous la retrouverons, mais confoleznous. Ce grand garçon d'Arnaud veut vous fuivre dans vos royaumes de Champagne; il veut venir à Cirey. J'en ai demandé la permiffion à madame la Marquife, elle le veut bien; présenté par vous, il ne peut être que bien venu.

Je ferai charmé qu'il s'attache à vous. Je fuis le plus trompé du monde, s'il n'eft né avec du génie

et des mœurs aimables. Vous êtes un enfant bien 1739. charmant de cultiver les lettres à votre âge avec tant d'ardeur, et d'encourager encore les autres. On ne peut trop vous aimer. Amenez donc ce grand garçon. Madame du Châtelet et madame de Champbonin vous font mille complimens.

Adieu, jufqu'au plaifir de vous embraffer.

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PLUS de Langage des bêtes, je vous prie; je viens

de le lire c'eft un ouvrage dont le fond chimérique n'eft pas affez orné par les détails. Il n'y a rien de ce qu'il fallait à un tel ouvrage, ni esprit ni bonne plaifanterie. Si un autre qu'un jéfuite en était l'auteur, on n'en parlerait pas.

Au lieu de cela, Cirey vous demande un Démosthènes grec et latin, un Euclide grec et latin, et le Démofthènes de Toureil.

Je vous prie de me déterrer quelque ouvrage d'un vieil académicien nommé Silhon (*). J'ai envie d'avoir quelque chofe de ce bavard qui a eu part, dit-on, au teftament prétendu du cardinal de Richelieu.

Comment vous portez-vous ? Je travaille toujours, mais je me meurs.

(*) Confeiller d'Etat ordinaire, l'un des premiers académiciens de l'académie française, et auteur d'un Traité de l'immortalité de l'ame.

1739.

A M.

LETTRE XC V I.

DECIDEVILLE.

A Cirey, le 3 avril.

Mon cher ami, je vous remercie d'un des plus

ON

grands plaifirs que j'aye goûtés depuis long-temps. Je viens de lire des morceaux admirables dans une tragédie pleine de génie, et où les reffources font auffi grandes que le fujet était ingrat. Mon cher Pollion, ami des arts, qui vous connaissez fi bien en vers, qui en faites de fi aimables, je vous adreffe mes fincères remercîmens pour M. de la Noue. Si vous trouviez que mes petites idées valuffent la peine de paraître à la queue de fa pièce, je m'en tiendrais honoré. Dites, je vous prie, à l'auteur que je fuis à jamais fon partisan et fon ami. Vous favez, mon cher Cideville, fi mon cœur eft capable de jalousie, fi les arts ne me font pas plus chers que mes vers. Je reffens vivement les injures, mais je fuis encore plus fenfible à tout ce qui eft bon. Les gens de lettres devraient être tous frères; et ils ne font prefque tous que des faux frères. J'espère de la pièce de Linant. Elle n'est pas au point où je la voudrais, mais il y a des beautés. Elle peut être jouée, et il en a befoin. Adieu, mon très cher ami. Madame du Châtelet vous fait mille complimens; vous lui êtes préfent quoiqu'elle ne vous ait jamais vu. Adieu.

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1739.

LETTRE XCVII.

A M. DE LA NOUE,

Auteur de la tragédie de Mahomet II.

3 avril.

VOTRE tragédie, Monfieur, eft arrivée à Cirey,

comme les Koenig, les Bernoulli en partaient. Les grandes vérités nous quittent; mais à leur place les grands fentimens et de beaux vers, qui valent bien des vérités, nous arrivent. Je crois que vous êtes le premier parmi les modernes qui ayez été à la fois acteur et auteur tragique; car Latuillerie, qui donna Hercule et Soliman fous fon nom, n'en était pas l'auteur; et d'ailleurs ces deux pièces font comme si elles n'avaient point été. Connaiffez-vous l'épitaphe de ce Latuillerie?

Ci gît un Fiacre nommé Jean,

Qui croyait avoir fait Hercule et Soliman.

Le double mérite d'être (fi on ofe le dire) peintre et tableau à la fois, n'a été en honneur que chez les anciens Grecs, chez cette nation heureuse de qui nous tenons tous les arts, qui favait récompenfer et honorer tous les talens, que nous n'eftimons et n'imitons pas affez. Votre ouvrage étincelle de vers de génie et de traits d'imagination : c'eft presque un nouveau genre. Il ne faut fans doute rien de trop hardi dans les vers d'une tragédie; mais auffi les

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