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à ces meffieurs. Quand vous m'enverrez les cinquante fuivans, mon cher ami, mettez-les à part bien 1739. cachetés, à l'abri des culbutes.

Je vous recommande toujours les Lezeau, les d'Auneuil, Villars, d'Estaing, Clément, Arouet, et autres; il eft bon de les accoutúmer à un payement exact, et de ne pas leur laiffer contracter de mauvaises habitudes. Je vous demande pardon, mon cher ami; mais ma délégation eft un droit, et ce ferait l'infirmer que de la foumettre au prince de Guife. Point de politesses dangereuses, même envers les alteffes.

Au chevalier de Mouhi, encore cent francs et mille excuses; encore deux cents et deux mille excuses à Prault fils. Un louis d'or à d'Arnaud, fur le champ.

J'ai pardonné à Demoulin, je pardonne encore à Jore; le premier eft repentant, le fecond a donné fon défiftement à M. Herault; il a avoué ce que j'avais deviné. Il eft pauvre, je ferai quelque chofe pour lui. Je fuis un peu malade, mais je vous aime comme fi je me portais bien.

1739.

LETTRE LVI I.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

Cirey, 7 janvier.

Mon cher ange gardien, faites tout ce qu'il vous

plaira de l'Envieux (10); mais tâchez que Prault préfente à l'examen avec adreffe l'épître fur l'homme. Pourquoi ne fera-t-il pas permis à un français de dire d'une manière gaie, et fous l'enveloppe d'une fable, ce qu'un anglais a dit triftement et sèchement dans des vers métaphyfiques traduits lâchement?

Je ne fuis point fâché que feu Rouffeau foit à Paris, mais il est un peu étrange qu'il ofe y être après ce qu'il a fait contre le parlement. Il n'y a qu'heur et malheur en ce monde.

Enfin vous l'avez emporté; je fais une tragédie (*), et il n'y a que vous qui le fachiez. C'est un père trahi par une fille dont il eft l'idole, et qui en est idolâtrée. C'est une fille malheureuse, facrifiant tout à un amour effréné, fauvant la vie à fon amant, quittant tout pour lui, et abandonnée par lui; c'est un combat perpétuel de paffions. C'eft un père maffacré par l'amant qui abandonne cette fille infortunée; ce font des crimes prefque involontaires, et des paffions infurmontables. Figurez-vous un peu

(10) Comédie en trois actes, en vers, de M. de Voltaire. Il en avait donné le manufcrit à l'abbé de Lamare, l'un des jeunes gens de lettres qu'il encourageait. On a recouvré cette pièce, et une autre intitulée les Originaux, mais trop tard pour avoir pu les inférer dans cette édition.

(*) Zulime.

de Chimène, de Roxane et d'Ariane; ces trois fituations s'y trouvent; la même perfonne les éprouve. Il y a 1739. de l'action théâtrale, et nul embarras. Je ne réponds pas du refte, mais j'ai une envie démefurée de vous faire pleurer. Je fais les vers. Adieu pour trois mois, Euclide; adieu, physique. Revenez, fentimens tendres, vers harmonieux; revenez faire ma cour à M. et madame d'Argental, à qui je fuis dévoué pour toute ma vie avec la tendreffe la plus refpectueuse.

Madame du Châtelet reçoit dans le moment une nouvelle lettre de vous. Je fuis touché aux larmes de vos bontés. Vous êtes le plus refpectable, le plus charmant aini que j'aye jamais connu.

Soit, plus d'Envieux. Pour la tragédie, je veux la travailler fi bien que vous ne l'aurez de long-temps; mais je vous en tracerai, fi vous l'ordonnez, un petit plan. On dit qu'on va donner Médus (*); je fouhaite qu'il ait du fuccès, et que ma pièce en ait auffi.

Il eft certain que c'eft une chose bien cruelle qu'après vingt-cinq ans d'amitié, Thiriot défavoue ce qu'il m'a dit cent fois en présence de témoins, et, en dernier lieu, en présence de madame du Châtelet. Je vous jure que je n'ai jamais fu que de lui que l'abbé Desfontaines, pour prix de mes services, avait fait un libelle ironique et fanglant, intitulé l'Apologie de Voltaire. Tout ce que je crains, c'est que Thiriot n'ait envoyé le nouveau libelle au Prince royal pour fe donner de la confidération. Si cela eft vrai (comme on me le mande), il hafarde plus qu'il ne pense. Madame du Châtelet peut vous dire que l'amitié dont (*) Tragédie de Defchamps.

ce prince honore Cirey, eft quelque chofe de fi vif 1739. et de fi fingulier, que Thiriot ferait à jamais perdu dans fon efprit. Au refte, je crois encore que l'amitié et l'humanité l'ont empêché de faire à fon Altesse royale un préfent fi infame.

En fouhaitant la bonne année à M. de Maurepas, je lui demande en paffant juftice contre l'abbé Desfontaines qui, après avoir avoué pendant trois ans la traduction de mon Effai anglais, que j'ai eu la bonté de lui corriger, ofe la mettre aujourd'hui fur le compte de feu M. de Plelo.

Il fera néceffaire de faire une espèce de réponse au libelle diffamatoire; il le faut pour les pays étrangers, et même pour beaucoup de français. Je vous réponds que la réponse sera sage, attendrissante, appuyée sur des faits, fans autre injure que celle qui résulte de la conviction de la calomnie; je vous la foumettrai. Je fuis trop heureux qu'enfin tout ayant été vomi, il puiffe s'en fuivre une guérison parfaite.

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POURQUOI

7 janvier.

OURQUOI avez vous écrit une lettre sèche et peu convenable à madame du Châtelet, dans les circonftances préfentes? Au nom de notre amitié, écrivezlui quelque chofe de plus fait pour fon cœur. Vous connaiffez la fermeté et la hauteur de fon caractère; elle regarde l'amitié comme un noeud fi facré, que

la moindre ombre de politique en amitié lui paraît

un crime.

Comment lui dites-vous que vous haïffez les libelles autant que vous aimez la critique, après lui avoir envoyé la lettre manuscrite contre Moncrif, les vers contre Bernard, contre mademoiselle Sallé? Que voulez-vous qu'elle penfe?

Encore une fois mandez-lui que vous ne balancez pas un moment entre Desfontaines et votre ami; rendez gloire à la vérité. Non, vous n'avez point oublié le titre du libelle de Desfontaines; il était intitulé Apologie du fieur Voltaire. Elle en a ici la preuve dans deux de vos lettres; nous en avons parlé dans votre dernier voyage. Paraître reculer, paraître le rétracter avec elle, c'est un outrage. Hélas! c'en ferait un de ne pas engager le combat pour fon ami. Que fera-ce de fuir dans la bataille?

Des amis de deux jours brûlent de prendre ma défense, et vous m'abandonnerez, tendre ami de vingt-cinq ans ! vous donnerez à M. de Richelieu le fujet de dire encore que je fuis décrié par vousmême! Que dira le Prince royal? que diront ceux qui favent aimer?

Peut-être qu'à fouper chez Laïs ou Catulle,
Cet examen profond passe pour ridicule.

Mais, mon ami, n'eft-on fait que pour souper? ne vit-on que pour foi? n'eft-il pas beau de juftifier fon goût et fon cœur en justifiant son ami?

Dites-moi tout naturellement fi vous avez envoyé le libelle au Prince royal. Cela eft d'une importance

1739.

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