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remontrances à une cour des aides de province? 1738. J'aime autant vanter les droits des ducs et pairs à mon bailliage. Je m'imagine qu'on l'a exilé à caufe de la vanité qu'il a eue de faire de la cour des aides de Montauban un parlement de Paris. Cependant s'il a été dévoré du zèle de bon citoyen, en cette qualité je lui fais mon compliment, et je vous prie de lui dire que, comme homme, comme français et comme poëte, je m'intéreffe fort à lui. Il aurait dû favoir plutôt que des perfonnes comme lui et moi devaient être unies contre les Piron; mais fa Didon, toute médiocre qu'elle eft, lui tourna la tête, et lui fit faire une préface impertinente au poffible, qui mérite mieux l'exil que tout difcours à une cour des aides.

Vous avez vu ma nichée de nièces, et vous ne me mandez point ce que Quefnel-Arouet a donné. Il faudrait pourtant que Locke-Voltaire en sût deux mots.

Je vous embraffe tendrement. Comment vont votre eftomac, votre poitrine, vos entrailles? tout cela ne vaut pas le diable chez moi.

P.S. On me mande de Bruxelles que faint Rouffeau, confeffé par un carme, a déclaré n'avoir point de parens, quoiqu'il ait une fœur à Paris, et un coufin cordonnier, rue de la Harpe. Il a fait dire trois meffes pour fa guérifon, et a fait un pélerinage à une Madona; il s'en porte beaucoup mieux. Il a fait une ode fur le miracle de la fainte Vierge en fa faveur.

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J

A M. RA MEA U.

Sur le père Caftel et fon clavecin oculaire.

Mars.

E vous félicite beaucoup, Monfieur, d'avoir fait de nouvelles découvertes dans votre art, après nous av oir fait entendre de nouvelles beautés. Vous joignez aux applaudiffemens du parterre de l'opéra, les fuffrages de l'académie des fciences; mais furtout vous avez joui d'un honneur que jamais, ce me femble, personne n'a eu avant vous. Les autres auteurs font commentés d'ordinaire, des milliers d'années après leur mort, par quelque vilain pédant ennuyeux : vous l'avez été de votre vivant, et on fait que votre commentateur eft quelque chofe de très différent en toute manière de l'espèce de ces meffieurs.

Voilà bien de la gloire; mais le R. P. Caftel à confidéré que vous pourriez en prendre trop de vanité, et il a voulu en bon chrétien vous procurer des humiliations falutaires. Le zèle de votre falut lui

tient fi fort au cœur que, fans trop confidérer l'état de la question, il n'a fongé qu'à vous abaiffer, aimant mieux vous fanctifier que vous instruire.

Le beau mot, fans raison, du P. Canaye, l'a fi fort touché qu'il eft devenu la règle de toutes fes actions et de tous fes livres; et il fait valoir si bien ce grand argument, que je m'étonne comment vous aviez pu l'éluder.

1738.

Vous pouvez difputer contre nous, Monfieur, 1738. qui avons la pauvre habitude de ne reconnaître que des principes évidens, et de nous traîner de conséquence en conféquence.

Mais comment avez-vous pu difputer contre le R. P. Caftel? En vérité, c'eft combattre comme Bellerophon. Songez, Monfieur, à votre téméraire entreprise vous vous êtes borné à calculer les fons, et à nous donner d'excellente mufique pour nos oreilles, tandis que vous avez affaire à un homme qui fait de la mufique pour les yeux. Il peint des menuets et de belles farabandes. Tous les fourds de Paris font invités au concert qu'il leur annonce depuis douze ans; et il n'y a point de teinturier qui ne fe promette un plaifir inexprimable à l'opéra des couleurs que doit représenter le révérend phyficien avec fon clavecin oculaire. Les aveugles même y font invités (3); il les croit d'affez bons juges des couleurs. Il doit le penser, car ils en jugent à peu près comme lui de votre mufique. Il a déjà mis les faibles mortels à portée de fes fublimes connaiffances. Il nous prépare par degrés à l'intelligence de cet art admirable. Avec quelle bonté, avec quelle condefcendance pour le genre-humain, daigne-t-il démontrer dans fes lettres, dont les Journaux de Trévoux font dignement ornés, je dis démontrer par lemmes, théorèmes, fcolies: 1o. que les hommes aiment les plaifirs; 2°. que la peinture eft un plaifir; 3°. que le jaune eft différent du rouge, et cent autres questions épineufes de cette

nature.

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(3) Le père Caftel, dans ses lettres au président de Montesquieu, dit que les aveugles même fauront juger de fon clavecin.

Ne croyez pas, Monfieur, que pour s'être élevé à ces grandes vérités, il ait négligé la mufique ordi- 1738. naire; au contraire, il veut que tout le monde l'apprenne facilement, et il propose, à la fin de fa Mathématique univerfelle, un plan de toutes les parties de la mufique, en cent trente-quatre traités, pour le foulagement de la mémoire; divifion certainement digne de ce livre rare, dans lequel il emploie trois cents foixante pages avant de dire ce que c'eft qu'un angle.

Pour apprendre à connaître votre maître, fachez encore ce que vous avez ignoré jufqu'ici avec le public nonchalant, qu'il a fait un nouveau systême de phyfique, qui affurément ne ressemble à rien, et qui eft unique comme lui. Ce fystême est en deux gros tomes. Je connais un homme intrépide qui a ofé approcher de ces terribles myftères; ce qu'il m'en a fait voir eft incroyable. Il m'a montré (liv. v, chap. 3, 4 et 5, ), que ce font les hommes qui. entretiennent le mouvement dans l'univers, et tout le mécanifme de la nature; et que s'il n'y avait point d'hommes, toute la machine fe déconcerterait. Il m'a fait voir de petits tourbillons, des roues engrainées les unes dans les autres, ce qui fait un effet charmant, et en quoi confifte tout le jeu des refforts du monde. Quelle a été mon admiration quand j'ai vu ( pag. 309, part. II,) ce beau titre : DIEU a créé la nature, et la nature a créé le monde !

Il ne pense jamais comme le vulgaire. Nous avions cru jufqu'ici, fur le rapport de nos fens trompeurs, que le feu tend toujours à s'élever dans l'air; mais il emploie trois chapitres à prouver qu'il tend en bas. Il combat généreusement une des plus belles démonf

1738.

trations de Newton (4). Il avoue qu'en effet il y a quelque vérité dans cette démonftration; mais femblable à un irlandais célèbre dans les écoles, il dit : Hoc fateor, verùm contra fic argumentor. Il est vrai qu'on lui a prouvé que fon raisonnement contre la démonftration de Newton était un fophifme; mais, comme dit M. de Fontenelle, les hommes fe trompent, et les grands-hommes avouent qu'ils fe font trompés. Vous voyez bien, Monfieur, qu'il ne manque rien au révérend père qu'un petit aveu pour être grandhomme. Il porte par-tout la fagacité de fon génie, fans jamais s'éloigner de fa fphère. Il parle de la folie (chap. 7, liv. V,), et il dit que les organes du cerveau d'un fou font une ligne courbe et l'expreffiongéométrique d'une équation. Quelle intelligence! Ne croiraiton pas voir un homme opulent qui calcule fon bien?

En effet, Monfieur, ne reconnaît - on pas à fes idées, à fon ftyle, un homme extrêmement versé dans ces matières? Savez-vous bien que, dans fa Mathématique univerfelle, il dit que ce que l'on appelle le plus grand angle eft réellement le plus petit, et que l'angle aigu au contraire eft le plus grand? c'est-à-dire, il prétend que le contenu eft plus grand que le contenant; chofe merveilleuse comme bien d'autres !

Savez-vous encore qu'en parlant de l'évanouiffement des quantités infiniment petites par la multiplication, il ajoute joliment qu'on ne s'élève fouvent que pour donner du nez en terre?

(4) C'est la propofition dans laquelle Newton démontre, par la méthode des fluxions, que tout corps mû en une courbe quelconque, s'il parcourt des aires égales dans des temps égaux, tend vers un centre, et vice versâ.

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