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LE hafard m'a fait tomber entre les mains un des

fcandales ridicules de ce fiècle : c'eft le Mémoire de Guyot Desfontaines. Je l'ai brûlé, en attendant mieux. Ce ferait bien la chofe la plus plaifante, fi ce n'était la plus révoltante, qu'un Guyot Desfontaines se plaigne qu'on lui a dit des injures.

Quis tulerit Gracchos de feditione querentes?

J'admire la modeftie de ce bon homme : il fe compare à Defpréaux, parce qu'il a fait un livre en vers et les Seconds voyages de Gulliver, et l'Hiftoire de Pologne, et des obfervations fur les écrits modernes ; enfin, parce qu'il a écrit autant que l'abbé Bordelin. Il fe dit homme de qualité, parce qu'il a un frère auditeur des comptes à Rouen. Il s'intitule homme de bonnes mœurs, parce qu'il n'a été, dit-il, que peu de jours au châtelet et à bicêtre. Il dit qu'il va toujours avec un laquais, mais il n'articule point fi ce laquais hardi eft devant ou derrière, et ce n'eft pas le cas de prétendre qu'il n'importe guère.

Enfin, il pouffe l'effronterie jufqu'à dire qu'il a des amis : c'eft attaquer cruellement l'efpèce humaine 1739. à laquelle il a toujours joué de fi vilains tours. Il fe défend d'avoir jamais reçu de l'argent pour dire du bien ou du mal; et moi je fais de science certaine qu'il a reçu une tabatière de trois louis du fieur Lavau, pour louer un petit poëme peu louable que ce Lavau avait malheureusement mis en lumière; et ce Lavau me l'a dit en présence de quatre perfonnes. Qui ne fait d'ailleurs que dans fon bureau de médifance on vendait l'éloge et la fatire à tant la phrafe. Enfin, Desfontaines, pour avoir le plaifir de dire des chofes uniques, loue l'abbé Desfontaines et la traduction de Virgile; fur quoi il faudrait le renvoyer à cette petite épigramme qui a couru (et qui eft, dit-on, d'un homme très-célèbre), d'un aigle qui s'eft amufé à donner des coups de bec à un hibou:

Pour Corydon et pour Virgile

Il fit des efforts affidus;
Je ne fais s'il eft fort habile:

Il les a tous deux corrompus.

Il faudrait encore qu'il fe fouvînt de cette infcription pour mettre au bas de fon effigie; elle est de Piron, qui réuffit mieux en infcriptions qu'en tragédies.

Il fut auteur, et fodomite, et prêtre,
De ridicule et d'opprobre chargé.
Au châtelet, au Parnasse, à bicêtre
Bien feffé fut, et jamais corrigé.

Il prétend qu'il fe raccommodera avec le chancelier: 1739. cela fera long. Mais comment fe raccommodera-t-il avec le public dont il eft le mépris et l'exécration? Il doit bien fervir d'exemple aux petits efprits qui ont un vilain cœur. Adieu.

MALICOURT.

LETTRE LX XXII.

A M. HELVETIUS.

Ce 19 février.

MON
Mon cher ami, fi vous faites des lettres métaphy-

ON

fiques, vous faites auffi de belles actions de morale. Madame du Châtelet vous regarde comme quelqu'un qui fera bien de l'honneur à l'humanité, fi vous allez de ce train-là. Je fuis pénétré de reconnaissance et enchanté de vous. Il est bien trifte que les miférables libelles viennent troubler le repos de ma vie et le cours de mes études. Je fuis au défefpoir, mais c'eft de perdre trois ou quatre jours de ma vie; je les aurais confacrés à apprendre et peut-être à faire des

chofes utiles.

L'auteur du Préfervatif (*), piqué dès long-temps contre Desfontaines, a fait imprimer plufieurs choses que j'ai écrites il y a plus d'un an à diverses personnes, encore une fois, j'en ai la preuve démonstrative; et

(*) Le chevalier de Mouhy l'avait publié sous son nom.

fur

fur cela ce monftre vomit ce que la calomnie a de plus noir;

Et là-deffus on voit Oronte qui murmure,

Qui tâche fourdement d'appuyer cette injure,
Lui qui d'un honnête homme ofe chercher le rang;
Tête-bleu, ce me font de mortelles bleffures
De voir qu'avec le vice on garde des mesures.

Mais je ne veux pas me fâcher contre les hommes; et tant qu'il y aura des cœurs comme le vôtre, comme celui de M. d'Argental, de madame du Châtelet, j'imiterai le bon DIE U qui allait pardonner à Sodôme en faveur de quelques juftes; je fuis presque tenté de pardonner à un fodomite en votre faveur. A propos de cœurs juftes et tendres, je me flatte que mon ancien ami Thiriot eft du nombre; il a un peu une ame de cire, mais le cachet de l'amitié y eft fi bien gravé, que je ne crains rien des autres impreffions, et d'ailleurs vous le remouleriez.

Adieu; je vous embraffe tendrement, et je vous quitte pour travailler.

Non, je ne vous quitte pas, madame du Châtelet reçoit votre charmante lettre. Pour réponse, je vous envoie le Mémoire corrigé; il eft indifpenfablement néceffaire; la calomnie laiffe toujours des cicatrices quand on n'écrafe pas le fcorpion fur la plaie. Laiffezmoi la lettre au père de Tournemine. Il la faut plus courte, mais il faut qu'elle paraisse; vous ne favez pas l'état où je fuis. Il n'eft pas queftion ici d'une intrépidité anglaife, je fuis français et français perfécuté. Je veux vivre et mourir dans ma patrie avec mes amis, et je Correfp. générale. Tome II. N

1739.

1739.

jetterai plutôt dans le feu les Lettres philofophiques que de faire encore un voyage à Amfterdam, au mois de janvier, avec un flux de fang, dans l'incertitude de retourner auprès de mes amis. Il faut, une bonne fois pour toutes, me procurer du repos, et mes amis devraient me forcer à tenir cette conduite, fi je m'en écartais; primùm vivere.

Comptez, belle ame, efprit charmant, comptez que c'eft en partie pour vivre avec vous que je facrifie à la bienféance. Je vous embraffe avec transport, et fuis à vous pour jamais. Envoyez fur le champ, je vous en prie, mémoire et lettre à M. d'Argental; ranimez le tiède Thiriot du beau feu que vous avez; qu'il foit ferme, ardent, imperturbable dans l'amitié, et qu'il ne se mêle jamais de faire le politique, et de négocier quand il faut combattre. Adieu, encore une fois.

LETTRE LX XXIII.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

CHER

Ce 20 février.

HER ange, voici une troisième fournée : j'ai prefque prévenu ou fuivi tous vos avis; je vous demande en grâce de fouffrir le Mémoire à peu-près tel qu'il eft; je n'ai plus de temps; je suis au désespoir de le confumer à ces horreurs nécessaires. Au nom de Dieu, préfentez-le bien tranfcrit à monfieur l'avocat général; je vais en envoyer un double à M. de Fresne, un à M. d'Argenfon, un à M. de Maurepas, un à

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