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1739.

LETTRE

LX XI I.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

MON

25 janvier.

ON cher ami, je travaille le jour à Zulime, et le foir je revois mon procès avec l'honnête homme Desfontaines.

Vous favez de quoi il eft queftion à présent, vous avez vu ma lettre à M. Hérault. Il n'y a plus qu'un mot qui ferve. M. de Meynières peut-il vous dire tout net ce que j'ai à espérer de M. Hérault? Un outrage pareil, toléré par la magiftrature, est un affront éternel aux belles-lettres; une réparation convenable ferait honneur au ministère.

Suivant vos fages avis, je réforme tout le Mémoire qui eft d'une néceffité indispensable. Point de numéro, de peur de reffembler au Préfervatif; plus de modération, encore plus d'ordre et de méthode : c'est ce qu'il faut tâcher de faire. Puiffé-je dire au public: Et mea facundia, fi qua eft,

Quæ nunc pro Domino, pro vobis

Sæpe locuta eft.

J'y ajoute un extrait de la lettre d'un prince destiné à gouverner une grande monarchie. Si cela pouvait faire quelque effet, à la bonne heure, finon brûlezla. Mais, après tout, point d'entreprise fans faveur, point de fuccès fans protection, et je crois qu'il faut avoir raifon de ce fcélérat. Je demande que M. Hérault

faffe une petite réponse, ou la fasse faire en marge de mes questions.

J'imagine qu'il ferait bon que madame de Bernières m'écrivît un mot qui atteflât en général l'horreur des calomnies du libelle. Je vous fupplie d'en exiger autant de Thiriot. Sa conduite eft infupportable; il négocie avec Cirey ; il s'avife de faire le politique. Il doit favoir qu'en pareil cas la politique eft un crime. Il a paffé près d'un mois fans m'écrire; enfin, il a fait soupçonner qu'il me trahissait. S'il veut réparer tout cela par un écrit plein de tendreffe et de force dans le Pour et Contre, à la bonne heure; mais qu'il ne s'avife pas de parler du Préfervatif; on ne lui demande pas fon avis; et s'il parle de moi, il faut qu'ilen parle avec reconnaissance, attachement, eftime, ou qu'il se taise, et furtout qu'il ne commette point madame du Châtelet. Qu'il imprime ou non cette lettre dans le Pour et Contre, il eft effentiel qu'il m'envoye un mot conçu à peu-près en ces termes :,, Le fieur T., ayant lu un libelle intitulé la Voltairomanie, dans lequel on avance qu'il défavoue M. de V., ,, et dans lequel on trouve un tiffu de calomnies ,, atroces, eft obligé de déclarer fur fon honneur que ,, tout ce qui y eft avancé sur le compte de M. de V. ,, et fur le fien eft la plus puniffable impofture, qu'il ,, a été témoin oculaire de tout le contraire pendant ,, vingt-cinq ans, et qu'il rend ce témoignage à ,, l'estime, à l'amitié et à la reconnaissance qu'il doit ,, à . . . . fait à . . Thiriot.

S'il refuse cela, indigne de vivre; s'il le fait, je pardonne. Je vous prie de recommander à mon neveu de faire un bon procès verbal, fi faire fe peut. Cela

1739.

1739.

peut fervir et ne peut me nuire; cela tient le crime en respect, prévient la ripofte, finit tout.

Ah, ma tragédie, ma tragédie, quand te commencerai-je !.

Pardon de tant de misères, mais il y va du bonheur de ma vie et d'une vie qui vous eft dévouée. Mon ange, eripe me à fece ; je n'ai recours qu'à vous.

LETTRE LXXII I.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

JE

27 janvier.

E vous envoie, mon cher ange gardien qui liberas nos à malo, la correction pour l'épître fur l'Envie. Je vous facrifie le plus plaifant de tous mes vers:

Tout fuit jufqu'aux enfans, et l'on fait trop pourquoi.

Je ne fuis pas né fort plaisant, et ce vers me fefait rire quelquefois; mais qu'il périffe, puifque vous ne croyez pas que je puisse rendre, comme dit Rabelais, feves pour pois et pain blanc pour fouace.

L'endroit du charlatan est un peu lourd chez notre cher d'Olivet, et fon petit Scazon eft horridus. Figurezvous ce que c'eft qu'une indigeftion de Cerbère, et c'est du résultat de cette indigeftion qu'on a formé le cœur de Desfontaines.

On me mande que ce monftre eft par-tout en exécration, et cependant, quoi qu'en dife d'Olivet, le traître a des amis. M. de Lezonet m'écrit qu'il veut faire un accommodement entre Desfontaines et moi,

et les jéfuites auffi. Hélas! qu'ai-je fait à M. de Lezonet pour me propofer quelque chofe de fi infame? 1739.

Il a lu, je le fais, fa Voltairomanie chez M. de Locmaria, en préfence de MM. de la Chevaleraye, Algarotti, l'abbé Prévost. J'ai écrit à M. de Locmaria, et je n'ai point eu de réponse. Il y a encore un avocat du confeil qui eft fon confident, mais j'ai oublié fon nom.

Ce que je n'oublie pas, c'eft vos bontés. Cet ardent chevalier de Mouhi a vîte imprimé mon Mémoire, quitte à le fupprimer; il faudra que j'en paye les frais. Je me confole fi on me fait quelque réparation.

Je voulais faire imprimer ce Mémoire avec les épîtres, au commencement de l'hiftoire du fiècle de Louis XIV, &c. Il y a près d'un mois que Thiriot ou l'abbé d'Olivet avaient dû vous remettre ce commencement d'hiftoire, mais Thiriot ne fe preffe pas de remplir fes devoirs. Je fuis, je vous l'avoue, trèsaffligé de fa conduite. Il devait affurément prendre l'occafion du libelle de Desfontaines pour réparer, par les démonstrations d'amitié les plus courageufes, tous les tours qu'il m'a joués, et que je lui ai pardonnés avec une bonté que vous pouvez appeler faiblesse. Non-feulement il avait mangé tout l'argent des foufcriptions qu'il avait en dépôt, non-feulement j'avais payé du mien et remboursé tous les foufcripteurs petit à petit; mais il me laiffait tranquillement accufer d'infidélité fur cet article, et il jouissait du fruit de fa lâcheté et de mon filence. Le comble à cette infame conduite eft d'avoir ménagé Desfontaines, dont il avait été outragé et qu'il craignait, afin de me laisser accabler, moi qu'il ne craignait pas. Ce que j'ai éprouvé

J

des hommes me met au défefpoir, et j'en ai pleuré 1739. vingt fois, même en présence de celle qui doit arrêter

toutes mes larmes. Mais enfin, mon respectable ami, vous qui me raccommodez avec la nature humaine, je cède au confeil fage que vous me donnez fur Thiriot. Il faut ne me plaindre qu'à vous, lui retirer infenfiblement ma confiance, et ne jainais rompre avec éclat.

Mais, mon cher ami, qu'y a-t-il donc encore dans ce morceau de Rome, et dans le commencement de cet Effai qui ne foit pas plus mefuré mille fois que Fra-Paolo, que le Traité du droit eccléfiaftique, que Mézerai, que tant d'autres écrits? S'il y a encore quelques amputations à faire, vous n'avez qu'à dire: ce morceau-là a déjà été bien tailladé, et le sera encere quand vous voudrez.

Je ne perds pas Zulime de vue, et mon refpectable et judicieux confeil aura bientôt les écrits de fon client.

Emilie vous regarde toujours comme notre fauveur.

LETTRE LXXI V.

A M.

MON

HELVETIU S.

A Cirey, ce 28 janvier.

ON cher ami, tandis que vous faites tant d'honneur aux belles-lettres, il faut auffi que vous leur faffiez du bien; permettez-moi de recommander à vos bontés un jeune homme d'une bonne famille, d'une grande efpérance, très-bien né, capable

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