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Thiriot, même à M. Hérault. S'il y a quelque chofe à corriger pour l'impreffion, je le corrigerai.

La lettre au père Tournemine eft effentielle. Helvétius raisonne en jeune philofophe hardi, qui n'a point tâté du malheur, et moi en homme qui ai tout à craindre. Les efprits forts me protégeront à fouper, mais les dévots me feront brûler.

Mon cher et refpectable ami, faites faire des copies du Mémoire. Je vous en conjure, n'épargnez aucun frais, l'abbé Mouffinot a l'argent tout prêt, mon neveu eft à vos ordres. Trouvez-vous des longueurs? élaguez, disposez; mais présenter le Mémoire eft une chofe indifpenfable.

Que j'ai d'envie de me mettre tout de bon à ma tragédie, et de noyer dans les larmes du parterre le fouvenir des crimes de Desfontaines! Faites un peu fentir à monfieur l'avocat général l'allégorie de Pluton et du juge Sizame, et du procureur général des enfers.

Adieu; je baife vos deux ailes,
Et me mets à l'ombre d'icelles.

LETTRE LX X XI V.

A M. DE CIDE VILL E.

1739.

MON

25 février.

ON cher ami, eh quoi, malgré votre sagesse, vous tâtez auffi de l'amertume de cette vie! Ne pourrai-je verser une goutte de miel dans ce calice? Nous fommes bien éloignés, mais l'amitié rapproche tout.

M. de Lezeau me doit environ mille écus, accommo1739. dez-vous-en fans façon; je vous ferai le transport; envoyez-moi le modèle. Si j'avais plus, je vous offrirais plus.

Mérope eft trop heureuse. Puiffe-t-elle vous amufer! J'aime mieux qu'un ami en ait les prémices, que de les donner au parterre.

de

Je fuis accablé de maladies, de calomnies, chagrins; mais enfin je vis dans le fein de l'amitié, loin des hommes cruels, envieux et trompeurs. Cideville, mon cher Cideville m'aime toujours; je fuis confolé.

Pardon de vous dire fi peu de chofes; mon cœur eft plein, et je voudrais le répandre avec vous; je voudrais paffer un jour entier à vous écrire, mais les affaires, les travaux m'emportent; je n'ai pas un moment; et l'homme du monde qui vous aime le mieux eft celui qui vous écrit le moins. L'adorable Emilie vous fait mille complimens.

LETTRE L X X X V.

A M. L'ABBÉ MOUSSINOT.

Cirey, février.

M.
de Maurepas m'écrit, M. d'Argenson m'écrit,
M. l'avocat général, fils de M. d'Agueffeau, m'écrit
et s'intéreffe pour moi auprès de fon père; ce père,
monfieur le chancelier, a déjà commencé d'agir. Ils
me protégent tous ouvertement; ils prétendent qu'il
faut affigner Guyot Desfontaines au tribunal de la
commiffion de M. Hérault. J'ai répondu qu'en mon

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particulier je ne fouhaitais qu'un désaveu, mais en même temps qu'il fallait que fon défaveu fût auffi 1739. authentique que fes calomnies; que je n'empêchais pas qu'une requête, fignée de plufieurs gens de lettres, fût préfentée juridiquement; que, fur cette requête, M. Hérault déploierait fa juftice, foit comme lieutenant général de police, foit comme chef de la commiffion de l'arfenal.

Le tribunal de M. Hérault m'eft plus avantageux que celui du châtelet: il eft plus expéditif; il n'y a point d'appel; il n'y aura point de factums; je n'y aurai point à craindre de dénonciation étrangère au fujet; il n'y a aucune preuve contre moi, et les preuves fourmillent contre Desfontaines, appuyées de l'horreur publique.

Raffurez, je vous prie, M. d'Argental fur cette récrimination dont il a peur et que je ne crains pas; repréfentez-lui auffi bien fortement qu'on ne peut ni qu'on ne doit agir par lettre de cachet, voie toujours infiniment odieuse, et que moi-même je déteste. Je fortirai certainement victorieux de cet odieux combat; mais, pour cela, j'ai befoin de votre zèle et de celui de tous mes amis.

1739.

LETTRE LXXXV I.

A M.

HELVETI U S.

MON

A Cirey, 25 février.

ON cher ami, l'ami des Mufes et de la vérité, votre épître eft pleine d'une hardieffe de raifon bien au-deffus de votre âge, et plus encore de nos lâches et timides écrivains qui riment pour leurs libraires, qui fe refferrent fous le compas d'un cenfeur royal envieux ou plus timide qu'eux. Miférables oifeaux à qui on rogne les ailes, qui veulent s'élever, et qui retombent en fe caffant les jambes! Vous avez un génie mâle, et votre ouvrage étincelle d'imagination. J'aime mieux quelques-unes de vos fublimes fautes que les médiocres beautés dont on nous veut affadir. Si vous me permettez de vous dire en général ce que je pense pour les progrès qu'un fi bel art peut faire entre vos mains, je vous dirai: Craignez, en atteignant le grand, de fauter au gigantefque; n'offrez que des images vraies, et fervez-vous toujours du mot propre. Voulez-vous une petite règle infaillible pour les vers, la voici. Quand une pensée eft jufte et noble, il n'y a encore rien de fait ; il faut voir fi la manière dont vous l'exprimez en vers ferait belle en profe; et fi votre vers, dépouillé de la rime et de la céfure, vous paraît alors chargé d'un mot fuperflu; s'il y a dans la conftruction le moindre défaut; fi une conjonction eft oubliée; enfin, fi le mot le plus propre

n'eft pas employé, ou s'il n'eft pas à fa place, concluez alors que l'or de cette pensée n'est pas bien enchâffé. 1739. Soyez sûr que des vers qui auront l'un de ces défauts ne fe retiendront jamais par cœur, ne fe feront point relire; et il n'y a de bons vers que ceux qu'on relit et qu'on retient malgré foi. Il y en a beaucoup de cette espèce dans votre épître, tels que perfonne n'en peut faire à votre âge, et tels qu'on en fefait il y a cinquante ans. Ne craignez donc point d'honorer le Parnaffe de vos talens; ils vous honoreront fans doute, parce que vous ne négligerez jamais vos devoirs ; et puis voilà de plaifans devoirs! Les fonctions de votre état ne font-elles pas quelque chofe de bien difficile pour une ame comme la vôtre ? Cette befogne fe fait comme on règle la dépenfe de fa maison et le livre de fon maître d'hôtel. Quoi, pour être fermier général, on n'aurait pas la liberté de penser ! Eh, morbleu, Atticus était fermier général, les chevaliers romains étaient fermiers généraux, et penfaient en romains. Continuez donc, Atticus.

Je vous remercie tendrement de ce que vous avez fait pour d'Arnaud. J'ofe vous recommander ce jeune homme comme mon fils ; il a du mérite, il eft pauvre et vertueux, il fent tout ce que vous valez, il vous fera attaché toute fa vie. Le plus beau partage de l'humanité, c'est de pouvoir faire du bien; c'est ce que vous favez et ce que vous pratiquez mieux que moi. Madame du Châtelet vous remerciera des éloges qu'elle mérite, et moi je pafferai ma vie à me rendre moins indigne de ceux que vous m'adressez. Pardon de vous écrire en vile profe, mais je n'ai pas un inftant à moi. Les jours font trop courts. Adieu;

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