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déposé chez un notaire : ainfi, nul befoin d'éclair1739. ciffement; mais j'avais besoin moi d'un témoignage de votre amitié, de votre diligence, d'un zèle honorable pour tous deux, égal à celui que madame de Bernières a fait paraître. Je l'attendais non-feulement de votre tendreffe, mais de votre honneur outragé par un malheureux qui vous a toujours traité avec le dernier mépris, et dont les outrages font imprimés. Je n'ai jamais soupçonné que vous balançaffiez entre l'ami tendre et folide de vingt-cinq années, et le fcélérat dont vous ne m'avez jamais parlé qu'avec horreur.

Encore une fois, il ne s'agit que de vous et non de moi. Ecrivez à madame du Châtelet et au Prince en termes qui leur perfuadent votre amitié, autant que j'en fuis perfuadé; c'est tout ce que je veux. J'ai fait affez de bien à des ingrats; j'ai fait d'affez bons ouvrages, et je les retouche avec affez d'affiduité pour ne rien craindre de la postérité, ni pour mon cœur ni pour mon efprit, qu'on n'appellera ni l'un ni l'autre pareffeux. J'ai affez d'amis et de fortune pour vivre heureux dans le temps préfent. J'ai affez d'orgueil pour méprifer d'un mépris fouverain les difcours de ceux qui ne me connaiffent pas. En un mot, loin d'avoir eu un inftant de chagrin de l'abfurde et fot libelle de Desfontaines, j'en ai été peut-être trop aise. Votre feul article m'a désespéré. Entendre dire par tout Paris que vous démentez votre ami qui a preuve en main, en faveur de votre ennemi; entendre dire que vous ménagez Desfontaines, c'était un coup de poignard pour un cœur auffi fenfible que le mien. Je n'ai donc plus qu'à remercier

mon

mon bon ange de deux chofes, de la fermeté intrépide de votre amitié qui ne doit pas être 1739. négligente, et de l'occafion admirable qu'on me donne de confondre mes ennemis.

Ecrivez, vous dis-je, à madame du Châtelet.» Point de politique, point de ces lâches misères ; allez vous faire.... avec vos gens de cour qui voient votre lettre. Il eft queftion de votre cœur ; il eft queftion de vous attacher pour le refte de votre vie l'ame la plus noble qui existe au monde, et que vous adoreriez fi vous faviez de quoi elle eft capable.

Madame de Champbonin vous a écrit une lettre trempée dans l'amertume de fes larmes. Elle m'aime fi vivement qu'il faut que vous lui pardonniez. Mais, croyez-moi, parlez à madame du Châtelet du ton qui convient à fa fenfibilité. Je vous embraffe, j'oublie tout, hors votre amitié.

Songez qu'en de telles circonftances ne pas écrire à fon ami fur le champ, c'est le trahir. Négligence eft crime.

LETTRE LXVIII.

A M. THIRIOT.

Le 19 janvier.

Je fuis malade, je ne peux vous écrire moi-même.

E

Je n'avais
pas le temps hier de vous dire tout, mais
je ne dois vous laiffer rien ignorer, et un ami a bien
des droits. Croyez-moi, mon cher Thiriot, croyez-
moi, je vous aime et je ne vous trompe point. Madame
Correfp. générale,
Tome II. L

du Châtelet ne peut qu'être irritée tant que vous ne 1739. réparerez point, par des chofes qui partent du cœur,

la politique, l'inutile, l'outrageante lettre que je vous ai renvoyée par fon ordre. Tout ce que vous m'avez écrit du 14 pour mal justifier cette lettre oflenfible et ce long et injurieux filence qui l'avait fuivie, l'a indignée bien davantage; on n'écrit qu'à fes ennemis de ces lettres oftenfibles où l'on craint de s'expliquer, où l'on parle à demi, où l'on élude, où l'on eft froid,

Examinez vous-même la chofe, je vous en conjure, et voyez combien il eft indécent que vous paraiffiez faire le politique avec madame du Châtelet, quand elle vous écrit fimplement et avec amitié. Vous me mettez en preffe ; vous me réduifez à la néceffité de combattre ici pour vous contre fes reffentimens. Elle croit que vous me trahissez; il faut que je lui jure le contraire. Elle fe fâche, fes amis prennent fon parti; tout cela me rend malade, et un mot de vous eût prévenu tous ces combats.

Eft-il poffible, encore une fois, que quand nous avons ici dix lettres anciennes de vous qui expliquent, qui détaillent tout le fait, toute l'horreur connue de l'abbé Desfontaines, vous affectiez aujourd'hui du myftère? Où diable avez-vous pris d'écrire une lettre oftenfible à madame du Châtelet? une lettre publique? la compromettre à ce point! montrer, ditesvous, votre lettre à deux cents perfonnes! à des gens de cour! vous faire dire qu'il y a de la dignité dans cette lettre! Vous, de la dignité! à madame du Châtelet! Sentez-vous bien la force de ce terme? Je vous parle vrai, parce que je fuis votre ami. Votre lettre oftenfible dont on ne voulait point, votre long

filence, vos excuses font autant d'outrages à la bienféance, à l'amitié et à madame du Châtelet. Eft-il 1739. poffible que, dans cette occafion, vous ayez pu confulter autre chofe que votre cœur? Voyez que de mal-entendus votre filence a caufés! Enfin tout ceci était bien fimple. Vous avez été cité avec raison, et comme j'en ai droit, dans une lettre publique; vous vous trouvez entre votre ami et un monftre qui vous a mordu. Voudrez-vous fuir à la fois votre ami et ce monftre, de peur d'être mordu encore? Je fuis un homme de lettres, et vous un amateur ; j'ai de la réputation par mes travaux, et vous par votre goût; l'abbé Desfontaines nous a fouvent attaqués l'un et l'autre il eft clair qu'il y aurait la plus extrême lâcheté à l'un de nous deux d'abandonner l'autre, de tergiverfer, de craindre un fcélérat qui offenfe un ami: il eft clair qu'un filence de feize jours, en pareille occafion, eft un outrage plus grand, de la part d'un ami, qu'un libelle n'eft offenfant de la part d'un coquin méprifé.

Voilà le point effentiel, voilà toute l'affaire, voilà ce qui a penfé faire prendre des réfolutions extrêmes; et enfin, quand au bout de feize jours vous m'écrivez, que voulez-vous qu'on penfe, finon que vous avez attendu que l'exécration publique contre Desfontaines vous forçât enfin de revenir à l'amitié. C'est ce que je ne peux ôter de la tête de tout ce qui eft ici, et il y a beaucoup de monde; mais c'eft ce que je ne penfe point. Je vous l'ai dit, je vous l'ai redit, je vous aime et je compte fur vous; et c'est parce que je vous aime tendrement que je vous gronde très-févèrement, et que je vous prie d'écrire comme par

le

1739.

paffé, rendre compte des petites commiffions, parler avec naïveté à madame du Châtelet qui peut vous fervir infiniment auprès du Prince. L'affaire des foufcriptions, fi elle dure encore, eft effentielle; et votre honneur, votre devoir, je dis le devoir le plus facré, eft de les payer de mon argent, s'il s'en trouve (11). Cela a paru fi effentiel à M. et à madame du Châtelet, que vous les outrageriez en fefant fur cela la moindre représentation. Il ne faut rougir ni de faire fon devoir, ni de promettre de le faire, furtout quand ce devoir eft fi aifé.

A l'égard de la lettre que M. du Châtelet exige de vous, il fera très-piqué fi vous ne l'écrivez pas : il la faut écrire; pour moi, je la trouve inutile. Je vous la renverrai, et n'en ferai point usage; mais il faut contenter M. et madame du Châtelet.

Tout le monde eft indigné ici de l'exemple de dom Prévost, , que vous citez toujours. Quand quelque dom Prévost aura refufé dix mille livres de penfion d'un prince fouverain, quand il aura donné quelquefois et partagé fouvent le profit de fes ouvrages, quand il aura donné des penfions à plufieurs gens de lettres, quand il aura fait des ingrats et la Henriade; alors vous pourrez me citer dom Prévost. N'en parlons plus. Une lettre d'attachement à madame du Châtelet, de la vigueur et des lettres fréquentes à votre intime ami Voltaire, et tout eft effacé, tout eft oublié. Mais plus de politique; elle n'eft faite ni pour vous ni pour moi, et je ne connais et n'aime que la franchise. Voilà tout ce que je veux, et comptez que mon cœur

(11) On a vu ci-devant que l'argent de ces foufcriptions avait été employé par Thiriot.

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