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ils difent que cela eft auffi impoffible que de fiffler la bouche pleine (*).

Comment va l'Enfant prodigue? Vos amis font-ils revenus de la critique de Fierenfat? Un nom doit-il choquer? et ignore-t-on que dans Ménandre, Plaute et Térence, tous les noms annoncent les caractères, et qu'Harpagon fignifie qui ferre? Madame Croupillac n'eft-elle pas nécessaire à l'intrigue, puifque c'est elle qui apprend à l'enfant prodigue toutes les nouvelles? et n'eft-il pas plaisant et intéressant tout ensemble que cette Croupillac lui dife bonnement du mal de lui-même.

Meffieurs les critiques, j'en appelle au parterre. Adieu; laiffez-moi le droit de regimber, mais donnezmoi toujours cent coups d'aiguillon. Vale, te amo.

LETTRE XLV I.

A M. THIRIOT.

1738.

Le 6 décembre.

Mon très-cher ami, mitonnez-moi le manipu

ON

lateur; vous aurez dans peu notre décifion.

Comme on imprimait en Hollande les quatre épîtres,

(*) M. de la Poplinière avait proposé de substituer,

Le chien lèche, en criant, le maître qui le bat,

à celui de M. de Voltaire,

Le chien meurt en léchant le maître qu'il chérit.

je viens de les envoyer corrigées, très-corrigées, fur1738. tout la première, et mon cher Thiriot eft à la place d'Hermotime.

Vous me faites tourner la tête de me dire qu'il ne faut point de tours familiers. Ah, mon ami, ce font les refforts de ce ftyle. Quelque ton fublime qu'on prenne, fi on ne mêle pas quelque repos à ces écarts, on eft perdu. L'uniformité de fublime dégoûte. On ne doit pas couvrir fon cu de diamans comme la tête. Mon cher ami, fans variété, jamais de beauté. Etre toujours admirable, c'est ennuyer. Qu'on me critique, mais qu'on me life.

Paffons du grave au doux, du plaisant au sévère,

Gare que le père Voltaire ne foit père Savonarole.

Envoyez le s'Gravefende chez l'abbé il ne faut jamais attendre d'occafion pour un bon livre; l'abbé le mettra au coche fur le champ.

Il me faut le Boerhaave français; je le crois traduit. Il y a une infinité de drogues dont je ne fais pas le nom en latin.

Ai-je foufcrit pour le livre de M. Brémont? Auraije quelque chofe fur les marées par quelque tête anglaife?

Je crois que je verrai demain Wallis et l'Algarotti français (*). J'avais propofé à M. Algarotti que la traduction fe fît fous mes yeux; je vous réponds qu'il eût été content de mon zèle.

Je ne fache pas qu'on ait imprimé rien de mes lettres à Maffei; mais ce que j'ai écrit, soit à lui,

(*) Traduit par du Perron de Caftera,

foit à d'autres, fur l'abbé Desfontaines, a beaucoup couru. Si on m'avait cru, on aurait plus étendu, plus 1738. poli et plus aiguifé cette critique. Il était fans doute néceffaire de réprimer l'infolente abfurdité avec laquelle ce gazetier attaque tout ce qu'il n'entend point; mais je ne peux être par-tout, et je ne peux tout faire.

Au refte, je ne crois pas que vous balanciez entre votre ami et un homme qui vous a traité avec le mépris le plus infultant dans le Dictionnaire néolo-, gique, dans un ouvrage fouvent imprimé, ce qui redouble l'outrage. Il ne m'a jamais ni écrit ni parlé de vous que pour nous brouiller; jamais il n'a employé fur votre compte un terme honnête. Si vous aviez la faibleffe honteufe de vous mettre entre un tel fcélérat et votre ami, vous trahiriez également ma tendreffe et votre honneur. Il y a des occafions où il faut de la fermeté. C'eft s'avilir de ménager un coquin. Il a trouvé en moi un homme qui le fera repentir, jusqu'au dernier moment de fa vie ; j'ai de quoi le perdre vous pouvez l'en affurer. Adieu, je fuis fâché que la colère finiffe une lettre dictée par l'amitié.

1738.

LETTRE XLVII.

A M. LE COMTE D'ARGENTAL.

Ce 6 décembre.

LE coche de Joinville part aujourd'hui chargé de

quatre petites bouteilles de liqueurs qui, Dieu merci, feront bues en France (7). Elles font adreffées à M. d'Argental, à la Grange-batelière. Recevez, mon cher ange gardien, ces petites libations que vous fait le mortel dont vous prenez foin.

Voici une autre forte d'hommage; c'est une cinquième épître, en attendant que les autres foient dûment corrigées. Lifez-la, ne la donnez point; dites ce qu'il faut réformer. Je voudrais qu'elle fût catholique et raisonnable; c'est un carré rond, mais en égrugeant les angles, on peut l'arrondir. Je corrige actuellement la Henriade, Brutus, Oedipe, l'Hiftoire du roi de Suède. Puifque j'ai tant fait que d'être auteur, et que vous avez tant fait que de m'aimer, il faut au moins que vous aimiez en moi un auteur paffable.

Je crois que le mieux eft que mademoiselle Quinault donne l'Envieux fans le mettre sous le nom de Lamare. La pièce est un peu férieuse, mais on dit que les honnêtes gens réuffiffent à préfent à la comédie mieux que les bouffons. C'est à vous à me le dire. J'ai peur que Thiriol n'ait vu l'Envieux autrefois,

(7) M. le comte d'Argental, à la follicitation de ses amis, s'était enfin déterminé à ne point accepter l'intendance de Saint-Domingue.

mais il eft devenu difcret; nous avons étoupé fa trompette.

J'ai écrit deux fois à M. Hérault pour avoir le défaveu de Jore: il m'eft effentiel; comment faire pour l'obtenir ? Qu'il est aifé de nuire ! que le mal fe fait promptement! qu'on eft lent à faire le bien! Chez vous, c'est tout le contraire. Non, je ne fais ce que je dis, car vous ne pouvez faire le mal, vous êtes le bon principe, vous êtes Orofmade.

Madame du Châtelet vous fait mille amitiés. Nous pourrions bien acheter l'hôtel Lambert à Paris, non comme palais, mais comme folitude, et folitude qui nous rapprocherait du plus aimable des hommes. Mes refpects à votre adorable femme. Etes-vous toujours fénateur de Paris?

LETTRE

XLVII I.

A M. HELVETIUS.

A Cirey, ce 4 décembre.

MON très-cher enfant, pardonnez l'expreffion, la langue du cœur n'entend pas le cérémonial; jamais vous n'éprouverez tant d'amitié et tant de févérité : je vous renvoie votre épître apoftillée, comme vous l'avez ordonné. Vous et votre ouvrage vous méritez d'être parfaits. Qui peut ne pas s'intéreffer à l'un et à l'autre? Madame la marquife du Châtelet penfe comme moi; elle aime la vérité et la candeur de votre caractère; elle fait un cas infini de votre efprit; elle vous

1738.

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